Qu’importent le dos en miettes, les acouphènes en escadrille ou le foie qui dépose son préavis de grève, tant qu’on a l’ivresse ? Déjà le troisième et dernier jour, mais ce DESERTFEST BELGIUM d’anthologie n’a pas fini de nous régaler. Pour paraphraser un festivalier très éméché (et donc très spirituel) que j’ai eu l’honneur de croiser : Anvers 2016, sur une échelle de 1 à 10, c’était vraiment très très bien. (PHOTOS : Sylvain Golvet)
Le programme annonce MOANING CITIES comme du « doom oriental », ce qui produit sur moi un effet comparable à celui d’un titre d’article clickbait bien racoleur. Les Bruxellois ont les honneurs de l’imposante Desert Stage, ce qui n’a pas l’air de les intimider plus que ça. Dans des conditions sonores idéales, les quatre compères déploient toute leur palette : un heavy psych ample et très immersif (voilà pour le doom), agrémenté de sitar et autres instruments pas très belges (voilà pour l’oriental). Belle découverte !
Bien plus rentre-dedans et certainement moins alambiqué : le stoner metal de KOMATSU – on parle bien du groupe d’Eindhoven, et non des tractopelles de chantier – frappe fort sur la Vulture Stage. J’étais restée très mitigée après leur concert en première partie de John Garcia à Paris il y a deux ans, mais je dois admettre que le trio, pas avare en breaks (et en poses) badass fait des merveilles en démarrage de journée !
Toujours plus heavy, c’est au tour d’EARTH SHIP de balancer du gras à brûle-pourpoint sur la Canyon. Pour ceux qui auraient raté le train, le quatuor berlinois – qui a fait ses armes chez Pelagic et est désormais estampillé Napalm Records – donne dans le sludge au-dessus duquel plane un certain spectre Mélodie (qui a dit Crowbar ?). Affirmer que leur son est d’une lourdeur imparable n’a rien d’un poncif, car ils écrasent pas mal de leurs confrères en terme de decibels. Dommage que le son si brouillon en front de scène empêche de distinguer l’alternance growl/chant clair du guitariste Jan Oberg !
Changement d’ambiance radical avec les tauliers MY SLEEPING KARMA. Ayant déjà narré un de leurs somptueux concerts à Paris pour le compte de THC, j’aurais pu choisir d’arpenter des sentiers moins battus. Mais que voulez-vous, je suis spectateur avant d’être chroniqueur et s’il y a bien une chose que je ne refuse jamais (outre une pinte gratuite), c’est une performance de ces hypnotiseurs teutons. My Sleeping Karma fait partie de ces groupes que l’on reconnaît au premier coup d’oreille – au risque, diront certains, d’exploiter leur filon sonore jusqu’à épuisement. En attendant le nombre d’adeptes de leur irrésistible groove hindouïsant ne cesse de gonfler et, tant qu’ils prendront autant de plaisir à jouer ensemble que les gens à les écouter, je ne vois pas de raison que ça s’arrête.
Je ne suis désormais qu’amour et harmonie, ce qui devrait me mettre dans de bonnes dispositions pour les élucubrations chamaniques de TAU. À l’origine de ce duo loufoque, une expérience transcendantale vécue par Shaun Nunutzi (Dead Skeletons) dans un désert du Nord-Ouest mexicain ; expérience facilitée, suppose-t-on, par une généreuse consommation de sucre d’orge. L’album tiré de ces rêveries opiacées mérite une écoute, mais le dispositif scénique est ici bien trop minimaliste pour donner corps aux inspirations amérindiennes du projet – Nunutzi est seulement flanqué par un multi-instrumentiste vénézuélien. De ce fait, ce concert est un peu l’équivalent musical d’une soirée diapo : on sent que le type a fait un chouette voyage et on est bien contents pour lui, mais…
Heureusement, j’ai toujours un créneau « heavy blues rock » réservé dans mon agenda, ce qui me laisse le temps de passer une tête chez les vieux copains de LONELY KAMEL. Vingt petites minutes, c’est tout juste le temps de constater ce que leur nouveau guitariste lead – Vegard, 24 ans et toutes ses dents – a dans le ventre. De bonnes choses, apparemment : du B.B. King et du Clapton bien digérés. S’il n’a pas la flamboyance punk de son prédécesseur Lukas, le jeune Vegard délivre de beaux solos, mélodiques et maîtrisés, qui font du bien aux esgourdes. Lonely Kamel est mort, vive Lonely Kamel !
Me voilà rassuré, je file me placer pour UNCLE ACID & THE DEADBEATS. L’an dernier, son leader Kevin R. Starrs nous confiait dans cette interview son excitation à l’approche d’une grosse tournée américaine, et l’envie du groupe de faire à nouveau leurs preuves sur scène. Le moins que l’on puisse dire aujourd’hui, c’est que la preuve est faite, et bien faite ! Elle semble loin l’époque où les nouveaux hérauts britanniques du doom rock dérangé, tout juste sortis des ombres de l’underground, fixaient leurs pompes sur des scènes trop grandes pour eux. Uncle Acid assume désormais parfaitement son nouveau statut, tout en gardant une touche « club » nimbée de mystère. Le secret ? Un nombre dérisoire d’amplis sur scène, poussés au volume 11 et propulsés par la sono de la salle, ainsi qu’un éclairage volontairement pudique. Dans ce contexte propice, la magie (noire) opère. Sous un épais mur de fuzz percent des subtilités, des harmonies. Bref, une main de velours dans un gant de fer !
Après cette claque magistrale, pas facile de s’exciter pour l’afrobeat psychédélique de GOAT. Ce n’est pas faute d’avoir essayé : rassemblant mes dernières forces, je lève mes pompes du sol collant de bière (et Dieu sait quoi d’autre), et remue mon popotin au son des tam-tams. Hélas, point de transe, point de révélation spirituelle, ni même de simple divertissement. Peut-être que l’amateur de Tinariwen, Songhoy Blues et Bombino que je suis préfère l’original à la copie. Peut-être aussi que mon réservoir d’émotion musicale est, à l’issue de ce riche et dense Desertfest, bel et bien à sec. Un bon concert n’est jamais, après tout, que le résultat d’un alignement astral favorable : la performance d’un groupe, les conditions d’une salle, et bien entendu l’état d’esprit du spectateur. Mission repli : la team THC file donc se secouer les puces sur le son rentre-dedans et bi-neuronal de TOXIC SHOCK. Que voulez-vous ? Parfois, il vous vient une soif que seul le thrash metal hardcore belge peut étancher…
Les festivités se poursuivent jusqu’à tard dans la nuit pour les plus acharnés, avec la dernière afterparty du week-end. Chose marrante : parmi la foule hétéroclite de festivaliers, ce sont (encore) nos amis britanniques qui remportent la palme des ambianceurs du week-end. Quand on sait que pas mal étaient présents lors de la genèse des Desertfest à Londres, où on reprend « War Pigs » en choeur comme l’on respire, ça paraît tout naturel… Des déhanchés endiablés sur Grandfunk Railroad, au headbang intensif sur Metallica, jusqu’à un final grandiose sur « When The Music’s Over » des Doors, où on sent que la poignée de festivaliers encore présents viennent d’atteindre une vraie plénitude. Pas de doute : ce DESERTFEST BELGIUM 2016 avait bel et bien un goût de perfection.
Last modified: 10 février 2017