Du rock au doom : les albums les plus cool de 2018.

Written by Chronique

♠︎ LE TOP DE SYLVAIN GOLVET ♠︎

UNCLE ACID & THE DEADBEATS « Wasteland » (Rise Above Records)

On se faisait presque du souci pour Kevin Starrs suite au précédent opus très sombre d’Uncle Acid et ses Deadbeats, mais il semblerait à l’écoute de ce Wasteland qu’un regain d’énergie l’ai pris. Oh, rien de joyeux derrière tout ça : revigoré à la paranoïa futuristico-politique, Starrs nous concocte un album assez upbeat à l’atmosphère viciée pendant huit titres entre pop et NWOBHM, le tout sous la forme d’une dystopie pas si éloignée de notre quotidien. Dans son antre, le sorcier Starrs et son travail alchimique achève de donner un son unique à un opus à l’ambiance mordante et étouffante (« Shockwave City », « Blood Runner ») mais non dénuée de lumière (Wasteland, Bedouin).

DEAD MEADOW « The Nothing They Need » (Xemu Records)

Est-ce qu’un disque laid-back, pas spécialement sexy, ni évènementiel, ni même surprenant mérite sa place dans un top de fin d’année ? Sur le papier probablement mais pas de quoi bouder la pépite qu’est le 8ème (!) album des vétérans de Dead Meadow. Sans jamais s’éloigner de leur son caractéristique (voix lancinante, batterie à fond de temps, reverb à gogo sur la guitare) et sans pression, ils distillent sur cet opus une fraîcheur et une détente rare dans une période de sorties d’albums blindés de clichés. Et en 20 ans, le son du groupe s’est affiné et ils nous délivrent une deuxième face qui sait ménager aussi bien le cool que la mélancolie au sein d’un même morceau (« This Shaky Hand is Not Mine », déchirant). Idéal sur la route pendant un coucher de soleil, cette face se rapproche le plus d’un sentiment de spleen joyeux.

EARTHLESS « Black Heaven » (Nuclear Blast Records)

Signature chez Nuclear Blast, pochette plus sombre… Earthless a-t-il décidé de se mettre au stoner doom 70’s pour appâter le chaland ? Ah ah, que nenni, Isaiah Mitchell et sa bande creusent évidemment toujours cette musique maintenant sexagénaire qu’est le hard blues psychédélique pour en livrer comme à son habitude un flot brûlant de riffs et de soli ininterrompus. On peut certes y déceler un léger souci de formatage dans la longueur des morceaux et dans un travail de mix plus complexe (guitares doublées, effets de stéréo, toujours au service du morceau). Mais rien qui ne trahit l’esprit épique de la musique du trio. Qu’on se rassure, Earthless peut toujours prétendre être le plus fier des représentants du jam rock, prêt à déverser des coulées de fuzz en live sur un public consentant à être propulsé dans l’espace.

♠︎ LE TOP DE PETE GREEN ♠︎

SLEEP « The Sciences » (Third Man Records)

De nos jours, un disque n’est rien sans tout le battage promo, les chroniques, les spoils, la gloire, la hype, et parfois même, la hype de trop. Eh oui, très peu d’albums n’ont pas besoin de tout ça pour exister dans l’océan qu’est la scène metal actuelle. Arrive le fameux 4/20, et que se passe-t-il alors que Sleep sorte soudainement leur quatrième album en trente ans de carrière ? Rien de tout ça. Est-ce qu’on l’a vu passer ? Oh que oui. Parce “The Sciences” est tout simplement la quintessence de Sleep. Du morceau titre à l’excellent “Marijuanaut’s Theme”, et le très familier et pourtant toujours aussi écrasant « Sonic Titan », jusqu’aux nouveaux hymnes weediens « The Botanist » et « Giza Butler », on est franchement sur un festival du riff qui n’épargne aucune oreille. Messieurs Pike, Roeder et Cisneros ne sont peut-être pas des adeptes des projecteurs, et d’ailleurs ils n’en ont nul besoin lorsque l’abime de leur son pèse aussi lourd. Cet album entérine la légende Sleep pour les décennies à venir. Imparable.

EARTHLESS « Black Heaven » (Nuclear Blast Records)

Certains diront qu’ils vouent trop un culte à Hendrix. D’autres diront que la scène perd toujours plus de ces jams complexes et à rallonge qui ont fait Earthless. Et d’autres encore diront que Isaiah Mitchell devrait réserver le chant à son autre groupe Golden Void. Moi je vous dis ça : c’est l’album que j’attendais d’Earthless depuis le début de leur carrière. C’est le rock incarné. Un peu comme un camion déversait du béton juste devant votre porte, pour voir si vous en faites un building ou attendez plutôt de voir quelle forme il prendra tout seul. En mettant de côté son côté cosmique et en allant droit au but, Mitchell, Mike Egington et Mario Rubalcaba livrent six bombes qui n’en sont pas moins fun, et solidement liées entre elles — une qualité qu’on n’enlèvera pas aux padres de San Diego. Si vous avez quarante minutes devant vous, laissez-vous séduire par ce « Black Heaven » et ne regardez pas en arrière. Et même si vous le faites, « From The Ages » et « Rhythms From a Cosmic Sky » seront toujours là pour vous.

HIGH ON FIRE « Electric Messiah » (eOne Music)

Pensez ce que vous voulez de moi, mais le dernier High On Fire « Luminiferous » est l’album que j’ai le moins aimé de toute la discographie du furieux trio. Je le trouvais trop alambiqué, trop frénétique sans jamais proposer de variation de rythme, ni aucun morceau vraiment mémorable. J’étais donc plutôt nerveux au moment d’écouter « Electric Messiah », pour au final être conquis par l’effort herculéen engagé par Pike, Matz et Kensel et la toute-puissance de leur heavy metal féroce afin de faire imploser l’univers. Des très tordus « Spewn Of The Earth » et « God Of The Godless », au plaisir brûlant de “Steps of the Ziggurat / House of Enlil”, du hit en puissance « Sanctioned Annihilation” et du morceau titre et hymne à Lemmy : tout dans « Electric Messiah » évoque non seulement la force de ces trois nobles guerriers, mais la qualité de chacun se voit ici décuplée. Couronné de succès, « Electric Messiah » pourrait bien faire gagner un Grammy à High On Fire. Et ça ne leur ferait ni chaud ni froid, tant ils sont occupés à ravager ce monde sous le joug de leur colossale lame.

♠︎ LE TOP DE RAZORT ♠︎

WEEDPECKER « III » (Stickman Records)

L’année 2017 avait ses génies du stoner progressif avec Elder, qui nous a tous bluffé à la sortie de leur chef-d’oeuvre « Reflections Of A Floating World ». Dans une même lignée pinkfloydienne, on a vu naître quelques jours seulement après le passage à 2018 ce bijou de douceur, de beauté et fraîcheur made in Pologne, et n’ayant rien à envier à leurs homologues américains. Un voyage cosmique entre monde matériel et céleste, une pochette aux couleurs et à la symétrie fascinante, des chants clairs noyés dans le lointain autant que les guitares dans la reverb… Bref, c’est une véritable bouffée d’air frais à se diffuser dans les oreilles en cas de déprime, et assurément LA meilleure sortie de l’année à mon sens !

SOMALI YACHT CLUB « The Sea » (Robustfellow Prods.)

Stoned Jesus étant devenu has-been, la relève est définitivement arrivée ! Ils ont déjà d’ailleurs écumé les routes en leur compagnie durant toute l’année. Le prodigieux trio ukrainien, déjà propulsé bien loin dans la stratosphère avec leur album « The Sun », est revenu en force avec une douce balade entre ciel et terre, d’une maturité plus qu’affirmée, avec des morceaux lourds mais toujours plein de classe et en suspension dans l’air et le temps. Comme si vous pouviez admirer le paysage de leur pays lointain depuis un palais invisible perché dans les nuages. Laissez-vous porter par ces mélodies oniriques, ce chant clair puissant, et même quelques passages expérimentaux dub / ska pour garder un minimum les pieds sur terre.

KIKAGAKU MOYO « Masana Temples » (Guruguru Brain)

Toujours plus loin dans l’Est à la recherche de perles rares, nos oreilles sont tombées (un peu trop tard) sous le charme d’une beauté qui n’avait accompagné ni plus ni moins que les américains de Earthless en concert cette année (et se sont même joint à eux sur scène au Roadburn.) C’est peut-être le plus gros coup de coeur de 2018, et une des plus belles offrandes de la discographie de ces japonais aux cheveux et au tempérament si soyeux. Une interprétation très personnelle et orientale d’un acid rock original, puissant, doux et savoureux comme un rouleau de printemps psychédélique blindé de cithare. Des génies.

♠︎ LE TOP DE LORD PIERRO ♠︎

SLEEP « The Sciences » (Third Man Records)

Depuis quinze ans et la sortie de « Dopesmoker », album culte de la scène stoner/doom, tout amateur du genre se demandait si les rares apparitions du groupe et les trop rares morceaux s’échappant des volutes de fumée du duo Pike/Cisneros donneraient un jour naissance à un véritable album, capable de succéder dignement à ce monument. Alors quand sort « The Sciences » le 20/4, au-delà du symbole weedian, c’est tout une frange des fans de musique qui s’agenouille et crie au miracle, comme des croyants pris d’hallucinations après avoir ingurgité de mauvais champignons. Mais il ne s’agit pas d’un miracle, Sleep a bel et bien sorti un nouvel album, et il faut faire face à la dure réalité : « The Sciences » est le meilleur album du genre, le meilleur album de l’année surtout, et Sleep prouve une nouvelle fois qu’ils sont les maîtres vivant incontestés du Riff, succédant aux Seigneurs Iommi et Butler. Point final. Suivez la fumée…

MESSA « Feast For Water » (Aural Music)

Tel un OVNI qui passerait dans le ciel et viendrait se planquer sur une colline loin des regards, Messa est arrivé discrètement dans le paysage musical il y a deux ans, seulement aperçus par une poignée de curieux, prêts à renoncer à leurs références musicales pour s’abandonner à la musique des italiens. Grace soit rendue à ces premiers témoins, essayant de faire découvrir la pépite qui se cachait chez nos voisins transalpins. Car avec la sortie de « Feast for Water », il n’est désormais plus possible d’occulter la vérité et le monde entier va vite le découvrir : telles les sirènes attirant les marins par leurs chants, Messa va attirer les foules par son talent, irradiant les auditeurs par des chefs d’œuvres de créativité et d’originalité dont nous ne sommes que trop rarement témoins. Subjugué par leur album et leur première apparition en France en mai dernier, Messa est la révélation de l’année et sera la sensation des festivals 2019. Vous aussi, devenez adeptes et tentez l’expérience, vous n’en croirez pas vos oreilles.

EAGLE TWIN « The Thundering Heard » (Southern Lord Records)

Si le duo est originaire de Salt Lake City, surtout connue pour ses mormons et son équipe de basket, le Jazz, la musique délivrée par la paire Gentry Densley / Tyler Smith est bien plus lourde et massive que le genre bien classifié qu’est le jazz. Densley brode ainsi ses riffs selon son inspiration, issue de la littérature et particulièrement de tout ce qui touche aux mythes, quelles que soient leurs origines. Ce troisième album ne déroge pas à la règle et Smith a pu se lâcher sur ses fûts, alourdissant des morceaux qui ne manquaient pourtant pas de puissance, donnant une ampleur toute cataclysmique aux thèmes de fin du monde que le chanteur essaie de propager à travers son chant, par moment aussi posé qu’un spoken word. Aussi incroyable que cela puisse paraître et bien meilleur que les groupes traditionnels du genre, Eagle Twin a sorti l’album le plus lourd et le plus sous-estimé de l’année. If you want Doom, you’ve got it !

♠︎ LE TOP DE YANNICK K. ♠︎

SUNNATA « Outlands » (S/R)

S’il y a bien un épicentre de la production sismique qui a pu être mesuré sur l’échelle du riff cette année, c’est bien la bouillonnante Pologne. Parmi cette nouvelle guilde de bretteurs, citons le cas de Sunnata et son troisième opus « Outlands ». Le groupe propose bien plus qu’un voyage à travers les ruines d’un monde englouti sous sa propre crasse. C’est une lente infiltration de votre esprit par la démence. La définition même de la folie. Les guitares schizophréniques plantent un décor mystérieux et occulte, et vous transportent au gré des effluves et des brumes filandreuses. La rythmique, tantôt tribale, tantôt syncopée prend un malin plaisir à vous y égarer. Au chant, Sunnata psalmodie dans une reverb ésotérique pour vous envouter définitivement ou vous endoctriner à grands renforts de montées messianiques. Méticuleux voire carrément maniaque, le groupe délivre un album captivant. Signe d’un grand disque, « Outlands » est un puzzle de détails puisés dans les multiples inspirations du groupe, jalonnant leur propre itinéraire doom vers des territoires sonores encore inexplorés.

GRAVEYARD « Peace » (Nuclear Blast Records)

Lorsque l’on évoque les seventies, on pense à l’orgie de riffs que déversaient allégrement les dignes représentants de cette époque. C’est souvent à l’origine même du Heavy Metal Thunder auquel on veut faire référence. C’était oublier à quel point cette décennie était soul… Fraichement revenu des morts, il n’en pouvait être autrement pour Graveyard. Conjurant ses errances blues de leur précédent album, Graveyard sonne plus fort et plus puissant que jamais. Mais c’est bel et bien la puissance soul qui se dégage de « Peace ». Alors que les suédois auraient pu se contenter de nous briser les nuques, leurs chants seuls sont les parures d’une magnifique poésie macabre. Le parfum des chrysanthèmes et une pluie de fleurs fanées annoncent le spleen des mélodies. Le chant éraillé et habité vous ensevelira six pieds sous terre et les roses entrelaceront vos cœurs serrés. Cette soul vous prend aux tripes comme l’épitaphe d’un groupe qui n’a plus rien à perdre. On ne revient pas une seconde fois à la vie. Mais lorsqu’on met autant de feu et de passion dans sa musique, la Grande Faucheuse sait faire quelques exceptions. Dellamorte Dellamore.

WYCHHOUND « Earth Orbiter » (S/R)

Les tops de fin d’année ne seraient qu’un agrégat d’albums choisis suivant un système de notation basé sur une arithmétique inversement proportionnelle à la variable plaisir, si on n’y ajoutait pas notre découverte personnelle, que l’on défend envers et contre tout. Notre « prix spécial du jury » en somme. Si la rédaction de THC a amplement choisi (à juste titre) d’élever Messa au rang de petit protégé, permettez-moi de citer Wychhound. Deux ans à peine après leur 1er EP, le groupe se sépare de son chanteur. Ne se laissant pas démonter, le groupe choisit le tout instrumental pour ce « Earth Orbiter » ! Pari risqué lorsque la base de fans durement conquise s’attend à entendre des « chansons »… Dans ce genre de cas, on invoque le Saint Riff et on balance la purée. Wychhound fait le choix d’un enregistrement live pour délivrer un minerai brut à peine taillé où le primitif dégage puissance, et l’imparfait un attachement sincère à ses compositions. Libéré de ces mots (ou maux), le quatuor invente son propre langage… Subtile sensation d’avoir été transporté par une histoire sans pour autant en avoir saisi le sens. Qu’importe, vous avez dorénavant un nouveau vocabulaire pour composer la vôtre.

Last modified: 4 février 2019