Braver 1h15 de transports en commun aux heures de pointe un lundi soir pour aller se faire violenter par du métal extrême à Savigny Le Temple, il faut vraiment que les groupes attendus en vaillent la peine. Sur le papier c’est plutôt le cas. La première partie est assurée par THE GREAT OLD ONES, le quintet bordelais prometteur qui, comme son nom l’indique, rend un hommage musical aux écrits du génial H.P. Lovecraft, qu’on se fait une joie de voir sur scène. Puis BEHEMOTH en tête d’affiche, soit l’un des rares gros groupes de la décennie 2000 à avoir réussi à se faire une place au plus haut de la scène métal en terme de notoriété et de reconnaissance artistique. (PHOTOS & TEXTE : Sylvain Golvet)
Les deux groupes ont par ailleurs tous deux sorti de très bons albums en 2014, on se fait donc une joie de voir sur scène dans une configuration de petite salle, même si le show de BEHEMOTH implique une certaine ampleur. Une ampleur qui était présente sur la grande scène du Hellfest 2014 mais quelque peu atténuée par un son un peu brouillon et tournant à cause du vent, à cause aussi des interactions un peu limitées avec le public. À charge de revanche donc. Mais place d’abord à la première partie.
L’avantage de baser ses thématiques sur les écrits de Lovecraft, c’est que cela offre clé en main une force d’évocation qui parle immédiatement au spectateur. L’horreur indicible, des hommes rendus fous par leurs découvertes, des créatures prêtes à surgir d’outre-monde pour envahir l’humanité… Je ne vais pas vous refaire sa carrière mais rien que l’évocation d’un nom comme Cthulhu embarque avec lui son cortège d’images abominables. L’ambition de THE GREAT OLD ONES est de traduire en sons ces histoires. Le groupe a même eu la riche idée de composer son album Tekeli-li sur la base des Montagnes Hallucinées, un des récits les plus emblématiques de son auteur, narrant l’expédition en Antarctique d’une équipe qui va progressivement découvrir l’horreur d’une ancienne civilisation pré-humaine hostile. Sur scène cela se traduit par une rangée de cinq musiciens en ligne parfaite, prêts à faire déferler sur le public un post-black metal violent et éthéré. Des spots rares, bleutés et blafards ainsi qu’une fumée omniprésente achèvent de mettre en place l’ambiance requise (même si pas très idéals pour les photos par ailleurs). Les rythmes sont lents, les stries aigus des guitares sont lancinants, quelques breaks et moments plus calmes annoncent une tempête imminente : il faut peu de temps pour que l’on soit emporté, et on frissonne à plusieurs reprises. Le son est bon et le groupe gère plutôt bien la présence de trois guitares. Les deux chanteurs hurlent comme s’ils étaient rendus déments par une rencontre effrayante et impossible à rendre compte autrement que par la violence et la folie. L’imagination fera le reste, perdue dans les étendues blanches et gelées du Pole Sud (bien mise en condition par la température de décembre).
Rien de tel qu’un petit Yob dans les enceintes à l’entracte pour ressortir du brouillard. Le temps pour les roadies polonais de finir l’installation de la scène, impressionnante pour une salle relativement petite comme l’Empreinte, et l’on peut commencer à changer d’univers pour se mettre dans l’ambiance du show blasphématoire qui va suivre.
Car en terme d’ambiance et d’univers, BEHEMOTH n’est pas en reste. La panoplie complète d’un bon spectacle satanique est déployé dans un décor rendu monumental, même sur une scène plutôt réduite, par une batterie énorme placée sur une plateforme en hauteur, par ses pieds de micro mêlant symboles occultes et têtes de serpents, et des structures métalliques. Évidemment la pyrotechnie sera plus limitée ce soir, mais le groupe a de quoi compenser. À priori je ne suis pas forcément client des mises en scènes grandiloquentes et de l’attirail black metal, j’ai même souvent l’impression de voir des groupes grimés à la va-vite mais qui peinent à incarner leur personnage ou à donner vie à leur univers. Sauf que Behemoth maîtrise son concept jusqu’au bout des bottes. Déjà, parce que leur direction artistique est toujours d’assez bon goût, comme l’attestent leurs dernières pochettes d’album ou le clip impressionnant de Blow Your Trumpets Gabriel. Sur scène, là où les Polonais se distinguent c’est par le dosage de théâtralité et de spontanéité. Sans se limiter à des artifices, ils mouillent le maillot régulièrement, donnent de la grimace, s’avancent vers le public, l’alpaguent et donnent de leur personne physiquement. C’est particulièrement le cas ce soir grâce à la proximité avec le public (pas de barrière en avant-scène) et la taille humaine de la salle. Les accessoires sont tout de même là : les bâtons enflammés, le corpse paint, les capuches, le collier de pattes de poulet (!) et même un mégaphone. Tout ce qui permet au show de ne pas verser dans la répétition et de rester dans le bigger than life propre au style.
Mais cette variété passe aussi par la musique. Behemoth n’enchaînent pas les blast beats comme des dératés, mais mélangent les genres, les rythmes et les ambiances. Beaucoup de death évidemment, quelques plans black mais aussi des ambitions presque prog (l’introductif Blow Your Trumpets Gabriel et sa violence plus sourde et menaçante, ou The Satanist et ses cuivres). Ils n’oublient pas non plus régulièrement de placer quelques plans de grosse caisse qui font taper dans les mains sans verser dans le racoleur. En tout cas le public répond présent, ça bouge bien dans la fosse et ça participe de la voix et des bras. Les Polonais bénéficient en plus ce soir d’un son bien compact mais assez fin. La setlist va évidemment piocher dans toute la discographie du groupe et révèle une maîtrise de la narration du set en variant les plaisirs. Finissant son set par O Father O Satan O Sun!, le morceau psalmodiant et cathartique qui termine The Satanist, Behemoth fait aussi comprendre qu’il n’est pas là que pour la violence et n’oublie pas l’émotion qu’on peut retrouver chez Gojira par exemple.
La soirée terminée, on repart dans le froid attendre un RER qui mettra du temps à arriver, sas de décompression parfait après le déluge qui a déferlé sur nous.
Last modified: 11 juillet 2015