Fin des sixties, Amon Düül II est un groupe allemand majeur composé de freaks chevelus inspirés par l’acid rock des scènes underground anglo-saxonnes. Des psychédélistes progressifs créant une musique furieuse et contestataire. À part avoir choisi le nom d’un morceau tiré de leur premier album « Phallus Dei », KANAAN a surtout retenu de cet héritage krautrock une liberté d’improvisation, chère à cet esprit fusion d’antan. Si dans le récit biblique, « Kanaan » désigne la Terre Promise aux Hébreux, la musique des Norvégiens serait alors l’objet de la quête de nos explorations musicales, tous guidés par les dieux du bruit et du chaos que nous sommes.
En seulement trois ans, le jeune power trio norvégien a su imposer sa signature, s’inspirant du rock choucroute et de la fusion jazz rock sans lâcher un fil rouge aux consonances psychédéliques. Mais ce nouvel album « Earthbound » est un vrai bond en avant. Ne vous fiez pas à son titre : ces gonzes ont déjà définitivement quitté la planète, tels des anges cosmiques vengeurs sondant les limites de l’espace. Comme ils aiment à se décrire, « un Kyuss sorti d’une école de jazz », Kanaan usent et abusent de la saturation et de la disto tant et si bien que leur son sonne et assomme. Plus abrasifs et chaotiques que n’importe qui en 2021, les Norvégiens forgent désormais leur propre identité, musclent leurs pérégrinations astrales et érigent une cathédrale à la Fuzz, la Sainte Epice, sans laquelle toute navigation dans l’hyperespace serait impossible. Du gras, plus gras que gras. Plus persillé que le bœuf wagyu lui-même.
« Return to the Tundrasphere » saisit le mieux cette volonté d’en découdre avec les étoiles. Son groove, une structure fluide et rassurant, permet de slalomer dans un champ d’astéroïdes tandis que le rythme effréné et saccadé de « Pink Riff » offre une ossature à ce chaos ambiant. « Bourdon » vrombit dans vos oreilles comme le décollage d’une fusée space rock partie pour se désintégrer au fin fond de l’univers. « Mudbound » est quant à lui parcouru par une épaisse fuzz plaquée sur une rythmique de pachyderme. Un monstre gigantesque, behemoth sonique, galopant au dessus des nuages d’un coucher de soleil qui s’éternise tel un creuset de forge consumant l’horizon.
Kanaan se permet même le luxe d’une incartade – que dis-je ! – un fossé, un précipice doom sur « Crash », tant la lourdeur de leur jeu vous entrainera par le fond, la nuque brisée par la mâchoire rythmique, rappelant à certains adeptes de la monocorde comment il convient d’épeler D-O-O-M. L’album se conclut sur le brouillard « No Star Unturned » d’où émerge une propulsion convulsive motorik plus cramée que jamais, tel un phare vous pointant le chemin dans cette poussière stellaire.
Pour tous ceux encore en apesanteur à la sortie du voyage space rock de SLIFT, les cinquante nuances de Fuzz de Kanaan devraient définitivement vous griller les neurones en empruntant la voie des dieux ouverte par Lowrider. Mise en orbite indispensable prévue le 12 novembre.
Last modified: 30 octobre 2021