Desertfest Belgium 2023 : le report.

Written by À la une, Live

Octobre 2023. Le monde part toujours un peu plus en couille. Guerres et attentats terroristes sont malheureusement toujours dans le vocabulaire des actualités, alors une évasion sonique le temps d’un week-end est un remède éprouvé contre la morosité ambiante. 9ème année que la DF team Antwerp nous soigne à grand renfort de doom (un peu), de psyché (beaucoup), de sludge (passionnément) et de fuzz (à la folie). 9 ans que le totem et sa collection de stickers annonçant le DESERTFEST trône immuablement devant l’entrée du TRIX. Le complexe musical demeure en effet le lieu parfait pour que la magie s’opère. On garde les salles à jauges variées — Vulture Stage pour les découvertes, Canyon Stage pour les groupes confirmés et Desert Stage pour les têtes d’affiches — une zone de merch (pour dépenser sans compter et papoter) et le food court (le combo frites / Julio’s mojitos fera des heureux) pour faire de ce fest un lieu aussi pratique que magnétique. Au-delà du lieu, c’est en effet toute la clique élargie du stoner qui se déplace pour rentrer en communion dans ce temple de la musique. C’est aussi et surtout ça, le Desertfest Antwerp : le plaisir renouvelé de retrouver les potos, les inconnus identifiables à chaque édition pour échanger rires, decibels et Cristal Pils. Desertfest 2023, and so the sonic ride continues… (PHOTOS : Sylvain Golvet)

JOUR 1 – Vendredi 20 octobre

Et cette excitation de croiser chaque nouvel arrivant nous fait manquer, il faut bien le dire, l’entrée en matière du festival, le Sabbath Worship Margarita Witch Cult et les retro Siena Root. C’est donc le post quelque chose de This Will Destroy You qui nous plongera réellement dans la musique. Et quelle musique ! Les envolées mélancoliques hachées par un tumulte névrotique de guitares tissent une poésie à la fois aérienne et cathartique. C’est délicat et lumineux dans ses passages les plus expérimentaux mais les tourbillons de guitares conservent une forte attraction émotionnelle. Les yeux encore embués, on se laisse tenter par la proposition des polonais de Moonstone comme première découverte de la Vulture Stage. Dans le sillage de leurs compatriotes, ce trio propose en live un doom bien plus abrasif et atmosphérique que ce que laissait présager leur dernier album (« Growth », 2023) dont les inspirations sont plutôt à chercher du côté de Pallbearer ou le classique Type O Negative.

Arrive irrémédiablement le clash du week-end. Choisir, c’est renoncer, dira t’on. Grossière erreur : Dans ce cas précis, il fallait immanquablement être des deux feux de la soirée. Commencer par l’hypnotique set de Carlton Melton puis enchaîner avec le revival 90’s de Quicksand. Ce qui se passe tout d’abord sur la Vulture Stage est un trip à l’état pur. Carlton Melton c’est une pulsation motorik à son sommet couplé aux sinistres ambiances de John Carpenter. C’est une envie d’explorer la métaphysique de l’espace tout en creusant l’humain après l’avoir jeté en terrain hostile. Autre salle, autre ambiance. C’est la Canyon Stage à la jauge compacte qui accueille Quicksand pour son « Slip 30th Anniversary Tour ». Surprise de taille, c’est Stephen Brodsky qui accompagne le trio et ses multiples effets de shred se fondent à merveille dans le post—hardcore tranchant et cristallin (comme la pils) des new-yorkais. Le prolixe guitariste aura été de tous les fronts cette année avec Cave In, Mutoid Man et en guest à présent sur cette tournée. Et on redemande ! Le plaisir affiché de Walter Schreifels et Sergio Vega alimente l’euphorie du public prêt à se déhancher sur leur groove aiguisé. Le moment feel good du festoche.

Puisqu’on a tous mieux à faire que de supporter le rock pouët-pouêt de Truckfighters, on découvre Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Sous cet étrange pseudonyme se cache Brian Tristan, fondateur du Gun Club puis guitariste au sein des Cramps et aux côtés de Nick Cave. Rien que le CV du gonze valait bien un petit crochet sur la Vulture Stage ! On navigue entre neo-western et blues psyché suffisamment groovy et excentrique pour susciter l’intérêt. On a à peine le temps de gravir les marches vers la Canyon Stage et s’hydrater qu’arrivent les autres légendes de la journée, les bien nommés Nebula. Tout de blanc vêtu, Eddie Glass attire tous les regards et le voir en forme débiter du riff au kilomètre a de quoi réjouir. Mention spéciale pour Mike Amster dont les attaques franches et sèches alimentent le groove imparable des américains. Quelques slams, plusieurs hochements de têtes et pourtant … il manque un je-ne-sais-quoi pour contredire l’avis général à la sortie de ce concert. Un set sans surprise ? ou bien serait-ce le public lui-même qui m’a refroidi, à majorité flamand, réputé pour être plus statique ?


JOUR 2 – Samedi 21 octobre

Ce constat se confirme le lendemain devant The Vintage Caravan qui a bien du mal à réveiller une foule immobile alors que le trio islandais investit pleinement chaque m2 de la grande scène, s’agite comme jamais et harangue la foule avec leurs tubes « On The Run », « Midnight Meditation » ou « Expand Your Mind ». Il est peu aidé il est vrai par un son désastreux qui aura gâché bon nombre de prestations de la Desert Stage. Le duo de Mantar subira également quelques déconvenues techniques mais la puissance assénée est telle que l’on ressort soufflé à chaque fois de leur prestation. Erinç est un fusil mitrailleur derrière sa batterie auquel Hanno répond par des riffs de tronçonneuses et, penché sous son micro, donne de tout son cri tendu pour apporter du sens à sa colère. C’est visuellement hypnotique, c’est violent, c’est sale, c’est vicieux, c’est impudent et effronté, bref c’est Mantar.

Toujours sur la grande scène, King Buffalo n’aura pourtant pas souffert de ces problèmes de son. Le trio avait déjà fait forte impression au Hellfest cet été mais le show délivré ce soir-là frôle la perfection. Ni plus ni moins. A l’image des formes géométriques qui se meuvent derrière eux, tout se joue sur la lente dynamique de leurs motifs répétitifs. La voix cristalline de Sean McVay, presque susurrée, et la basse ronde et féline de Dan Reynolds apporte plénitude à un public déjà en transe. Pas toujours conquis sur album, il faut bien reconnaitre que leurs prestations live sont de sublimes voyages sur tapis volants.

D’autres pas forcément captivants sur album ont également réussi le tour de force de marquer les esprits de ce Desertfest 2023. Red Sun Atacama jouait en même temps que d’autres Frenchies dont la réputation n’est plus à faire (Year of No Light). Pourtant toute la France Stoner s’est massée devant la Vulture Stage pour ce qui s’avère être la consécration des bordelais. Entre punk furieux et blues hypnotique, les trois soleils rougeoyants de l’Atacama ont littéralement fait fondre les murs du Trix. Un cap est désormais franchi et la prestation restera pour sûr dans les mémoires. Un concert qui restera également dans les annales du festival est certainement celui des cultes La Muerte (« Quoi t’as raté La Muerte ? C’était une tuerie Mec ! » reste la phrase que j’ai le plus entendu du week-end) dont les retours dithyrambiques n’a égal que leur réputation. D’autres conseils m’ont été moins utiles comme celui d’aller voir Khan. Leur stoner psychédélique était plus somnifère que réellement enivrant.

Si j’ai (consciemment ou inconsciemment ?) évité tous les « witch » du week end (Margarita Witch Cult, Witch Piss, Dead Witches, Satanic Witch), Cult Of Luna reste bien la tête d’affiche immanquable de ce samedi soir. On a beau avoir vu et revu COL, le mur du son colossal déployé force le respect. A chaque fois. Du groupe, on ne distingue que des silhouettes à travers un épais écran de fumée pour se concentrer uniquement sur leur musique écrasante et viscérale. COL, toujours aussi percutant après 25 ans, semble repousser toujours et encore les limites sonores.

En clôture de ce deuxième jour, on regrettera juste l’annulation de The Great Machine, remplacé au pied levé par des turlupins de kermesse qui ont eu l’ingénieuse idée d’offrir leur galette pour tout achat d’un bonnet rouge. Heureusement qu’ils n’avaient pas une caisse de slips Borat à déstocker. On aurait eu l’air fin.

JOUR 3 – Dimanche 22 octobre

Pour cette troisième journée, j’avoue être allé à reculons pour démarrer avec Apex Ten. Encore un groupe qui ne m’avait pas laissé un souvenir impérissable lors de la sortie de leur album en mai dernier (« Aashray »). Mais sur les conseils, avisés cette fois-ci, de Lords of the Valley, ces esthètes oranges que l’on croise dans toute bonne bamboche Stoner, j’ai traîné mes guêtres à la Vulture Stage. Et voilà encore un groupe qui mérite amplement que l’on s’attarde sur leurs shows, fait d’improvisations quelque part entre Elder et Electric Moon. On conseillera vivement leur live « Chem-trails Live » paru en 2022 pour se faire une meilleure idée de la formation. Que du bon pour quitter terre sans forcément atterrir. Et on avait envie de rester dans les étoiles cet après-midi là. Qui de mieux que Monkey 3 pour rester en orbite ? Epargnés par les soucis de son de la grande scène, les suisses font ressusciter Pink Floyd dans sa version la plus cosmique. Le bonheur d’être ici se lit sur le visage de Boris de Piante. Ses solis, très gilmouriens, sont expressifs sans jamais prendre le dessus sur le reste de la musique du groupe. C’était sublime à en pleurer. Littéralement. On a beau avoir fait ce voyage plusieurs fois, le paysage à travers le hublot est toujours aussi magnifique. Et si l’horizon n’était justement pas source de toute chose ? D’autres légendes du Desert Rock, honteusement coincés sur une Vulture Stage pleine à craquer, viennent conclure cette journée instrumentale par une méditation où l’infini côtoie le plus profond de notre âme. Assister à un concert de Yawning Man, c’est croiser la route d’un chaman. Le trio dessine des arabesques sonores propice à l’introspection. Complètement centrée (trop ?) sur leur charismatique mais mutique leader Gary Arce, on regrette toutefois l’absence de Mario Lalli dont les lignes de basses n’étaient pas sans pareille pour se transporter dans ce voyage immobile.

Le dimanche on avait aussi droit au Rock, celui qui défouraille, à commencer par les locaux de Fire Down Below. Avec des hymnes stoner tels que « Cocaine Hippo », « California » ou « The Last Cowboy », ils ont de quoi foutre le feu à la Canyon Stage. Le groupe connaît ses classiques en se plaçant sans surprises entre Kyuss et Fu Manchu et leur ferveur est telle (le dernier morceau sera joué dans le public) qu’on ressort ravis, prêts à enchaîner dans la débauche de fuzz avec Duel ou encore The Atomic Bitchwax. Tous deux également prévus sur la Canyon Stage, l’étage du Trix devient le siège de la bringue Rock en ce dernier jour de fest. Pas de temps mort avec Duel et son proto-metal dopé au kérosène. Ils incendient la salle dont la taille sied bien mieux à ce groupe que les grandes scènes en open air. Ca commence enfin à sentir la sueur ! Des gens rincés, ruisselant de transpiration, on en croisera également à la sortie du concert des tauliers de The Atomic Bitchwax. On sait exactement que « Forty-Five » suivra « Hope You Die » et « Giant », « Birth To The Earth », «War Claw » puis « Kiss The Sun » sont indissociables, pas vrai ? Et alors vous êtes exactement venus pour cela, non ? Mais le raout fuzz le plus inattendu fût certainement celui de Howling Giant. Sérieux, ces gars ont tout donné. A commencer par une dose de pur fun et des mimiques complices avec le public. Un public de connaisseurs qui le lui rend bien en reprenant à tue tête les refrains. On ne saura réellement vous définir ce mélange de plusieurs styles Heavy et Stoner mais leur entrain est tellement communicatif que l’on se prend vite au jeu.  Bien évidemment la Vulture reprend à l’unisson « Godzilla ». Oui, LE titre mythique de Blue Oyster Cult (leur reprise est présente sur le tribute à BOC « Dominance & Submission »). Même le groupe semblait surpris de ce qu’il venait de se passer…

L’autre surprise pour nous festivaliers fût sans conteste le concert de Shellac. On est au delà d’un simple concert. Musicalement, on se détache de toute forme de rationalité. Shellac brise complètement la structure de la musique, des titres, d’un concert. On croit entendre des bribes de mélodies bricolées ensemble mais on est bien en face de mathématiciens du découpage. Et c’est l’absurde et l’extraordinaire qui viennent remplir les cases vides. Shellac mélange musiques et blagues, interpelle le public, l’éduque aussi, le questionne sur des sujets de société. Shellac, c’est LE concert Méta.

Et comme on finit toujours une pièce montée par une belle coiffe, c’est Dopelord qui servira de cherry doom on the cake. Le gâteau sera servi à l’étage, dans l’antre Rock du Trix. Salle comble. Let’s Doom’n Roll ! Tout le monde se remue. Les refrains de « Children of the Haze », « Night of The Witch » ou « Reptile Sun » sont repris tels des incantations doom tandis que « Headless Decapitor » fait déborder la Canyon Stage transformée en chaudron maléfique. Dopelord maîtrise d’une main de maître les variations de rythmes entre lourdeur, embardées presque punk jusqu’aux acres fumées psyché. Des putains de « Doom Bastards ».

S’il fallait résumer le Desertfest 2023 du Trix, on gardera certainement le moment feel good du week end avec QuickSand, la délicatesse de This Will Destroy You, la pulsation motorik de Carlton Melton, la maitrise parfaite de King Buffalo, la consécration de Red Sun Atacama, le sale et la fureur de Mantar, le Pink Floyd revival de Monkey 3, le fun de Howling Giant et le concert 3.0 de Shellac. À part le prix de tes frites et les bonnets rouges, s’il-te-plait Desertfest, ne change surtout rien : ça nous fait tellement du bien. Et pour conclure on citera Hanno de Mantar : « And don’t forget: life is good. »

Bisous. À l’année prochaine.

Last modified: 13 novembre 2023