GRAVEYARD navigue à contrepied et bouleverse avec « 6 ».

Written by À la une, Chronique

Soudain les choses sont forcément différentes. Nous en avons désormais l’habitude et je crois que nous n’avons pas encore fini avec les soubresauts de cette période, mais lorsque la pandémie a frappé de nombreux groupes, leur musique s’en est trouvé affectée. Revenus des morts avec leur album « Peace », les consacrant comme chef de file d’une musique proto bien plus inspirée qu’il n’y paraît, le nouvel élan donné et l’euphorie de ce nouvel album de GRAVEYARD s’arrêtent net avec un monde mis sous cloche. La musique devient accessoire, subsister un impératif. Cinq années plus tard, on attendait un Graveyard plus heavy que jamais. On voulait un disque qui soit encore plus over the top que le précédent, une course à la surenchère qui visiblement excédait déjà le groupe en coulisses.

« Comme Peace était un peu plus heavy et rugueux, je pense que c’était le bon moment pour respirer un peu », explique le guitariste et principal lyriciste du groupe Jonatan Ramm. Reflet d’une période perturbée et angoissante de l’humanité, de ses effets et de ses conséquences, le sobrement intitulé « 6 » est immédiatement reconnaissable et pourtant c’est le « pas de côté » d’un groupe plus que jamais émouvant et introspectif, voire plus sombre par moments. Rarement Graveyard aura été aussi proche du blues, celui des bleus de l’âme qui courent subitement sur la peau. Il s’agit d’expulser des choses de soi, d’atteindre l’émotion la plus brute, la plus vraie. Et pour cela, le retour à un matériel 100% analogique était impérieux. Corriger c’est tricher. Les prises sont directes, rudimentaires, pour faire ressortir les aspérités mais aussi les difficultés inhérentes à un tel exercice. Le résultat est là. C’est l’œuvre la plus poignante, dépouillée et authentique du groupe, pour autant traversée d’une élégance rare.

Certes le groupe prend à contrepied la partie de son public qui cherchait le raout électrique et le groove à réveiller les morts. Ceux, toujours amoureux des seventies, apprécieront la plus large gamme de musique avec laquelle ils jouent, du blues langoureux aux larmoyantes et intimes ballades.

Ainsi « Godnatt », ouvrant l’album, est une poésie vintage où le blues coule, coule, coule. « Breathe In Breathe Out » se faufile avec son gospel émergeant de la tourbe. Ce moment fort du disque est une incursion sur le terrain de la soul et fait renaitre les envolées psychédéliques d’un Manzareck et la mélancolie d’un Morrison. La chanson suivante « Sad Song » est d’ailleurs LA chanson triste de l’album, qu’on écoutera les yeux embués et rougis, à fixer le fond de son énième verre vide.

Oh ! Bien sûr, le groupe sait se faire agité avec la remuante « Twice », voire fielleux, notamment avec « Just a Drop » dans laquelle la bête blues tapie et rampante vient mordre dans son dénouement. Mais il faut bien reconnaître que ce disque n’est qu’un écrin pour la voix de Nilsson. Sa voix transcende, tout chaude et rugueuse, et fait toute la différence. Ce disque est taillé pour lui, tordant les notes et roucoulant la seconde d’après comme si tout cela n’était rien que naturel. C’est une abondance de soul où la grâce met en valeur la charge émotionnelle et bouleversante de la musique de Graveyard. le triptyque final « Bright Lights/No Way Out/ Rampant Fields » est emplie de tristesse mais de sa voix il sait rallumer la flamme et faire naître un espoir dans ce spleen.

Il s’agit assurément de l’album le plus sombre de la discographie de Graveyard mais paradoxalement le plus accessible. À contrepied, le groupe a fait de sa catharsis blues & soul un disque sensible où il se montre certainement le plus authentique, parfois (et volontairement) imparfait mais toujours gracieux. Ces fossoyeurs-là savent qu’il faut côtoyer la mort pour renaître de plus belle.

ARTISTE : Graveyard
ALBUM : 6
DATE DE SORTIE : 29 septembre 2023
LABEL : Nuclear Blast Records
GENRE : Hard rock / blues rock
MORE : Label - Facebook

Last modified: 2 octobre 2023