Le rock est peut-être mort, mais son cadavre bouge encore. De ses sursauts nerveux émergent des groupes comme GRAVEYARD, capables de s’amuser sans complexes avec les canons du genre et d’apposer leur propre griffe. « Classic rock with a modern roll », comme le résume bien Nuclear Blast Records à propos de ses poulains. Plus inspiré et virtuose que jamais, le quatuor suédois passe le cran au-dessus avec Innocence and Decadence, qui devrait s’inviter tranquillement dans les Top 10 d’une année 2015 pourtant riche en nouvelles sorties heavy.
On avait quitté Graveyard sur une légère, très légère déception. Sorti un an et demi à peine après l’excellent Hisingen Blues, qui les avait catapulté sur orbite, Lights Out avait les défauts (et les quelques éclairs de génie) propres aux albums accouchés dans l’urgence. Après un changement de personnel pas évident à négocier – l’ancien chanteur/guitariste, Truls Mörck, venant prendre le relais du membre fondateur Rikard Edlund à la quatre-cordes – Graveyard a pris son temps, cette fois-ci. Un studio mythique, l’Atlantis Grammafon (qui a vu défiler tout ce que la Suède compte d’ambassadeurs musicaux, des Hives à Opeth, sans oublier ABBA), un producteur issu du milieu du jazz, histoire d’épicer un peu les choses… On sent partout sur cet album l’envie de bien faire.
L’envie aussi, peut-être, de se distinguer parmi la masse des groupes « rétro » des contrées scandinaves – un des principaux produits de la Suède à l’export, avec les meubles en kit et les harengs fermentés. C’est un leitmotiv dans toutes les interviews du groupe : la frustration d’être accusés de nostalgie ; le souhait d’écrire leur propre page d’une histoire du rock qu’ils connaissent sur le bout des doigts. « The Apple and the Tree », premier single issu de l’album, résume bien la démarche : sur fond d’hommage complètement assumé à Dire Straits, Joakim Nilsson chante sa lassitude « des gens qui nous disent qui nous sommes » : « je ne suis rien, et quelque chose que tu n’as jamais vu avant / la vie est un recommencement, elle l’a toujours été« .
C’est la première surprise de l’album, entourée par des chansons un peu plus proches de la palette habituelle de Graveyard – brûlots rageur (« Magnetic Shunk », « Never Theirs to Sell ») et ballade languissante (« Exit 97 »), tous de très bonne facture. Mais c’est réellement avec « Can’t Walk Out » que l’album décolle, pour ne plus jamais toucher terre. Le combo y trouve l’équilibre parfait entre langueur et entrain, riffs nerveux et arrangements psychés. Scandé par une explosion de guitares, qui s’abat comme un éclair toutes les deux mesures, le morceau est un pur régal.
« Too Much Is Not Enough » marque une incursion, risquée mais réussie, du quatuor sur le terrain de la soul… avec l’appui de chœurs féminins, ce qui tend à confirmer que Graveyard a plus d’un tour dans son sac. Le retour de Truls Mörck derrière le micro sur « From A Hole In The Wall » en est un autre. Propulsée par un jeu de batterie tentaculaire et des guitares vrombissantes, son chant façon crooner badass pue le soufre ; de quoi vous donner envie d’aller braquer une banque ou de rouler à 250 sur l’autoroute (ces deux options n’étant pas mutuellement exclusives). Le guitariste Jonatan LaRocca-Ramm pousse lui aussi la chansonnette sur « Far Too Close », d’une voix fragile qui ressemble à s’y méprendre à celle de Josh Homme avec un léger rhume. La plupart des groupes de rock ne sont pas fichus d’avoir un bon chanteur ; Graveyard en a trois. Ce n’est peut-être pas un partage des ressources très équitable mais bon, on ne va pas s’en plaindre !
Pour finir, je pourrais parler de « Cause & Defect » et de son gimmick vocal ultra-accrocheur, « Hard Headed » et sa furie jazz-rock, « Stay For A Song » et son outro au glockenspiel qui me dresse les poils à chaque p….. de fois. Mais la place me manque, et je ne veux pas trop vous déflorer le plaisir de l’écoute. Plutôt qu’une litanie d’adjectifs dithyrambiques, je préfère vous laisser avec cette confidence : bien que j’aie écouté l’album environ 450 fois pour préparer l’interview avec Joakim Nilsson, et sans doute un millier de plus pour cette chronique, je sais pertinemment qu’une fois la dernière ligne écrite j’appuierai à nouveau sur play… juste pour le plaisir.
ARTISTE : Graveyard
TITRE : « Innocence and Decadence »
DATE DE SORTIE : 25 September 2015
LABEL : Nuclear Blast Records
GENRE : Hard Rock / Blues Rock
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Last modified: 28 septembre 2015