INTERVIEW : Stephen Brodsky dissèque la bête Mutoid Man sous toutes ses coutures. 

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C’est une belle journée ensoleillée dans la capitale mondiale du vin. Ce soir là, à Bordeaux, le public se fera fracasser les tympans par l’un des tous meilleurs groupes live du moment, les incroyables Mutoid Man. Leur sympathique frontman Stephen Brodsky (également connu pour officier au sein de Cave In et Old Man Gloom et pour ses apparitions live aux côtés de Converge ou Quicksand) nous a accordé un peu de temps dans son agenda beaucoup trop rempli et nous voilà dehors, au soleil, à discuter de songwriting, de son amour pour les 80’s ou encore de son admiration pour les très sous-côtés Converge.

Merci de nous accorder cet entretien ! Chaque fois que je parle de Mutoid Man, la première chose qui vient à l’esprit des gens, c’est à quel point cela semble être un terrain de jeu pour vous par rapport à tous vos autres projets (Ben Koller est le batteur de Converge tandis que Jeff Matz officie à la basse chez High On Fire, NDLR). Je me demandais si c’est aussi ce que vous pensez de ce projet, et si c’est quelque chose de réfléchi ou de naturel?

Stephen Brodsky : Je suppose que cela vient en partie du fait que c’est un groupe plus jeune que les autres. Il a été créé en 2012/2013. On joue donc depuis environ 10 ans. Et je pense qu’en comparaison avec d’autres groupes et projets que nous faisons, il y a probablement moins de bagages à porter.

C’est précisément ce dont je voulais parler, avoir un tel héritage à assumer avec tous les autres projets dans lesquels vous vous impliquez. Avez-vous l’impression qu’avec ce projet, vous n’avez pas autant de pression et que vous pouvez aller dans n’importe quelle direction?

Stephen Brodsky: C’est possible. Je ne pensais même pas que cela deviendrait un groupe lorsque Ben (Koller, batteur) et moi avons enregistré pour la première fois ce qui est devenu le disque “Helium Head”. Je pensais que nous nous amusions juste en lançant des riffs et des idées de chansons dans ce petit espace de répétition exigu, et que peut-être nous le présenterions comme un enregistrement sympa. Mais Ben a suggéré de trouver un bassiste, de jouer des concerts et de donner au groupe un « vrai nom » autre que celui que nous nous donnions à l’époque, qui était Narcoleptic Beagle. Ce projet a grandi tout seul. Il y a très peu d’aspirations au départ du groupe, au-delà de simplement faire de la musique cool.

« Musicalement, Mutoid Man est le terrain de jeu de Ben Koller, et moi, j’essaie de suivre du mieux que je peux. »

Parlons des influences qui vous ont accompagnés dans ce projet. Il semble que Mutoid Man peut naviguer sans problème entre les genres. Vous pouvez décider de faire ce que vous voulez en termes de style. Dirais-tu que cette liberté était quelque chose que vous souhaitiez avoir dès l’inception du projet ? Est-ce que vous vous disiez « avec ce groupe, on ne se met pas de barrières, on va où on veut » ?

SB : Eh bien, en ce qui concerne les limites, je laisse le soin à Ben de les poser. Il est vraiment la fondation, la base du groupe, étant un batteur fantastique et également un grand auteur-compositeur. On ressent son apport dans la façon dont il arrange les idées et dans la façon dont il sélectionne des bouts de chansons, des idées, une section d’un jam que nous aurions joué, ou même dans la conceptualisation d’une titre, que ce soit via des signatures rythmiques ou un feeling particulier Musicalement, c’est un peu son terrain de jeu et moi, j’essaie de suivre du mieux que je peux.

La première fois que j’ai entendu parler de Mutoid Man, c’était grâce à ce podcast sur lequel vous avez joué en tant que backing band pendant un petit moment. Je voulais savoir quels souvenirs tu gardes de « 2 Minutes To Late Night » et surtout comment vous avez pu pondre une si belle reprise de Purple Rain ?

SB: J’ai rencontré Jordan (Olds, créateur de 2MTLN) après qu’il ai vu Mutoid Man en live et il m’a contacté car il voulait prendre des cours de guitare. Nous nous sommes retrouvés, et d’après mes souvenirs il voulait apprendre à jouer en accordages bas car c’est une chose que je fais beaucoup avec Mutoid Man et mes autres groupes. Ce faisant, j’ai réalisé qu’il était lui-même un excellent guitariste. Il n’avait pas besoin de prendre de cours, mais c’est là qu’est née notre amitié. Lors du deuxième cours — à l’époque il travaillait chez Vice Media — il m’a dit qu’il pensait présenter une idée pour un show metal. Il n’y avait rien de tel à l’époque. Il voulait s’inspirer des talk-shows classiques comme Conan O’Brien ou Saturday Night Live. Et généralement, il y a un groupe d’accompagnement. Dans son esprit, il imaginait Mutoid Man être ce groupe, et c’est comme ça que tout a vraiment commencé. Nous gardons de bons souvenirs de cette époque.

« Nirvana est sûrement le groupe qui m’a le plus inspiré. Pour la première fois, j’avais l’impression que réunir des copains du quartier pour faire de la musique était soudainement possible. »

Quelles ont été tes influences en grandissant, tes héros musicaux ?

SB: L’un des premiers était Slash. En grandissant, je ne savais pas comment m’intégrer, j’étais plutôt timide et quand je l’ai vu sur MTV à la fin des années 80, je me suis dit, « eh bien, si je pouvais jouer de la guitare ne serait-ce qu’à peu près aussi bien que ce type, peut-être que j’aurai une chance dans cette vie ». C’était une très grande inspiration pour moi. Plus tard, je dirais que Nirvana est sûrement le groupe qui m’a le plus inspiré. Pour la première fois, j’avais l’impression que réunir des copains du quartier pour faire de la musique était soudainement possible. Ils ont donné l’impression que la musique était accessible à tous ceux qui en étaient passionnés, tous ceux qui voulaient mettre tout leur cœur dans la création d’œuvres d’art musical.

Pour ce qui est du hardcore — comme tu le sais, cela représente une grande partie de ma vie et ça m’a aidé à comprendre, pas nécessairement qui je suis, mais comment me comporter, comment traiter les gens, comment interagir avec eux — le groupe qui m’a vraiment fait découvrir le hardcore était Converge. Parce qu’avant cela, j’avais essayé d’autres trucs et c’était soit trop machiste, soit trop linéaire, soit trop « mi figue-mi raisin », soit pas assez développé musicalement pour moi. Converge prenaient toutes ces influences cool à l’écart du « hardcore standard » et en faisaient quelque chose de nouveau et intéressant. Et ça m’a donné envie de faire la même chose.

« Converge prenaient toutes ces influences cools à l’écart du « hardcore standard » et en faisaient quelque chose de nouveau et intéressant. Et ça m’a donné envie de faire la même chose. »

Belle liste d’influences ! Je voulais également parler de votre dernier album « Mutants », car certaines choses m’ont vraiment frappé à la première écoute. Il est rempli de petites dissonances et d’un jeu de guitare très inhabituel, chose qui semble beaucoup plus présente que sur vos précédentes productions. Était-ce quelque chose que vous aviez en tête dès le départ, ou est-ce que c’est juste venu comme ça?

SB: Oui, je suppose que c’est là depuis le début avec Mutoid Man et peut-être avec n’importe quel groupe dans lesquels j’ai joué, mais il se peut que la production fasse aussi ressortir les choses différemment sur cet album. C’est l’un des premiers albums où l’on n’entend qu’une seule performance de guitare. Peut-être que cela amène l’auditeur à entendre les choses différemment. Le fait d’avoir Jeff (Matz, à la basse) rend les choses meilleures aussi. Cela a poussé nos capacités musicales, d’autant plus qu’il est un musicien fantastique et un compositeur à part entière. Nous avions une nouvelle personne avec qui vibrer en répète, avec une toute nouvelle série de tricks qu’il pouvait apporter au groupe. C’était réjouissant pour nous. Cette combinaison d’éléments rendent ce disque un peu différent, même si c’est toujours un disque de Mutoid Man.

Et que peux-tu nous dire concernant le chant ? Sur cet album, j’ai l’impression que tu as essayé d’utiliser ta tessiture vocale autant que possible. Les autres membres semblent également un peu plus présents sur les chœurs.

SB : Au niveau des paroles, j’étais en train de quitter New York, où j’avais vécu pendant 11 ans. Ma façon d’écrire, ce que je dis et ce que je veux dire ou essayer de dire, tout cela inspire le chant. Et une fois que j’ai su ce dont je voulais parler, la question est alors devenue : « quelle est la meilleure façon de l’amener » ? J’écoutais ce podcast sur le Black Album de Metallica — Bob Rock parlait du fait qu’il considérait James Hetfield comme un grand chanteur, mais il voyait qu’il n’était pas vraiment reconnu pour cela. Si vous écoutez les disques précédents de Metallica, il n’y a pas beaucoup d’harmonies vocales. C’est assez direct et beaucoup de voix sont doublées. Cela faisait partie du son de Metallica. Le processus de réflexion de Bob Rock était que s’il arrivait à obtenir un excellent son de voix pour James, simplement en chantant dans un micro sans avoir à le doubler, il pourrait tout construire autour de cela, faire bien plus avec le chant au niveau production et expérimenter différents types d’expressions vocales.

Ça m’a vraiment marqué. J’ai contacté Kurt (Ballou, producteur ndlr) et il était partant. Je voulais juste créer un son pour la voix qui rende agréable de se tenir devant le micro, d’entendre ma voix dans la pièce, de l’entendre dans le casque. Et que ça me donne envie de chanter. Kurt était okay avec ça, il avait l’impression que nous tenions quelque chose de cool. Cela m’a poussé à utiliser ma voix différemment des précédents albums. J’essayais de pousser ma voix d’une manière tout à fait naturelle, et d’expérimenter en ajoutant un peu de grain et de distorsion, peut-être seulement sur quelques mots ou sur une ligne entière, etc. Cela a entrouvert une voie nouvelle et excitante pour moi.

« J’ai toujours eu un faible pour Green Day. Il y a donc de la place pour la pop-punk dans l’univers de Mutoid Man. »

Quand j’écoute Mutoid Man, il y a souvent ce clin d’oeil aux années 80 et j’ai l’impression que c’est enfin acceptable de dire « soyons super accrocheurs et n’ajoutons pas toujours quelque chose de subversif ». Et je me demandais ce que tu penses des années 80, et du fait que c’est peut-être la première fois depuis des décennies qu’il est okay d’admettre qu’on aime cette période dans la sphère rock/métal.

SB : Je suis né en 1979 et donc dans les années 80, j’étais un gamin, une éponge qui écoutait tout ce qui se passait à la radio et sur MTV. Donc je ne peux pas m’empêcher d’aimer les années 80. Au lieu d’essayer de fuir certaines influences, surtout à 44 ans, je trouve que parfois il est simplement préférable, plus facile et plus authentique d’accepter ces choses. Tout n’était pas génial dans les années 80. Il y a eu aussi beaucoup de merde. Tout comme dans les années 90, que les gens glorifient pourtant. C’est dans notre condition d’être humain : tout est soit un problème, soit une consécration, soit un échec total, soit vous l’adorez au point que cela en devient incontournable. Et il s’agit avant tout d’essayer de prendre le meilleur de toutes ces influences. Et je ne suis pas seul là-dedans, c’est ce qu’il y a de bien dans le fait d’avoir un groupe : c’est une tâche collective. Il y a donc un peu des années 80 là-dedans. Encore une fois, je n’y peux rien. J’ai traversé cette période, pour le meilleur ou pour le pire.

J’ai lu quelque part que vous étiez assez friands de pop punk et l’assumez dans ce nouvel album, d’où les refrains hyper accrocheurs.

SB : C’est une bonne observation. Jeff et Ben ont un faible pour ce genre de sons. J’ai vraiment adoré ce disque de Me First And the Gimme Gimmes où ils jouent pour la bar-mitsva d’un enfant.

“Ruin Johnny’s Bar Mitzvah”.

SB : C’est ça ! Ils font toutes ces superbes reprises. La façon dont ils reprennent les morceaux sur cet album… Je crois que d’une certaine manière, nous essayons d’avoir cet état d’esprit, mais à notre façon.

On est d’accord que Mutoid Man aurait sa place à l’affiche de festivals à la Punk Rock Bowling ?

SB : Il y a ce type d’énergie dans le jeu de Jeff et Ben en particulier qui, je pense, trouverait un écho auprès des fans de cette musique. Et j’ai toujours eu un faible pour Green Day. Donc effectivement, il y a de la place pour la pop-punk dans l’univers de Mutoid Man.

Retrouvez Mutoid Man sur Facebook, Bandcamp, Instagram. Nouvel album « Mutants » disponible chez Sargent House.


Last modified: 20 février 2024