Au début, je voulais résumer mon report en une phrase : « SONIC BLAST… Pour le croire, il faut le voir. » Et puis je me suis rappelé que c’était mon rôle de vous le faire voir au travers de mots, alors commençons. Après avoir traversé le désert aride espagnol et bravé des montagnes gigantesques et semi-calcinées, les portes de la petite ville de Moledo do Minho (au Nord du Portugal) se sont ouvertes à nous, au bord d’une mer glaciale, perdue dans une vallée incroyablement fleurie. (ILLUSTRATIONS : Razort)
Plus d’une heure à le chercher, et nous trouvons enfin le camping. On nous a dit « C’est à peu près par là » en désignant une forêt de pins et de ronces à peine débroussaillée. On n’y croyait pas. Un camping à la sauvage, dans le sable, improvisé. Un point d’eau, des douches froides mais gratuites, un seul point info ouvert quelques heures pour poser les bracelets… Mais dans quoi avons nous atterri ? Pas le temps de se questionner, trop subjugués par la beauté des lieux, la plage et son coucher de soleil que nous nous empressons d’aller voir comme si c’était le premier artiste du séjour. Le lendemain, le ciel bleu, le soleil et un vent doux sont au rendez-vous. Nous découvrons des rues pavées, tortueuses, qui grimpent sur une grande colline débouchant sur la Pool Stage, la première scène qui – comme son nom l’indique – est au bord d’une piscine, dans un complexe qui… bah on ne sait pas trop ce que c’est.
Une seule entrée/sortie difficilement identifiable, une bibliothèque en guise de point presse, des toilettes cachés au sous-sol, un balcon en béton pour pouvoir admirer le premier groupe de cette première moitié de journée : SOLAR CORONA. Trio de rock psychédélique instrumental, les Portugais sont accompagnés exceptionnellement par un saxophoniste, ce qui me rappelle d’emblée la musique des génies ECSTATIC VISION. Look ultra 70’s, moustache et chemises colorées, solos lointains qui résonnent dans l’air, tout y est. Bercés par cette agréable découverte, nous continuons de découvrir les lieux et de nous familiariser avec son public, radicalement différent des autres pays. Aussi bavards et festifs que les Espagnols, les Portugais semblent bien plus calmes, détendus et chaleureux que n’importe qui d’autre. L’ambiance est très cool, peut-être aussi grâce à l’orientation musicale et idéologique du festival. Le soleil commence à frapper fort, et nous nous rendons compte que nous avons oublié un accessoire essentiel : le maillot de bain. Sur le chemin du camp, nous sommes surpris par quelque chose d’assez exotique : motos, voitures, camions, festivaliers, et habitants passent tous par les mêmes ruelles étroites. Ca devient progressivement un bazar sans nom dans toute la ville. De magnifiques jardins, véritables oasis de plénitude, encadrent ce monde mécanisé et attirent également notre oeil.
Si bien que de retour au festival, nous arrivons pour la fin du set d’ATAVISMO, qui pour ma part ne me convainc pas trop : des sonorités trop « pop latino » sur un morceau qui commençait pourtant très bien, dans des tons desert rock. Le fait de voir des musiciens en chemise à fleurs et lunettes de soleil doit aussi jouer sur la perception de leur performance. Pris d’une mini crise d’agoraphobie, je pars explorer la ville pour prendre l’air. Il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de monde sur cette première journée (le festival affiche complet), et le soleil n’arrange rien !
Au loin, alors que j’essaye de trouver mes repères dans une foule de plus en plus compacte, j’entends les sonorités si belles d’ASTRODOME mais ne réussis pas à en profiter. Je me remémore alors leur superbe prestation au Sidéral Bordeaux Psych Fest en avril dernier. Ils avaient ouvert avec leur set quasi-instrumental, noyés de lumières et formes géométriques hypnotisantes, dans une salle à peine remplie… Je me dis que d’autres doivent mieux profiter que moi, qui suis en panique total pour trouver un coin où me poser. Pour les mêmes raisons, il m’est impossible de voir les seigneurs jammeux d’ELECTRIC OCTOPUS. Je suis au contraire très loin, quelque part dans la ville, lorsque que je remarque quelque chose de fabuleux qui réussit enfin à calmer ma crise : le son est présent PARTOUT. Situation géographique, relief, ou architecture de la ville en cause, toujours est-il qu’il est possible d’écouter les concerts avec une précision sonore époustouflante, où que l’on soit. Je m’assoie donc sur un petit muret, admire la vue et me laisse porter par les solos groovy et oniriques du poulpe portugais (qui, d’après les applaudissements, en met plein les oreilles à l’assemblée). Au-delà, des montagnes verdoyantes, des arbres dansant des slows, la mer qui chante en chahutant. Même le soleil me paraît désormais agréable dans ce vent frais qui remonte de la plage.
Aller-retour express au camping avant de découvrir la Mainstage, encore plus surprenante que la piscine. Dans un petit square herbeux, entre deux toboggans et trois balançoires, au milieu des habitations et des jardinets remplis d’énormes courgettes et autres légumes méditerranéens, la lumière ambiante tourne au rouge. Les festivaliers, après quelques minutes d’attente, pénètrent calmement dans ce lieu étonnant, en compagnie de leurs enfants pour certains, d’une pinte pour d’autres. Tous trimbalent leurs serviettes de plage et leur bonne humeur… Ambiance Club Med sur coucher de soleil, douceur et joie de vivre sont au rendez-vous alors que commencent les si gentils BOURRINS ANGLAIS DE CONAN. Peut-être est-ce l’euphorie de les revoir (ce groupe figure parmi mes préférés et parmi mes plus grosses baffes scéniques), mais je dirais de ce concert qu’il a été un des plus étranges de ma vie. Ni bien, ni mauvais, juste… bizarre. Voir Jon Davis en lunettes de biker débarquer sur scène, tenter de hurler dans un micro mal réglé, et en compagnie de deux nouveaux musiciens inconnus au bataillon m’a laissé très dubitatif au début. Le vent ballotant les enceintes, le son reste aléatoire, distordu. On reconnait difficilement les titres. Les growls de l’ancien bassiste sont absents et manquent cruellement à la performance. Un batteur au look thrash metal tape comme un bourrin, parfois des notes qui ne sont même pas censées être là… Tout semble accéléré quand il faut que ce soit lent, et lent quand il faut que ça soit accéléré. Bref, on a du mal à se plonger dans la musique habituellement noire et introspective du groupe. Je suis cependant super content de réécouter le classique « Satsumo », titre trop rare. Deux nouveaux morceaux font également leur apparition, mais c’est difficile de juger dans de telles conditions. Dommage.
Si le coucher de soleil a ruiné l’ambiance de ce premier concert de Mainstage, il a en revanche sublimé celui des italiens de UFOMAMMUT. Qui n’a jamais vu le trio sur scène ne peut pas comprendre ce que ça fait de passer sous une ponceuse géante, noyé dans les infra-basses et les samples ésotériques ramenés d’on-ne-sait quelle galaxie lointaine. La Rickenbacker verte à paillettes brille de mille feu face au soleil rouge qui disparait progressivement dans l’Atlantique. Je réalise alors enfin où je suis : Sonic Blast Moledo est un lieu unique dans l’espace-temps. Une sorte de Woodstock version Stoner Rock, perché en haut de cette montagne qui tremble désormais sous les titres à rallonge du mammouth volant. Seul bémol : les trois barbus aiment un peu trop les rappels et se mettent trop en avant, ce qui contraste avec le caractère intimiste de leur musique et en devient presque agaçant. Dommage aussi pour les vidéos projetées en fond, complètement effacées par la lumière naturelle. Mais tant pis : on est au Portugal, bordel !
La nuit tombe, un vent marin assez froid se lève. Nous descendons chercher de quoi nous couvrir et remarquons que même tout en bas, au milieu des pins, le son de la Mainstage est incroyablement limpide. Aucun bruit alentours ne vient perturber les festivités (malgré une route et un chemin de fer traversant la ville). Nous entendons donc de loin le show survolté de NEBULA, complété d’un superbe lightshow qui nous attire tels des papillons de nuit. Nous finissons devant pour les deux derniers titres, et alors que nous commençons à peine à nous remettre des émotions de cette première journée, la pétée ultime surgit. Elle se nomme CAUSA SUI. Des jams de folie, des vidéos kaléidoscopiques, des lumières ultra psychédéliques, et une pêche d’Enfer soufflent tout à chaque morceau. Les Danois mettent tout le monde d’accord, c’est un pur moment de délire.
Comment rendre cet instant encore plus magique ? Allongez-vous dans l’herbe avec une Super Bock à la main, laissez vous porter et admirez les étoiles. Ces étoiles incroyables qui scintillent et forment des connexions neuronales célestes sublimes. Elles seront d’ailleurs mon seul et unique spectacle pendant toute la durée du set de SAMSARA BLUES EXPERIMENT. Comme en 2015 au Hellfest, je reste étendu au sol pour faire une sorte de « sieste dans la Valley » mais sous la Voie Lactée. Une expérience qu’on ne peut vivre qu’une fois. Les Allemands nous emportent dans leurs titres merveilleux influencés par entre autre le bouddhisme et l’hindouisme. Bien reposés par ce moment en dehors du temps, nous voici déjà face à la dernière baston de la journée.
Un autre groupe allemand vient clôturer la Mainstage, dans un tout autre registre. Même eux n’en reviennent pas de jouer ici ce soir, et le chanteur remercie tout le monde avant de commencer à nous aplatir la tête avec sa guitare. C’est parti pour MANTAR, véritable ovni sludge/black metal/hardcore tombé dans « un festival de hippie » comme le dit si bien Hanno. « Je sais que c’est la fin de la journée, vous êtes fatigués, mais c’est vendredi soir, on fait la fête, on se bourre la gueule ! » Le duo déborde comme d’habitude d’énergie et vient déchaîner une foule qui commençait timidement à pogoter tout à l’heure. « Cross the Cross » déclenche un cataclysme, « Astral Kannibal » détruit tout sur son passage, et les remerciements si doux et chaleureux du charismatique et maigrichon chanteur/guitariste laissent un sourire constant sur le visage des derniers rescapés. Il est temps d’aller se coucher sous les étoiles. Même la lune a gagné un sommeil bien mérité.
Last modified: 5 octobre 2018