« Rien de tel qu’un peu de rock œcuménique pour faire la nique à ces salauds ! » Ce commentaire d’un fan laissé sur l’évènement Facebook du concert de OM au lendemain du 13 novembre donnait le ton. Voir le trio californien en concert à Paris, c’est toujours un évènement ; ce soir-là, c’était à la fois un défi, une thérapie de groupe, et une messe. Mais surtout, surtout, une superbe soirée de musique.
C’est rare d’aller à un concert de rock la peur au ventre. On peut, certes, ressentir quelques picotement d’appréhension avant d’aller voir Rage Against the Machine (« vais-je ressortir avec un bras dans le plâtre ?« ) ou Bob Dylan (« va-t-il s’asseoir sur son propre répertoire, et ma jeunesse avec ?« ). Mais la peur ? On avait oublié – depuis une génération ou plus – que notre passion pour les guitares saturées pouvait faire de nous des cibles. J’avoue m’être dit, en portant sur l’univers de OM un regard « nouveau » (pour ne pas dire parano), qu’ils pouvaient faire figure de chiffon rouge pour quelques excités du bocal. Et j’avoue qu’à mon arrivée au Divan du Monde, je n’en mène pas large. Je scrute du coin du coin de l’œil les sorties de secours, et je ne pense pas être le seul.
C’est aux Belges de BLACK HEART REBELLION que revient la tâche difficile de dissiper la tension, et permettre à la musique de reprendre ses droits. Appuyé par une rythmique puissante et une guitare plus discrète, le frontman Pieter Uyttenhove donne libre cours à ses pulsions de prédicateur fou – un chanteur « habité », on appelle ça. Petit problème : ses vocalises ne sont pas assez variées, ni assez claires (ah, ce micro qui sature !) pour captiver l’attention. L’instrumentale est riche en percussions de toutes sortes, mais trop pauvre en riffs mémorables ; lorsqu’il y en a, ils tournent dix minutes…
Morale #1 : en musique, à force de vouloir créer de l’espace, parfois on fait le vide. Morale #2 : réduire le budget « tambours, tambourins et maracas », augmenter le budget « micro ». Bref, pour la musique, ce n’est pas tout à fait ça (même si certaines chansons passent très bien sur disque). Par contre, pour dissiper la tension, c’est gagné : un bêlement lancé dans le public, en réponse à une cloche des Alpes martelée par le chanteur, déclenche l’hilarité générale.
Place désormais au rock œcuménique (nique nique) de OM. Très applaudis, les Californiens se lancent dans un set enlevé, qui fait la part belle aux morceaux d’Advaitic Songs – superbe dernier album du groupe, en attendant la sortie d’un nouvel opus prévu (dit-on) pour l’année prochaine. La section rythmique, cœur historique de la musique de Om, est évidemment somptueuse. Al Cisneros hypnotise la salle avec ses lignes de basses tortueuses, caressées du bout des doigts, et son chant sobre mais envoûtant. Emil Amos est l’homme aux mille-et-un fills, une bibliothèque humaine de breaks et roulements inspirés, d’une précision folle.
Mais c’est Robert Lowe, véritable couteau suisse musical, qui fait la plus forte impression. Guitare, percussions, clavier, chant lyrique… c’est l’un des rares êtres humains dont on puisse dire : « il joue du tambourin comme un dieu ! » Grâce à ce recrutement en or, Om retrouve en live l’incroyable richesse sonore qu’il distille sur vinyle. Il n’en fallait pas moins pour exorciser la terreur, la tristesse, l’incompréhension. On n’aura pas eu, ce soir, de grand discours pour les disparus et aux blessés du 13 novembre. Mais on aura eu un “thank you for coming, it’s an honor to play for you“ d’oncle Al et, quand on connaît la nature peu diserte du bonhomme, on sait que ça vaut tous les hommages.
Last modified: 2 décembre 2015