Neil Fallon (CLUTCH) : « Je préfère passer la pire des journées dans le rock que la meilleure des journées dans la routine. »

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Neil-Fallon-by-Krissy-Bertram

Et la légende fût. Fort d’un rock profondément ancré dans ses racines blues et rhythm’n’blues, le quatuor américain CLUTCH navigue allègrement au large des tendances et du qu’en dira-t-on, et ce depuis vingt-trois ans. Après quatorze albums (dont une grosse poignée de classiques), leur nouvel album « Earth Rocker » fait l’unanimité, synthétisant à merveille l’esprit du groupe : force, fun, rock’n’roll et osmose entre quatre musiciens d’exception. « Earth Rocker » est carrossé pour le live, à l’image du magnétique frontman NEIL FALLON. Cet homme est comme un pasteur version heavy rock : on l’écoute religieusement, on ne le quitte pas des yeux, on boit ses paroles, et on finit en transe. Et à la ville, Neil est une force tranquille. De sa voix de baryton, il partage expériences et ressentis avec une générosité et une sincérité sans pareils. C’est dans le calme de leur loge au Krakatoa de Mérignac que Neil m’accueille, dans un confortable canapé en cuir rouge, comme à la maison. On parle de la tournée, bien sûr, et du dernier album sous toutes ses coutures, forcément. Mais cerise sur le gâteau, on finit par dériver des considérations promo pour parler tourisme et séries Z. Rendez-vous avec oncle Neil pour une leçon de rock, direct à la source. (Photo : Krissy Bertram)

Bon tout d’abord, comment s’est passé le Kristonfest hier soir ? 

C’était bien ! Il n’y avait que trois groupes présents, car Karma To Burn a annulé , je ne sais pas pourquoi. On les connaît depuis vingt ans, ces mecs. Le public était super.

J’ai discuté avec les gars d’Orange Goblin hier à Toulouse, ils te passent le bonjour et s’excusent pour leurs potes anglais complètement bourrés sur la tournée… 

(rires) Pas de souci ! J’ai appris un truc : peu importe où tu te trouves dans le monde, si tu joues de la musique live et que tu y ajoutes de la bière, alors les gens finissent toujours dans le même état. On a l’habitude.

D’une certaine manière, Clutch et Orange Goblin partagent un parcours similaire, dans le sens où vous existez depuis plus de vingt ans et avez toujours cet esprit très underground. Je pense que vous méritez une plus grosse reconnaissance. Comment expliques-tu le fait que vous n’ayez jamais connu un succès plus commercial, étant donné votre belle réputation dans le milieu rock ?

Difficile à dire. Dans les années 90, les majors signaient un paquet de groupes à cause de Nirvana, et on en a fait partie, même si on n’avait rien à voir avec eux. On a été jetés dans un système qui attendait de nous des hits et des disques de platine, mais nous ne sommes pas ce genre de groupe. On écrit de la musique pour un groupe précis de personnes. On a jamais essayé de pondre des hits, on ne sait pas faire. Et je suis heureux que ça n’ait pas fonctionné, car l’un des meilleurs moyens pour briser un groupe est de connaître un gros succès commercial. D’une, parce que le groupe doit être à la hauteur après ça, de deux, parce qu’il s’habitue à un certain style de vie, qui est généralement éphémère. On aime juste faire de la musique, ce qui m’amène à voyager et à rencontrer des gens, et à être avec un groupe de gars avec qui je m’entends super bien. Je pense que c’est ce que les gens apprécient chez Clutch : nous sommes accessibles. Tu vois, on ne joue pas dans des stades devant des gens qui ont l’air de Légos…

« On a été jetés dans un système qui attendait de nous des hits et des disques de platine, mais nous ne sommes pas ce genre de groupe. On a jamais essayé de pondre des hits, on ne sait pas faire. »

Mais parfois, tu n’es pas fatigué de tourner non-stop ? Tu n’as pas envie de retourner à une petite vie tranquille et routinière ?

J’aime tourner, mais plus je vieillis, plus mes racines reprennent le dessus. On a tous des familles à présent, on a des enfants et c’est beaucoup plus dur de quitter la maison à cause de ça. Mais c’est aussi ce qui paie les factures, donc autant je déteste quitter ma famille, autant je préfère passer la pire des journées rock’n’roll que la meilleure journée coincé dans les bouchons, pour aller au bureau… Ça me rendrait fou ! Quand on rentre chez nous, on y est 24 heures sur 24. On n’a pas d’obligations, on peut jouer avec les gosses toute la journée, c’est un peu comme des vacances… avec un enfant de trois ans ! (rires)

Tu aurais fait quoi de ta vie si tu n’avais pas été musicien ? 

(soupir) C’est dur à dire, parce que je n’ai aucune compétence utile ! J’ai pensé à être prof, parce que je ne savais pas quoi faire d’autre, et que j’ai toujours aimé l’école. Donc ça serait sûrement une chose que j’aimerais faire, mais tu sais, voyager est une bonne forme d’éducation aussi. On est amenés à tourner dans le monde entier, et à retourner dans certains endroits encore et encore… On rencontre des gens vrais, c’est un super apprentissage.

« J’ai pensé à être prof, parce que je ne savais pas quoi faire d’autre et que j’ai toujours aimé l’école. »

Quel est l’endroit que tu préfères, dans ce cas ?

Tu vois, je ne peux pas parler de l’endroit que je préfère sans vexer tous les autres ! (rires) J’aime aller quelque part pour la première fois, comme lorsque nous sommes allés à Athènes il y a quelques années, et que je suis allé voir l’Acropole et toutes ces ruines… J’aime ce genre de trucs, j’aime l’histoire. Pouvoir passer une journée entière dans ce genre d’environnement, alors qu’aux États-Unis, on joue dans des clubs dans des centres commerciaux, près de Walmart… C’est chiant. (rires) Donc je dirais l’Acropole.

L’Europe est carrément l’endroit idéal pour les fanas d’histoire, parce qu’il y a vraiment quelque chose de particulier qui se dégage de toutes ces villes… 

Tu le sens partout, et ça te rappelle à quel point ce continent est humble, parce que tu peux clairement voir les évolutions qu’il y a eu jusque là. Aux États-Unis, tout est tellement nouveau… Je pense que l’une des raisons pour laquelle les Américains sont si arrogants, c’est parce qu’ils n’ont aucun point de référence. Notre histoire a démarré il y a seulement 200 ans, à peu de choses près. Venir ici a quelque chose de fascinant. Je fais tous les trucs touristiques à chaque fois, et je prends des photos avec mon téléphone…

Il semblerait que pas mal de musiciens aiment venir en Europe, car apparemment, le public européen est beaucoup plus enthousiaste que le public américain… 

Le public ici est plus positif. On a un super public aux États-Unis, c’est sûr, mais il y a aussi une sorte d’animosité dans le hard rock, que vous n’avez pas ici. Il y a beaucoup de bagarres, les foules peuvent être très agressives parfois… Ça peut être marrant, comme pas du tout ! (rires)

Je trouve que tu as une approche lyricale très terre-à-terre. Peux-tu me parler des thèmes abordés dans le nouvel album, pour tous ceux qui ne parlent pas anglais ?

Eh bien, si je devais être un peu critique envers moi-même, je dirais que j’écris des paroles trop longues, avec trop de mots. Cette fois-ci, je voulais faire plus simple. »Strange Cousins » était un album assez sombre, alors j’ai voulu écrire un album plus fun. Il parle du rock’n’roll. Plus je prends de l’âge, plus je comprends l’histoire du rock’n’roll, et quel rôle on a pu jouer au milieu de tout ça. Ça paraît normal, dans le sens où je vis en plein dedans. Il n’y a pas si longtemps, le rock’n’roll était une chose prohibée, c’était très dangereux… Brûler des disques des Beatles, ça paraîtrait complètement absurde à l’heure actuelle ! « Earth Rocker » est comme une sorte d’échappatoire, j’ai écrit des histoires courtes, pour pouvoir parler de tout ce que je veux sans jamais me planter. On a une vie ennuyeuse, donc je ne peux pas vraiment parler de mon expérience personnelle. C’est plus de l’ordre du fantasme, j’imagine…

Oh allez, je suis sûre que tu as plein de trucs cool à raconter. Ou peut-être que tu ne veux pas en parler… 

Tu sais quoi, il faudrait vraiment que je prenne des leçons de poésie pour rendre ça intéressant… (rires)

Donc littéralement, que signifie le terme « earth rocker » ? 

C’est un truc pour se motiver. On a une expression entre nous, pour qualifier quelqu’un qui est dans le rock’n’roll pour la vie. On les appelle les « full time jammers » (jammeurs à plein temps). Comme par exemple, Lemmy Kilmister ou Wino. J’ai essayé de placer ça dans un morceau, mais il y avait trop de syllabes. Donc j’ai trouvé « earth rocker ». Ça veut dire « Je suis rock’n’roll pour la vie, quoiqu’il advienne »‘.

« Earth Rocker » signifie « Je suis rock’n’roll pour la vie, quoiqu’il advienne ».

Tu n’aurais pas pu trouver meilleur titre pour cet album, car c’est probablement le plus rentre-dedans et rock’n’roll que Clutch ait jamais sorti… Il donne une sacrée patate ! 

Cool, merci ! On voulait faire un album très efficace qui ne tourne pas autour du pot, dans lequel tu peux rentrer direct. Il est conçu comme nos albums favoris, ceux de Black Sabbath ou Led Zeppelin, qui ne font que 40 minutes… Face A, face B… Une fois que tu as fini de l’écouter, t’as envie de le ré-écouter. J’espère qu’on est parvenu à rendre cet effet là.

Parle-moi de cette ballade absolument fantastique en plein milieu de l’album, « Gone Cold »… 

Eh bien d’habitude, quand on compose un album, on se dit « il faut qu’on fasse plus de morceaux rapides ». Cette fois-ci, on a tout écouté et on s’est dit « il faut qu’on écrive une ballade ». Les morceaux s’enchaînaient donc on a voulu placer une pause au milieu, pour que les gens puissent reprendre leur souffle. Tu remets tes tympans à neuf, et tu tournes le vinyle sur la face B. On a pas eu de mal à l’écrire, une fois qu’on a su ce qu’on voulait.

J’ai lu quelque part que le procédé d’enregistrement pour « Earth Rocker » a été totalement différent de votre fonctionnement habituel, dans le sens où vous avez enregistré tous les instruments de manière individuelle. Comment ça se fait ? 

Et ils ont non seulement été enregistrés séparément dans l’espace, mais aussi dans le temps. On a fait pas mal de pré-production dans la cave de Jean-Paul, puis on a enregistré la démo telle quelle. Tous les tempos, les solos, les paroles… Pour la première fois, j’ai écrit les paroles avant d’aller en studio. Chacun savait exactement ce qu’il avait à faire, donc Jean-Paul est parti en studio tout seul, il a enregistré les pistes de batterie en quelques jours, puis Dan est parti là-bas deux jours et a enregistré les pistes de basse. Je ne les ai même pas vus !  C’est très bizarre pour nous, car d’habitude, c’est eux trois dans la même pièce, et moi dans la cabine voix. Je pense qu’on aurait jamais pu faire ça, si on avait pas fait toute la pré-production en amont, et qu’on ne savait pas exactement où on allait.

Ça reste quand même impressionnant de voir que vous vous connaissez si bien les uns les autres, que vous n’avez pas eu besoin de vous concerter pendant les sessions studio.

Et il n’y a eu quasiment aucun rattrapage sur Pro Tools, pour te dire ! La piste de batterie est le squelette, alors une fois que ça, c’est en place, nickel, le reste vient très facilement…

Comme nous sommes tous les quatre égaux dans le groupe, on a besoin d’un producteur, un dictateur temporaire qui puisse nous dire « c’est à chier » ou « ça, c’est bien ». 

Si je comprends bien, Jean-Paul a fait une grosse partie du boulot de pré-prod.

Nous tous. On a répété dans sa cave, parce que c’est beaucoup plus simple d’amener des guitares que de trimballer une batterie. Il a un petit studio là-bas, où il apprend la production, donc on a de la chance d’avoir ça en place. Mais comme nous sommes tous les quatre égaux dans le groupe, on a besoin d’un producteur, un dictateur temporaire qui puisse nous dire « c’est à chier » ou « ça, c’est bien ». Parfois, quand tu écris un riff, t’as tendance à vouloir l’écouter soixante-quatre fois… Le producteur te dira « non, écoute-le huit fois ». Et une fois que l’album est bouclé, tu renverses le dictateur et redeviens un groupe.

Donc on est d’accord que le dictateur est un mal nécessaire pour avoir des retours neufs sur votre travail ? 

(hoche la tête) On se connaît tellement bien tous les quatre, qu’on serait du style à se dire « tu veux faire quoi ? » « je sais pas, tu veux faire quoi, toi ? »… Ça pourrait durer des siècles ! Avoir une paire d’oreilles neuve est le meilleur moyen d’avoir du recul sur les choses.

Hier soir lorsque je discutais avec Ben et Martyn d’Orange Goblin, ils m’ont appris que le gars qui a enregistré et produit leur dernier album n’était absolument pas issu du milieu métal. Ça a été très rafraîchissant pour eux de travailler avec lui, et au final, « Eulogy For The Damned » est l’un des meilleurs albums qu’ils aient jamais sorti ! 

Ouais, j’adore cet album. Ça a aussi du bon de sortir de ta zone de confort. Prendre quelqu’un comme lui peut apporter quelque chose de très excitant à ce qui peut être devenu une sorte de formule.

En parlant de choses excitantes, quels sont les albums que tu as écouté récemment et pour lesquels tu as eu le coup de coeur ? 

J’ai écouté un groupe du nom de Moab et leur album « Ab Movo« , ça a peut-être deux ans, mais je les ai entendus la première fois en prenant l’avion pour l’Europe. C’est un super album avec d’excellentes parties vocales, il chante dans un registre assez aigu qui donne bien. Quoi d’autre ? Hmm… Tu sais, je suis tellement entouré de musique en permanence, que j’aime écouter le silence… Mais qu’est-ce que j’ai acheté récemment ? Oh, le groupe allemand Kadavar, ils sont vraiment bons. (je pointe du doigt mon magnifique t-shirt Kadavar) Oh, voilà ! (rires) Je ne les connaissais pas jusqu’à ce qu’on joue sur la même scène au SXSW. Ils me rappellent le krautrock allemand des années 70, qui est heavy mais où le mec n’essaie pas de t’effrayer, c’est plus un truc psyché et aérien, j’aime assez ça. (j’en profite pour lui parler du départ du bassiste Mammut, il me pose alors tout un tas de questions sur les circonstances de son départ, ainsi que sur le nouveau bassiste)

Je ne regarde que trois séries à la télé : The Walking Dead, Game Of Thrones et Breaking Bad.

Le morceau « The Regulator » a été récemment utilisé dans la série The Walking Dead. Est-ce que tu regardes des séries dans ce genre, et surtout : est-ce que tu aimes les zombies ? 

(rires) Les zombies, c’est le truc du moment, hein… J’ai toujours aimé les zombies, j’adore les films de Romero depuis toujours. Je ne regarde pas beaucoup la télé, mais The Walking Dead est une série que je regardais avant même qu’ils utilisent notre morceau. Alors quand j’ai su qu’ils allaient l’intégrer au show, j’étais super content. Il n’y a que trois séries que je regarde à la télé : The Walking Dead, Game Of Thrones et Breaking Bad. Je pense que ça a un rapport avec le scénario. Mais ouais, les zombies sont vraiment devenus à la mode, dernièrement…

Peut-être un peu trop…

Ouais, c’est comme pour tout. On découvre un truc, tout le monde s’enflamme, puis ça devient rébarbatif et les gens perdent l’intérêt pour la chose.

Bon, je pense que cette interview touche à sa fin ! Laisse moi juste te souhaiter un très bon concert, et une bonne fin de tournée. Vous reviendrez prochainement en Europe ? 

Je sais que pour ce qui est de l’Europe, ce sera tout pour 2013. Si on revient, ce sera sûrement au printemps 2014. On va prendre une petite pause, il faut que je repeigne la maison… (rires)

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EN TOURNÉE CET ÉTÉ : 

4 juillet – Metaltown Fest / Göteborg, Suède
5 juillet – Tower / Breme, Allemagne
6 juillet – Vainstream Rockfest / Münster, Allemagne
7 juillet – Kulturfabrik / Luxembourg, Luxembourg
8 juillet – Waterfront / Norwich, UK
9 juillet – Rock City / Nottingham, UK
10 juillet – The Ritz / Manchester, UK
11 juillet – Forum / Londres, UK
13 juillet – Principal Club Theater / Thessaloniki, Grèce
14 juillet – Gazi Music Hall / Athènes, Grèce

Last modified: 30 juin 2016