DESERTFEST LONDON 2022 – Jour 2

Written by À la une, Live

JOUR 2 par Yannick K. : Madeleines version space cake.

Pour démarrer ce second jour au Desertfest Londres, j’accompagne la fine fleur de la rédaction dans une discussion perchée avec les gonzes de Greenleaf, pour ce qui sera le vrai moment feel good de cette journée. Je les laisse se dépatouiller avec la traduction et file à l’étage du QG, depuis lequel une fuzz bien grasse vient me titiller. Le Black Heart est définitivement trop petit pour accueillir les locaux Orbital Junction et leur Heavy Rock pour prendre la route. Depuis les escaliers avec mes compagnons d’infortune, j’essaye de me frayer un chemin vers la scène, attiré par ces mélodies catchy et le croon d’Owen Armstrong, qui n’est pas sans rappeler Tony Reed à ses débuts. 

J’ai juste le temps de traverser tout Camden, qui montre alors son (vrai) visage du week-end. Il y a foule aujourd’hui sur les trottoirs, entre badauds, groupes de musique improvisés, jeunes punkoïdes avinés et camelots… J’arrive en sueur au Roundhouse, ancien dépôt de locomotives sous la forme d’une immense rotonde transformée en salle de spectacle. Cette configuration apporte un son ample, moins frontal, submergeant totalement le spectateur. Une qualité de son qui sied parfaitement au doomgaze du dernier album d’Elephant Tree, joué quasiment dans son intégralité. Et quelle surprise de voir Peder de Lowrider ouvrir le show avec « Sails », son titre préféré d’Elephant Tree ! Ces mecs-là n’ont pas fini de nous surprendre… Comme par exemple, en contrepied, faire venir sur scène violon et violoncelle pour deux titres acoustiques d’une quiétude et d’une volupté à pleurer à chaudes larmes, comme des madeleines. Un set parfait pour un des groupes les plus originaux de la scène Heavy Rock actuelle.

Photo: Sam Huddleston

Nouvelle course d’obstacles pour attraper au vol la prestation de My Sleeping Karma, prônant toujours et encore esprit de relaxation et d’élévation dans sa musique. Peut-être que mes chakras n’étaient pas suffisamment ouverts ce samedi après-midi, mais j’avais en tête un son bien plus chaud et organique que la mécanique instrumentale à laquelle j’ai assistée. Il est déjà 17h00 et j’ai à peine le temps d’appuyer sur play pour enregistrer ce qui sera pour moi la plus improbable et improvisée des interviews : quatre cockneys d’Elephant Tree et deux volubiles Lowrider sur le hayon d’un camion ! Un moment WTF de franche camaraderie que seul le Desertfest sait produire.

Retour au Ballroom. Une salle où je me sens finalement bien (et qui m’évite courses à pied à travers Camden, je dois bien le reconnaître). Sans enthousiasme à l’écoute de leur premier album, je me colle au bar devant Stöner, la dernière formation en date des Sons of Kyuss, Nick Oliveri et Brant Bjork. Contre toute attente, un vrai groupe se tient devant nous, beaucoup plus équilibré que sur disque, entre la coolitude de Brant et l’instabilité de Nick. BB redevient le « lower desert punk » que l’on aime grâce à son acolyte. Ça groove baby, et le sol du Ballroom se couvre subitement d’un sable chaud, presque brûlant lorsque Nick décide de muscler le blues de son complice. Il ne reste plus au trio qu’à reprendre les madeleines de Proust version spacecake que sont « Green Machine » et « Gardenia » pour que le public hystérique fonde littéralement sous l’effet de la fuzz.

Photo: Jessy Lotti

Lentement mais sûrement, en opposition avec l’agitation de la rue, Earthless pose les bases d’un desert rock inspiré pour invoquer les quatre éléments au cœur de Camden et de son Desertfest. Les riffs d’Isiah Mitchell sont liquides, l’eau coule entre nos jambes, les rochers lévitent dans la salle, avant que la lave ne s’échappe du volcan Earthless, consumant l’horizon du Ballroom. Le vent se lève et se joint à l’explosion, le ciel gronde sous le martellement de Mario Rubalcaba et s’assombrit d’une noirceur sabbathienne dans un déluge de décibels. Impressionnant.

À peine le temps d’avaler un burger jamaïcain aussi spicy que la musique des californiens que déjà enchaine le cover band officiel de Motörhead, Orange Goblin. Les Londoniens arrosent au napalm le Ballroom et c’est toute la salle qui est en transe. Entre pénombre et lumière rougeoyante, seule la carcasse imposante de Ben Ward se dessine, tel un Uruk Haï surgissant d’Isengard. “Diesel”, “Saruman’s wish”, “Made of Rats”, “Sons of Salem” ou “The devil’s Whip” sont des bombes incendiaires à l’effet dévastateur et autant de raisons de regretter que l’on croise trop peu souvent ces gobelins sur les routes de France. Même les chaussures volent dans ce fracas de corps en sueur… c’est dire.

Impossible de programmer qui que ce soit après un tel déluge de feu de l’arsenal Orange. La seule issue possible c’est d’éponger sa soif dans un Black Heart surchauffé et débordant dans la petite rue transversale pour se remémorer les moments de cette journée décidément sans fausse note avec Kip, Mehdi, Tommi, Arvid, Matt, Peter et tous les autres pour peu que je m’en souvienne encore…

Jour 2 par Sofie Von Kelen.

C’est toujours le jour où je décide de ne pas boire avant 17H que quelqu’un se pointe avec une pinte, à peine mon postérieur posé sur la terrasse du Black Heart, alors que je jaillis tout juste de la douche, l’estomac aussi vide que mon compte épargne et la racine des cheveux encore humide… En l’occurrence aujourd’hui, ce quelqu’un se prénomme Sebastien Olsson, batteur du groupe Greenleaf dont je m’apprête à interviewer deux membres hilares : Tommi Holappa et Arvid Jonsson. Surréaliste est un faible mot pour caractériser cet entretien durant lequel il sera question de gueules de bois, de public germanique et de spleen scandinave, le tout rythmé par les tournées que Sebastien continue à nous amener avec une régularité étonnante pour quelqu’un qui ne joue pas au clic. La gentillesse de ces types me terrasse littéralement et l’interview finit par déborder bien au delà du timing prévu. Il est clair que je vais pleurer au moment de la retranscription, mais probablement aussi me marrer un bon coup…

Photo: The Heavy Chronicles

Sur ces entrefaites, alors que je pèse le pour et le contre entre Elephant Tree et My Sleeping Karme, je percute le lead guitar de Your Highness rencontré quelques mois plus tôt au Desertfest Anvers, le tout résolvant illico mon problème de clash. Trente minute plus tard, les Flamands retournent le Black Heart comme une simple crêpe. C’est heavy, bluesy, sexy, ça parle de feu, de fièvre noire et les allusions au cinéma d’horreur old-school sont légion. Beaucoup d’émotion dans les mélodies, de fureur dans le chant, ça n’a plus grand chose à voir avec le groupe que j’avais vu il y a des années à Bordeaux (R.I.P Heretic Club) et j’en reste un peu sur le cul avec l’impression que l’on vient de me karcheriser le système émotionnel…

Cependant, comme l’univers est bien foutu, j’accroche au passage une meute de copines en route pour le Dev, direction A Gazillion of Angry Mexicans, raclée radicale annihilant en un clin d’oeil toute tentative d’introspection. Ça joue fort, déjà. C’est indescriptible, ensuite. Il y a du hardcore, du doom, des relents 90’s dans un package ultra-groovy qui ne va pas chercher par quatre chemins le sens de la vie. Le son est médiocre mais tout le monde s’en fout, les Australiens sont taillés pour ce genre de set machine à laver durant lequel l’idée de retoucher aux réglages n’effleurera absolument personne. Une bonne morniflette sublimée par le fait que les verres à vin du Dev aient littéralement la taille d’un seau…

Je ne vais pas vous mentir, lorsque je m’engouffre dans les profondeurs de l’Underworld après une petite visite dans un bar à tapas, mon élocution a perdu une bonne partie de son incisivité… Et quelle condition plus appropriée qu’une vaillante ébriété pour retrouver ceux-là même ayant été à son origine : Greenleaf. Ce groupe est littéralement fait pour l’Underworld, pour ses mensurations chaleureuses permettant une belle intimité avec le public, sa température avoisinant dangereusement celle d’un cours de bikram yoga et son acoustique favorisant l’interaction entre les fréquences basses et ton estomac. A l’origine side-project-all-star-band réunissant des éléments de Dozer, Demon Cleaner et Lowrider, Greenleaf est devenu bien plus que ça, c’est à dire capable de réinventer ce terme horriblement fourre-tout de stoner et d’y injecter du heavy metal pur et dur. Dès lors, nous ne sommes plus sur un ronron fuzzé gentiment psychédélique mais bel et bien sur une putain de machine de guerre dont le souffle épique doit faire naître des envies de quêtes jusqu’à l’autre bout de Camden.

Photo : Sam Huddleston

Peu de temps après, légèrement redescendue mais pas tout à fait, je plonge dans le set de Hangman’s Chair comme dans une eau trouble et soyeuse réveillant mille récepteurs tactiles. Rien n’aurait pu clôturer plus intensément la journée que cette performance/expérience made in France aux contours parfaitement définis et à la noirceur assumée. Confortablement calée sur la petite plate-forme VIP à gauche de la scène, je peux donner libre cours à ma fascination pour le jeu de Medhi dont les mouvements dégagent une puissance émotionnelle rarement observée chez les batteurs, entre énergie sinusoïdale rougeoyante et relances très audacieuses. Un talent pour le suspense et la tension confirmera Beeho plus tard.

Est-il besoin de s’étendre sur le freestyle absolu de l’after qui suivit au Black Heart ? Je ne pense pas… Ce n’est que ma quatrième participation à ce magazine et j’aimerais que vous conserviez encore un peu cette flatteuse image de moi. On se retrouve donc dans quelque jours pour la suite et fin des événements. ;)

Photo : Jessy Lotti

Last modified: 6 juin 2022