DESERTFEST LONDON 2022 – Jour 1

Written by À la une, Live

On vous le répète chaque année mais le Desertfest c’est LA grand-messe. À Londres, au cœur de Camden Town, à la fois typique et éclectique, mêlant punks et autres excentriques. On aura beau embaucher sculpteurs et autres designers pour créer des scénographies toujours plus folles et inspirées, rien ne remplacera l’authenticité et la folie douce de Camden comme décorum de festival. Dixième édition, trois longues putains d’années d’attente et une seule envie, inébranlable, de faire côtoyer monstres sacrés et groupes en devenir, que ce soit sur scène ou au bar devant une Camden Hell’s. Car non, point de zone VIP au Desertfest : les groupes sont des festivaliers comme les autres et ma première bière de la journée sera partagée avec quelques membres d’Elder au QG du festival, le désormais célèbre Black Heart. « Hi, I’m Mike from the band Elder! » Je veux bien que toutes mes journées commencent ainsi. (PHOTOS : Sam Huddleston)

JOUR 1 par Yannick K. : « Hi ! I’m Mike Risberg from the band Elder ».

Et ceux qui ont l’honneur d’ouvrir le bal électrique, c’est SLIFT. L’effervescence est palpable au Ballroom : tout le monde veut expérimenter la sensation frenchy du moment. Et il est désormais clair que rien ne semble arrêter le trio dans sa trajectoire vers le firmament. Le Desertfest Londres était un passage obligé avant de coudoyer les étoiles psyché, krautrock et … stoner. Slift a été accepté par cette scène et le groupe le lui rend bien : la prestation est bien plus sombre et lourde que la galette live des « Levitation sessions ». Slift joue tellement vite que notre cerveau s’effrite à l’idée même de suivre la frénésie hypnotique impulsée par Canek, placé au-devant de la scène. Positionnement peut-être anodin pour certains, mais qui en dit long sur la place de la rythmique dans la musique du groupe. L’épileptique trio provoque même un pogo extatique sur l’hystérique « Lions, Tiger and Bears », final en apothéose de plus de 20 minutes, passant d’une urgence garage à une déflagration doom. Dès lors, tout le Fest n’avait qu’un seul nom en bouche.

Venu en repérage au Powerhaus pour la prestation de Bonnacons of Doom (qui n’aura d’ailleurs jamais lieu), je suis directement happé par le punk abrasif à la sauce fuzz de Shooting Daggers. Le trio est féroce et engagé, à l’image de Sal, la guitariste et chanteuse qui n’effacera pas de son visage une hargne non feinte de tout le set. « For all the men who are touching girls on gig, I got a message for you ! ». A bon entendeur. Leur jeunesse n’efface pas quelques approximations mais leur énergie débordante et leurs mélodies accrocheuses rappelleront à certains le Nirvana des débuts.

Retour au Ballroom pour le défilé des têtes d’affiche. On vous fera grâce des pitreries de Truckfighters, pour passer à l’autre sensation suédoise de la journée : Low fuckin’ Rider. Attendu comme le messie, le groupe remplit vite le temple pour y célébrer la liturgie stoner. Même Mike Risberg est là. La salle est immédiatement chauffée à blanc avec un « Red River » explosif quoique hésitant. Oui, Lowrider est visiblement ému de se trouver devant ce parterre de fidèles. Mais les riffs incandescents font sauter le peu de retenue d’un public compact. Les titres de « Ode To Io » visiblement retravaillés, prennent une nouvelle dimension. Peder place le set sous le signe de l’émotion de son chant délicat et angélique. Lowrider ponctue sa prestation de surprises, à commencer par l’arrivée de John d’Elephant Tree aux claviers, rappelant à leurs fans que les deux groupes sont bel et bien en train de nous préparer quelque chose. Autre surprise : nous n’aurons pas à patienter 20 autres années, puisque Lowrider a déjà quelques nouveaux titres dans sa besace, dont on aura un avant-goût convaincant ce soir. Mais c’est avec « Ode to Ganymede » que l’on essuie autant de sueur que de larmes sur nos joues, tellement les guitares pleurent. Un instant d’aveuglement total, perdu dans l’espace et le temps. Amen.

Pas vraiment le temps de nous remettre de nos émotions que 1000mods démarre déjà ce qui sera la garantie d’un bon moment de fun. La jeunesse sonique grecque rameute les foules avec des titres ultra efficaces et séduit sans peine. Le groupe nous gratifie en une heure des meilleurs titres de sa discographie, dont trois de « Youth of Dissent », album qui en avait laissé plus d’un de marbre. Mais trêve de reproches ce soir, 1000mods est généreux et la machine à riffs fonctionne à plein régime jusqu’à provoquer un dantesque circle pit magnétique.

Ce qui ne sera pas vraiment le cas pour la suite. Attiré par le pedigree du groupe et par l’idée de prendre une belle mandale live, je fonce voir Integrity au bien nommé Underworld. Malheureusement, la sensation de me faire aboyer dessus prédominait tout au long du set. A croire que le public fut également de cet avis, tant je l’ai trouvé statique et peu réceptif à cette fausse sauvagerie.

Changement de salle, changement d’ambiance, avec le barde Magnus Pelander et sa troupe Witchcraft, à l’efficacité identique. Cette poésie atone et inexpressive, un rien assommante, aurait presque eu raison de nous si Steak n’avait pas réveillé le Ballroom. Étrangeté de la programmation ou judicieuse audace : programmer Steak en fin de soirée. Les fans (et les autres) étaient venus en masse remercier Reece et sa bande pour l’incroyable boulot accompli sur le Fest. Devant des projections de scènes tirées de chanbaras d’Akira Kurosawa, Steak déroule les titres d’« Acute Mania », dernier album en date où le chant de Kippa prend toute sa valeur. En pleine confiance après quelques titres, celui-ci harangue la foule du haut des enceintes de retour et délivre une prestation sonnant comme la consécration du groupe. Steak a prouvé ce soir qu’il n’est pas qu’un groupe plein de fun, il sait aussi se montrer puissant et délicat, rugueux et émouvant, voire carrément introspectif.

C’est complètement lessivé que je regagne mes pénates, encore tout grisé par la folle journée que je viens de vivre. Tiens ! Je recroise Mike… apparition presque allégorique pour une journée qui se termine aussi bien qu’elle a commencé.


Jour 1 par Sofie Von Kelen : « Good mooooorning LONDON!!!« 

Pour être honnête avec vous, je n’étais pas supposée être là. Une sombre embrouille de passeport périmé que j’avais cru sauvée par un piston puis repartie aux oubliettes à cause d’une erreur de saisie pour finalement aboutir à une victoire écrasante l’avant-veille du festival. Comptez 3H pour préparer un sac, 6 pour attraper un Easyjet de dernière minute, ce qui en laisse 24 pour profiter de Londres avant le début des hostilités. Après cette interminable séparation, les retrouvailles  sont aussi émouvantes que le vol fut épouvantable. À moi la glandouille dans les ruelles de Soho, la mise à mal de carte bleue sur Portobello Road et celle de mon  estomac à coup de curry made in Brick Lane, le tout sur une bande-son imaginaire de Del Shannon. Et grand bien m’en pris car, suite à deux défections ramenant notre équipe à un maigre trio, le week-end  allait s’avérer tout sauf reposant, tant pour les orteils que les oreilles ou encore le système émotionnel…

C’est parti pour Agressive Perfector et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces mancuniens savent thrasher. Dommage que le mix mette un certain temps à ressembler à quelque chose et que les palm mute, impeccables au demeurant, soient littéralement noyés par la batterie. Les choses finissent heureusement par se tasser, histoire que le public remarque que Daniel Shaw aka General Holocausto n’est pas la moitié d’un bon chanteur. Mon conseil : ne loupez pas leur seule mais remarquable galette Havoc at The Midnight Hour, hommage aux parrains du thrash US of course mais aussi à ce que la NWOBHM a pondu de meilleur. Girl power oblige, je sacrifie les deux derniers morceaux, direction le Powerhaus pour le set de Shooting Daggers.

Petite parenthèse technique : ce club accolé au célèbre Stables Market est le dernier arrivé sur le planning du DF, et nous espérons qu’il y restera. La sécurité y est aimable, l’acoustique bien foutue et la configuration en terrasses qui n’est pas sans évoquer notre Trabendo national permet à tout un chacun d’apercevoir clairement la scène.

Cette digression refermée, il est temps d’avouer que ce show restera l’un de mes coups de cœur de 2022. Imaginez un trio féminin dans la vingtaine mais qui a déjà clairement trouvé son propre son, puissant gloubiboulga de doom, de grunge et de punk-hardcore, le tout labellisé queer-core par la presse spécialisée. Imaginez une leadeuse emplie d’une hargne incommensurablement positive et déversant sur  le public une énergie tellement dense que mon crâne et mes épaules picotaient. Imaginez enfin des lyrics piétinant les discriminations de genre, les dérives patriarcales et autres tripotages non consentis pendant les concerts. Mon petit cœur de féministe bat la chamade face aux réactions hyper bienveillantes de la frange masculine présente et espère vivement que le message s’incrustera pour de bon dans les caboches…

Chargée à bloc de bonnes vibrations militantes, je galope vers le Devonshire Arms dit Le Dev où trône un autre spécimen de guerrière. Il s’agit de l’impressionnante Kay Elizabeth, londonienne d’adoption tout droit venue de Californie et menant Black Orchids avec une prestance digne de Grace Slick à sa grande époque. Les troupes jouent serré, en parfait contraste avec son chant plutôt lâché, le tout dans la plus pure tradition heavy rock 70’s. Je pense Fleetwood Mac bien sûr, mais la version Peter Green, moins prétentieuse que celle de Nicks et Buckingham. Je pense aussi Blood Ceremony mais sans le côté Jethro Tull. Et finalement, je ne pense plus à rien car le show est vraiment prenant, la preuve en est le brouhaha habituel des lieux qui a clairement baissé de plusieurs ton. De retour au Black Heart, j’ai le plaisir de croiser au bar la reine walkyrie et de lui présenter mes respects.

Vingt heures et quelques, le planning bien ficelé commence à se ressentir dans les pattes mais ce n’est pas le moment de flancher. Vite, attraper une bière sans gluten et fendre la foule jusqu’aux premières loges pour Seven Sisters. Dans la famille des groupes ayant emprunté leur patronyme à une station de métro (avec Maidavale par exemple), Seven Sisters fait dans le heavy le plus orthodoxe à base de chant clair, de guitares harmonisées version Fender vs Gibson et de jeans ajustés laissant peu de place à l’imagination. Après les portées de chatons scandinaves voici la portée de chatons londoniens, option riffing qui te vrille les tripes et mélodies en escaliers. Dire que je kiffe est très en dessous de la vérité. Une fois les amplis éteints, j’entends une bande de hipsters français taxer la prestation de « ringarde ». Malheureusement, je n’ai plus une seule goutte de breuvage à leur jeter à la gueule…

Trente minutes plus tard, la petite salle est de nouveau blindée et la condensation fait littéralement goutter les murs. Il est clair que l’ADN des merveilleux Spirit Adrift ne les destine pas à ce genre d’espace restreint. Le relief des guitares s’en trouve amoindri, tout comme le chant de Nate Garrett qui évoque moitié Kirk Windstein sur Planets Collide, moitié Buck Dharma période Agents of Fortune. Quoi qu’il en soit et malgré les parties lead aériennes assorties de samples space rock, l’ensemble peine à respirer et les morceaux étouffent littéralement.

À cet instant précis, je vais commettre ma boulette de la journée : quitter l’Arizona pour la Suède, direction l’Electric Ballroom et le set de Witchcraft. Et qui aurait pu prévoir que le résultat serait à ce point incolore… Et bien tous ceux ayant déjà vu Witchcraft en live me direz vous mais, par l’une de ces malédictions du live comme nous en avons tous fait l’expérience, je n’ai jamais réussi à vraiment voir ce groupe sur scène, tout au plus attraper quelques morceaux au vol sous la Valley et dans un état d’ébriété inadapté… Mais qu’est-ce qui m’a pris de venir ? Le son est à la fois plat et criard, la setlist est d’une mollesse incroyable et j’ai bien l’impression que les seuls aptes à profiter de cette vibe tiédasse sont ceux dont le taux de THC dépasse le PNB d’un petit pays en voie de développement. Exaspérée, je jette l’éponge avant la fin et regagne Kentish Town sans croiser le moindre renard…

Last modified: 24 mai 2022