PSYCHONAUT: « En Belgique, nous avons du mal à croire en nous-mêmes. »

Written by À la une, Interview

Il y a des groupes dont la musique parle à votre âme si profondément que votre vie ne sera pas complète tant que vous n’aurez pas expérimentée celle-ci en live. Le bien-aimé trio belge PSYCHONAUT est l’un de ces groupes. Comme beaucoup de gens, je les connaissais de nom, mais j’ai seulement commencé à m’intéresser à eux grâce à l’époustouflant single et morceau-titre de leur nouvel album « Violate Consensus Reality ». J’étais loin de me douter que ce serait là un voyage sans retour qui allait changer mes standards musicaux à tout jamais. Car ces trois-là créent une fusion exquise, complexe et cathartique de post-metal et de metal progressif, jouée avec la maîtrise des plus grands. Les mélodies sont intenses, le shredding titanesque, et que dire des voix ? Voilà probablement l’un des meilleurs duos vocal que j’ai entendu depuis longtemps. C’est par un soir d’hiver parisien pluvieux que j’ai rencontré le sympathique et volubile Stefan De Graef, guitariste et chanteur de son état, avant leur concert à guichets fermés à la Boule Noire, afin de découvrir qui se cache derrière l’un des meilleurs albums heavy de 2022…

Dans une récente interview, tu déclarais que le prochain album de Psychonaut clôturerait la trilogie entamée avec « Violate Consensus Reality » et « Unfold The God Man ». Avez-vous déjà un concept en tête ?

Rien de concret pour l’instant, mais je suppose qu’il s’agira d’une suite parce que nous écrivons toujours plus ou moins sur les mêmes sujets, comme notre place dans l’existence, ce que nous pensons que signifie être vivant, l’exploration de notre potentiel en tant qu’êtres humains… Puisque nous n’avons jamais écrit que sur ces sujets et que c’est quelque chose qui nous obsède, il devrait y avoir une suite.

En parlant de cette thématique qui vous obsède tant, quelle est l’expérience qui a changé ta vie et qui t’as fait voir les choses sous un angle différent ?

Ce n’est pas facile d’en parler… Il y a 12 ou 13 ans, nous nous sommes intéressés à la spiritualité, la méditation, la philosophie et à tout ce qui a trait à nos thématiques actuelles. C’était le résultat d’expériences que nous avions eues avec des substances. Tu sais, on en parle dans les livres, comme Jim Morrison avec les portes de la perception, mais on ne comprend qu’une fois qu’on l’a vu soi-même. Pour nous, tout ce voyage d’exploration et de recherche de notre place dans la vie est né de l’expérimentation de substances… Cela nous a vraiment soufflés. Le simple fait de sortir de son corps, d’être bien plus qu’un simple individu et d’établir des liens avec l’autre d’une manière que l’on n’a jamais connue, quelque chose qui va au-delà de l’amitié, de l’amour ou même du sexe. C’est une chose surprenante et transcendante, si vous êtes tous les deux dans cet espace magique que nous n’appréhendons pas en temps normal. Je pense que c’est là que tout a commencé. Nous ne faisons plus vraiment tout ça, mais le nom du groupe est toujours lié à cela.

« Pour nous, tout ce voyage d’exploration et de recherche de notre place dans la vie est né de l’expérimentation de substances… Cela nous a vraiment soufflés. » – Stefan De Graef

À présent, quelle est l’expérience qui a changé ta vie en tant que musicien et, plus généralement, en tant qu’amateur de musique ?

Le premier concert que j’ai vu avec mon père. J’avais seize ans et je jouais de la guitare depuis seulement trois ou quatre semaines. Il m’a emmené voir Eric Clapton, un concert extraordinaire. Grâce à mon père, je me suis mis au classic rock, au rock des années 60 et 70, des Beatles à Yes, Led Zeppelin, Black Sabbath, Pink Floyd… En regardant Eric Clapton et Derek Trucks, qui est le meilleur guitariste slide au monde, j’ai trouvé leurs solos de guitare tellement impressionnants… Cette expérience a vraiment changé ma vie, rien que de les regarder jouer et de le sentir dans ma poitrine, le volume de la basse, les solos de guitare insensés. C’est la première fois que j’ai réalisé que je voulais faire ça. J’aimais jouer de la guitare, mais je n’étais pas encore certain de vouloir devenir guitariste. En regardant Eric Clapton et son groupe, je me suis dit « ok, je veux faire ça ».

Un jour tu as dit être devenu chanteur par accident, car tu te considères avant tout comme un guitariste. Pourtant, tu officies uniquement au chant dans ton autre groupe Hippotraktor… Comment l’expliques-tu ?

C’est bizarre, mais j’ai été en quelque sorte obligé de chanter. Nous avions un autre groupe avant Psychonaut, avec Thomas (NDLR : bassiste de Psychonaut), moi-même et le premier batteur de Psychonaut, Peter. Nous avions un très bon chanteur, mais en raison de sa vie trépidante, il lui arrivait de ne pas venir aux répétitions. Nous étions lassés de jouer sans chanteur, alors Thomas et moi avons décidé de prendre le relai. Nous ne chantions pas très bien à l’époque (rires), mais après des mois voire des années, on a réalisé qu’il y avait beaucoup de choses que nous ne pouvions pas chanter, mais aussi des choses que nous chantions mieux que lui. Nous avons décidé de continuer parce qu’aucun de nous ne pouvait porter la charge seul. Nous nous sommes améliorés, et il y a quelques années, Kiaran m’a demandé de rejoindre Hippotraktor. J’aimais leur musique et Kiaran est un très bon ami, alors j’ai dit okay, mais j’avais peur de ne pas avoir assez de temps pour étudier les parties de guitare. Je me suis dit que j’allais rejoindre le groupe en tant que chanteur. Cela a été un bon processus d’apprentissage car je n’ai besoin de faire qu’une seule chose, et je ne peux plus me trouver d’excuses si je fais un mauvais concert, je ne peux pas mettre ça sur le dos de la guitare. Cela a été une confrontation, mais cela m’a poussé à devenir un meilleur chanteur. C’est une expérience complètement différente, et c’est aussi incroyable, cathartique et libérateur.

As-tu pris des cours de chant pour améliorer ta voix au fil du temps ?

Non, mais j’aurais peut-être dû ! (rires) J’ai regardé beaucoup de coachs vocaux en ligne pour trouver des astuces. Ce que nous faisons, c’est tenter des choses, exploser nos voix pendant les concerts, puis essayer de réfléchir et construire à partir de là. Nous sommes autodidactes.

Psychonaut est apprécié pour cette dualité vocale justement, car vos harmonies sont impressionnantes et le contraste entre vos deux voix apporte un large éventail d’émotions. Ma question est la suivante : quel est TON duo vocal préféré de tous les temps ?

Le premier qui me vient à l’esprit est Alice In Chains. Layne Staley et Jerry Cantrell, leurs voix s’accordent vraiment bien et ils sont probablement mes préférés de tous les temps. Maintenant, il y a de plus en plus de groupes avec au moins deux ou trois chanteurs. Mon préféré est The Ocean et je crois qu’il y a quatre ou cinq personnes au micro. J’ai toujours aimé les groupes qui ont plus d’un chanteur !

« Je pense que nous avons du mal à croire en nous-mêmes. Nous avons parfois l’impression que nous ne sommes bons que dans notre pays, et que les autres sont meilleurs. Le bon côté de la chose, c’est que nous continuons à nous dépasser et, d’une certaine manière, nous devenons meilleurs. » – Stefan De Graef

Vous venez de Belgique, terre réputée pour héberger parmi les groupes de heavy les plus mélancoliques d’Europe. Il y a tellement d’excellents groupes de post-metal et post-hardcore chez vous. Y a-t-il quelque chose dans l’air qui inspire les groupes à créer une musique aussi puissante et sombre ?

Le fait que nous sommes un si petit pays et que la plupart des groupes connus de notre scène viennent de la partie néerlandophone, cela représente même seulement la moitié du pays. Il y a un truc en Belgique, ce n’est pas seulement la musique, c’est aussi les sentiments et tout ce qui a trait à l’art. Une expression que j’entends souvent ici est « c’est bien pour un groupe belge », une sorte de malédiction que nous nous infligeons. Je pense que nous avons du mal à croire en nous-mêmes. Nous avons parfois l’impression que nous ne sommes bons que dans notre pays, et que les autres sont meilleurs. Le bon côté de la chose, c’est que nous continuons à nous dépasser et, d’une certaine manière, nous devenons meilleurs. Une fois en tournée, c’est alors fou de voir à quel point les gens apprécient notre musique. Mais je pense que c’est lié à cette insécurité. C’est ce qui nous pousse à nous surpasser.

Poursuivons sur le thème de la Belgique. Quels sont les groupes plus récents ou underground que tu souhaiterais recommander aux lecteurs de THC ?

Mon groupe belge préféré du moment s’appelle Pothamus. Ce sont de bons amis, ils sont incroyables, un groupe extrêmement unique, je pense qu’on peut y trouver un peu d’Amenra et peut-être un peu d’OM… Mais pour moi, ils ne sonnent comme personne d’autre et leurs concerts sont super intenses et hypnotiques. C’est ce que j’aime le plus chez un groupe : si je vais à un concert, je veux être hypnotisé et oublier tout le reste. Cobra The Impaler est le meilleur groupe belge de notre époque, du moins pour moi. Je suis très jaloux des deux chanteurs Manu et Michélé, ce sont les meilleurs vocalistes du pays, ils ne ratent jamais une note. Je déteste jouer après eux parce que je dois chanter après eux, et ça craint (rires). Un autre groupe de notre ville natale, Malines : L’Itch. Leur premier disque a été enterré parce qu’ils l’ont sorti pendant la pandémie, ce qui est dommage. Mais ils sont en studio en ce moment même pour terminer un nouvel album, et c’est vraiment un groupe que je recommanderais à tes lecteurs.

Je te laisse le mot de la fin.

Nous serons beaucoup sur la route cette année. Nous allons enfin jouer au ArcTanGent en Angleterre, au Motocultor en France… Venez nous voir dès que vous le pouvez. Venez nous dire bonjour et faites-nous savoir ce que vous pensez de notre nouvel album. Nous aimons aussi entendre ce que les gens pensent du concept de nos albums et si, d’une manière ou d’une autre, ils en retirent une inspiration ou quelque chose de positif… S’il y a quelque chose que vous ressentez dans notre musique, venez nous en parler !

Nouvel album « Violate Consensus Reality » disponible chez Pelagic Records. Retrouvez Psychonaut sur Bandcamp, Facebook et Instagram.

Last modified: 16 mars 2023