Aucun corpse paint ni chaussures compensées n’est visible devant la salle. Pas même une petite croix renversée autour du coup. Serait-on bien à ce concert de black metal prévu ce soir à la Maroquinerie ? Bien sûr que oui. Car loin des codes habituels du black metal, DEAFHEAVEN comme INTER ARMA ont tous deux transformés le genre, dans un cocktail shoegaze pour les premiers, doom-post metal pour les seconds. Pourtant on n’aurait pas imaginé une seconde leur faire partager la même scène tant leur énergie parait différente. Mais voilà, quand on a sous la main deux représentants de la vitalité de la scène metal, on ne boude pas notre plaisir. (PHOTOS : Sylvain Golvet)
En provenance de Richmond, Virginie, INTER ARMA n’a qu’une vocation : l’ambiance. Parfois mélancolique, parfois épique, souvent apocalyptique, le quintet (ce soir à six avec un joueur de thérémine, hé oui !) n’hésite pas à commencer son set par une longue progression instrumentale partant du folk acoustique pour exploser dans une rage électrique black metal (« The Long Road Home »). La suite se déclinera en trois autres longs morceaux issus du formidable « Paradise Gallows », soit autant d’atmosphères différentes. Le tout a cet arrière-goût de bayou, southern gothic à fond les ballons, joué avec la maîtrise, la décontraction et la rage qui caractérise les groupes sudistes de NOLA, Eyehategod ou Down en tête.
Le jeu à deux guitaristes, lui, plein de feedback et de dialogues, rappelle Neurosis mais qui aurait pioché aussi bien chez Sleep que dans le grindcore. On n’oubliera pas de sitôt ce « Primordial Wound », un formidable et terrifiant prêche apocalyptique qui joue à merveille le silence, nous fait se sentir nu et vulnérable face au jugement divin. La performance et le charisme du chanteur y est pour beaucoup. Le public semble comme nous figé et groggy.
Le deuxième quintet de ce soir est en charge de réveiller tout ça. Rien de très compliqué pour DEAFHEAVEN. Auteurs d’une musique intense et galvanisante, c’est bien du black metal qu’on entend chez eux mais qui serait joué comme du collège rock, comme si Weezer se mettait au blast beat. Cette mélancolie transformée en moteur positif semble entièrement résumé sur « Honeycomb », joué en premier ce soir : un post-black plutôt lent et sombre qui se transforme dans un solo complètement collège rock 90’s, limite sautillant.
C’est simple, DEAFHEAVEN a importé le mal-être adolescent scandinave chez les lycéens américains, dans un pays qui n’est pas en reste de ce côté. La formule, jouée par d’excellents musiciens (quel batteur !), a pris au passage un petit goût d’hipster, mais comment ne pas voir la filiation dans cette rage mélancolique chantée par George Clarke avec des poses étranges qui trahissent une gestuelle à la limite du mal de vivre et de l’autisme, en tout cas d’une certaine marginalité. En dépit du succès, le groupe semble toujours heureux de tout donner dans une petite salle, sans retenue ni signe de grosse tête. Et malgré les problèmes techniques (la guitare de Shiv Mehra déclare forfait à quasiment mi-parcours, à tel point que ce dernier finit en slam sur le dernier morceau), le groupe emmène son public vers des sommet de joie visible aux nombreux sourires qui continuent dans la fosse, prolongeant longtemps le rêve de l’iconique « Dream House ».
Last modified: 15 octobre 2018