Au printemps 2014, on peut dire que les chroniqueurs rock et métal ont littéralement croulé sous les sorties de tous styles. Le truc chiant, c’est qu’il faut sacrément de temps et d’énergie pour remplir son devoir et nourrir le lectorat avec des points de vue plus ou moins aiguisés, plus ou moins subjectifs. Le truc très cool, par contre, c’est que le cru 2014 est de très grande qualité : Greenleaf, Wo Fat, Eyehategod, Radio Moscow, Dean Allen Foyd, Black Bombaim et j’en passe. Et comme à T.H.C, on aime bien rendre la découverte facile, c’est en trois rayons qu’on va explorer les tueries sorties ce printemps : gros rock (pour les puristes), vestes à patchs (pour les mecs qui savent faire du vieux avec du neuf, ou inversement), et sludge (pour les amateurs de gras). Attention, lourd niveau.
Au temple du Rock
GREENLEAF « Trails & Passes » (Small Stone Records)
On ne les présente plus aux aficionados de heavy rock scandinave, mais au cas où vous découvririez GREENLEAF : il s’agit initialement d’un side-project ou plutôt super-project fondé par le génial guitariste Tommi Hallappa (Dozer), et qui a vu passer devant son micro les chanteurs de Lowrider, Dozer ou encore Truckfighters (l’élite du stoner rock suédois, en somme). Désormais rassemblés autour de leur tout nouveau vocaliste Arvid Jonsson, c’est une excellente surprise que ces garçons nous offrent avec ce sixième opus. Rafraichissant au possible, « Trails & Passes » transmet une énergie incroyablement positive du début à la fin. Dans un kaléidoscope d’influences 70’s, le fuzz en prime, les Suédois enfantent un album ultra coloré et vivant : « Trails & Passes » est l’album du lâcher prise pour eux comme pour nous, à tel point qu’on finit avec des envies de sautiller et danser bêtement dans notre salon… ou de courir à poil en pleine nature, c’est selon. Ça pourrait être la bande-son d’une grosse fête païenne, une célébration à la gloire d’un Rock sacrément bien fichu et sacrément fun, le genre qu’on devrait avoir plus souvent dans nos oreilles. Ce retour de nos Suédois chéris est une réussite absolue !
DWELLERS « Pagan Fruit » (Small Stone Records)
Small Stone Records ou l’art de systématiquement dénicher des groupes incroyables. Et avec les Américains de DWELLERS, on atteint des sommets de magnificence façon National Geographic du rock. Je veux dire, avec des noms de morceaux comme « Rare Eagle », « Devoured By Lions » ou « Return To The Sky », on en prend déjà plein notre imaginaire, alors si en plus le son qui va avec est d’une finesse et d’une beauté absolues, on en a presque la larme à l’oeil. La fiche presse décrit les influences du groupe comme allant « de Hawkwind à Soundgarden, de Monster Magnet à Captain Beyond, de Sons of Otis aux Screaming Trees« . C’est vrai que « Pagan Fruit » est habité par l’esprit des 90’s (et bon dieu, que c’est bon), mais s’il y a quelque chose qui m’a plus que frappé chez les DWELLERS, au-delà de leurs riffs dévorants et de la production super organique, c’est la voix rauque et puissante de Joey Toscano : Layne Staley, sort de ce corps. Ou plutôt, n’en sors pas. Tantôt spectaculaire et crépitant, tantôt fragile et enivrant, « Pagan Fruit » nous désarme et nous fait planer à contre-courant des albums concepts sur-pensés et sur-produits. On atteint un tout autre niveau, comme l’impression de toucher quelque chose qui nous avait été enlevé il y a bien longtemps, comme l’impression de se reconnecter avec le Rock sous sa forme la plus sombre et captivante. Pour compléter le tableau, une pochette sublime. « Pagan Fruit » est sans conteste aucun l’une des plus belles sorties rock de 2014.
WO FAT « The Conjuring » (Small Stone Records)
WO FAT. En choisissant ce blaze, les mecs ne revendiquaient pas une passion inavouée pour les films de sabre chinois, mais décrivaient bel et bien la réaction primaire à l’écoute de leurs morceaux. « BON SANG QUE C’EST GRAS ». C’est à se demander si ce mot n’a pas été inventé pour eux, et eux seuls. Le combo heavy-blues-bbq de Dallas est donc de retour avec un cinq titres surpuissant et à l’artwork plus qu’explicite, et bien que la formule soit en tout point la même que sur les deux précédents opus, c’est comme le confit-frites : il n’y a pas plus bourratif, mais on en reprend parce que c’est trop bon. Le plus souvent, les riffs se font trainants, toujours maintenus sec et ferme par une section rythmique mammouth… mais il leur arrive aussi de se mettre à swinguer sévère, et ils le font bien ! Du graillon donc, et puis du fuzz, du fuzz, du fuzz, de la slide, des thèmes « evil » et une fâcheuse tendance à nous happer dans des jams de 15-20 minutes quand ça leur prend (voire le troublant mais délicieux « Dreamwalker » en fin de disque). « The Conjuring » est un aller sans retour pour une virée dans l’enfer des crossroads, une bonne grosse teuf enfumée avec tous les gars qui y ont laissé leur peau. Si vous n’avez ni peur de la crise de foie, ni de la gueule de bois, glissez cet album dans votre platine et prenez votre dose de stoner blues pour l’année. Savoureux.
Vestes à patchs
HOT LUNCH « House Of Whispers » (Heavy Psych Sounds / Tee Pee Records)
Dans la lignée des groupes pur jus californiens qui ont décidé de nous faire totalement vriller avec leur heavy rock siglé 70’s, HOT LUNCH se pose là. Tout aussi friands de tricks dans les dogbowls asséchés de San Fran’ que leurs foufous de copains The Shrine, HOT LUNCH n’est pas encore un groupe très connu en Europe, mais une tournée par chez nous en complément de ce joli album, et leur côte de popularité ne tardera pas à décoller. Zéro prétention et zéro volonté de « paraître » chez ces mecs-là, le quatuor vibre et nous fait vibrer au son d’un rock qui tend à la fois vers le garage punk à roulettes et le heavy rock 70’s à la Leaf Hound ou Highway Robbery. Du sacrément bon rock’n’roll gorgé de fuzz qui vous met un gros punch dans la face, en somme. Cinq titres survitaminés, des compos d’excellente facture, un don pour les couplets/refrains entêtants, et de bonnes vibes tout du long : voilà en quelques mots ce qui vous attend avec ce très réussi « House Of Whispers ». La B.O de l’été, à écouter partout et surtout, à plein volume. Les gens dans la rue se demanderont pourquoi vous affichez ce sourire débile, et vous n’en aurez rien à foutre, parce que vous écouterez la galette rock’n’roll de l’été, et pas eux !
DEAN ALLEN FOYD « Sunshine / Devil’s Path EP » (H42 Records / Crusher Records)
Beaucoup ont tendance à l’oublier, mais l’exercice de l’EP repose avant tout sur un putain d’effort d’efficacité. Tout donner en une micro poignée de morceaux, mettre une balayette aux concurrents, faire vibrer l’audience en un rien de temps. Je ne connaissais DEAN ALLEN FOYD que de nom lorsque j’ai reçu l’exemplaire promo de leur nouveau 7″ sorti sur le label allemand H42 Records, et je ne regrette clairement pas le voyage, car ces deux titres sont électrisants, extravagants et euphorisants au possible. Le quatuor dandy de Stockholm a injecté toute sa sève (et un sacré paquet d’acide) dans ce mirifique disque, et nous paye un shot psyché-country-rock’n’roll de dix minutes dont on aimerait qu’elles ne s’arrêtent jamais. Si le prix à payer pour profiter en boucle d’un si jouissif instant de volupté rock est un aller simple pour l’enfer, alors je signe sans hésiter. Bon sinon, y’a la touche « repeat », aussi. Tout ça pour dire que « Sunshine » tabasse ; il y a comme un feeling de Blue Cheer faisant sa fête au Grandfunk Railroad, avec une propension encore plus forte au je m’en foutisme. C’est seulement lorsque qu’on écoute « Devil’s Path » et sa sublime intro alliant violoncelle funèbre et guitare/sitar étrange, puis cet enchevêtrement de gratte slide, de piano honkytonk, le tout dans une explosion de joie riffique suprême… Cet EP « cowboy psyché » est une drogue, la meilleure des drogues.
RADIO MOSCOW « Magical Dirt » (Alive Records)
Pour moi, RADIO MOSCOW est l’illustration même de l’expression « they haven’t invented the wheel, but (damn) they can roll it ». Et Parker Griggs est l’incarnation même du multi-instrumentiste supra doué et hyperactif qui connait exactement les formules qui marchent le mieux pour lui, et pour son groupe, d’autant plus depuis que le lineup du trio s’en enfin stabilisé autour du batteur Paul Marrone et du bassiste Anthony Meier. Je ne connais pas l’histoire derrière « Magical Dirt », et pour être honnête ça ne m’intéressait qu’à moitié lorsque j’ai commencé à rédiger cette chronique, parce que le son est tellement chatoyant, les riffs vous saisissent si rapidement… Qu’au fond, on s’en fout, de l’histoire. À tous ceux qui avaient surkiffé le réservoir à tubes et premier album « Brain Cycles », accrochez-vous : « Magical Dirt » est du même acabit. L’electric boogie blues prodigué par Parker et ses copains véhicule une énergie flamboyante du début à la fin, dont on peut d’ores et déjà tirer quelques très efficaces singles : « Death Of A Queen », « These Days » ou encore le très funky « Bridges ». Assurance et complicité ont très sûrement été les éléments-clés lors de la composition de ce nouveau RADIO MOSCOW, tant les bonnes vibrations éclatent à tout instant. Hymne à la teuf.
Doom & sludge motherfuckers
EYEHATEGOD « Eyehategod » (Emetic / Housecore Records)
Difficile, voire extrêmement difficile de ne pas user de superlatifs pour décrire ce tant attendu nouvel album d’EYEHATEGOD. Je me suis même demandé si l’envie irrépressible de les utiliser ne serait pas due au manque (14 ans, bordel !), mais voilà : « Eyehategod » est purement et simplement l’un des meilleurs albums que le groupe de la Nouvelle-Orléans ait jamais écrit à ce jour. Quand les quatre précédents albums exprimaient une brutalité souvent vacillante, faisant de cette sensation omniprésente d’intoxication aux substances la marque de fabrique d’EHG, ce cinquième album atteint des sommets de violence, mais surtout de détermination. Jamais Mixe IX Williams et la famille n’ont semblé aussi bien dans leurs pompes, comme si après 25 ans de déboires chroniques, le groupe relevait enfin la tête et savait exactement où il allait. Les morceaux punk n’ont jamais été aussi punk (« Agitation! Propaganda! », « Framed To The Wall »), Henri Rollins doit sûrement en avoir fait son album de chevet, et on ne gâchera pas notre plaisir à écouter Joe LaCaze (RIP) se déchaîner une dernière fois derrière les fûts. Mention spéciale à « Flags & Cities Bound » pour son délire spoken work sur fond de larsen : il n’y a que Mike IX pour pondre un tel concept et en faire une vraie bombe à retardement. En attendant de voir le quintet infernal de NOLA mettre à mal les scènes et les salles d’Europe, on se rince à volonté avec cet album 100% cathartique et absolument génial. EYEHATEGOD est grand, EYEHATEGOD est roi. Chapeau bas aux maîtres incontestés du sludge métal US.
GURT « Horrendausaurus » (When Planet Collides)
Ce nouvel album sorti des tripes des quatre Londoniens GURT et 100% auto-produit (sans l’aide d’aucun crowdfunding, oui c’est encore possible) est clairement leur plus belle réussite, si ce n’est un accomplissement pour un groupe qui vit sa musique plus que passionnément. Pépite sludge aux forts relents crust et blues (si si), « Horrendosaurus » démontre tout la capacité du groupe à offrir des compos variées au son rond et chaud et aux atmosphères super travaillées, s’éloignant par la même occasion de ce son purement swamp sludge des débuts (et donc de toute comparaison avec leurs légendaires compatriotes Iron Monkey). Je ne sais pas à quel degré de violence vous aimez votre passage à tabac sonore, mais je peux vous dire que celui-ci dure près de trois quarts d’heure et est sacrément bon. Et parce qu’il n’est pas bête et méchant, « Horrendosaurus » raconte de vraies putain d’histoires, dont les titres improbables sont la preuve de cette approche si décalée propre à GURT. Vous l’aurez compris : « Horrendosaurus » est un album de sludge métal sombre et singulier, mais qui n’en reste pas moins hautement divertissant. Pour tous les fans de gros son qui en ont marre d’entendre à longueur de temps des riffs monocordes et sans couleur : le groove de GURT est bien parti pour vous saisir aux cojones et ne plus vous lâcher !
MONOLORD « Empress Rising » (EasyRider Records)
Après les très occultes Salem’s Pot, le label EasyRider (qui se nomme désormais Riding Easy Records pour des raisons juridiques) nous revient avec une nouvelle prod doom venue du froid : MONOLORD. L’idée ici n’est pas vraiment de créer de l’inédit, mais plutôt de jouer à qui frappera le plus lentement et le plus fort. Car le truc de MONOLORD, c’est bien plus le gros doom stoner qui tâche que le psychédélisme à solos dont on ne voit jamais la fin. Grâce à des riffs rampants et insidieusement orgastiques, les Suédois nous font tripper pendant près de 45 minutes : notre esprit part se perdre on ne sait où, tandis que notre corps est balloté comme un vieux tas de d’os et de chair insignifiants, écrasé par la puissance du Lord. Chaque morceau de « Empress Rising » vous saisit comme un putain de tremblement de terre venu mettre vos entrailles sans dessus dessous. On se plait à avoir des réminiscences d’Electric Wizard, Church Of Misery ou encore, eh ben tiens, leurs copains de label Salem’s Pot dont je parlais plus haut ! Bref, ce tout premier essai de MONOLORD est plus que concluant, et se pose comme une des tueries stoner doom de cette (riche) année 2014.
Hors-catégorie… quelque part dans le cosmos.
BLACK BOMBAIM « Far Out » (Lovers & Lollypops / Cardinal Fuzz)
BLACK BOMBAIM : un nom qui, quand on le connaît, évoque aussitôt une invitation au voyage. Deux ans après le fabuleux « Titans », lequel offrait une véritable séance de jam qui incluait nombres d’invités prestigieux (dont Isaiah Mitchell d’Earthless et le saxophoniste des Stooges, Steve Mackay), le trio instrumental de Barcelos revient avec un deux titres de 35 minutes, exploration vers des horizons toujours plus surprenants. 100% auto-produit et sorti sur leur propre label Lovers & Lollypops, « Far Out » compose autour de jams qui empruntent autant au space rock qu’aux sonorités afro-jazz, drivées par des rythmiques extrêmement dynamiques et une basse chaude omniprésente. Difficile de décrire les sensations que procurent les deux morceaux « Africa II » et « Arabia » (si leur nom ne sont pas déjà assez explicites comme ça…), disons juste que l’évasion est instantanée, et que si il fallait vous situer la chose, je dirais que les cosmic jammers d’Earthless ont eu une influence majeure dans la musique de BLACK BOMBAIM.
À DÉCOUVRIR ÉGALEMENT :
SALEM’S POT « …lurar ut dig på prärien” (EasyRider Records) : chronique
MOS GENERATOR « Electric Mountain Majesty » (Listenable Records) : chronique
BONGCAULDRON « BongCauldron » (Superhot Records) : chronique
Last modified: 21 novembre 2014