Pourquoi toujours faire compliqué? Pourquoi se rendre la vie difficile et en faire des tonnes pour rien? Est-ce notre condition humaine qui nous pousse à trop tergiverser? Si tel est le cas, alors The Grasshopper Lies Heavy représente une animalité inaltérée incarnée dans trois vrais bonhommes de San Antonio, TX. Ici, on ne réfléchit pas, on fonce dans le tas, on expérimente à l’instinct, on fait des choses simples mais on les fait bien et avec une très très grande sincérité.
Le combo du Texas évolue dans cette petite niche d’adorateurs d’Unsane et des Melvins. À mi-chemin entre un post-hardcore noisy mais résolument 90’s et un sludge énervé et acéré, ça cogne fort, c’est primitif et forcément, particulièrement jouissif.
“A cult that worships a god of death” est un album expéditif de 8 titres pour 40 minutes et des brouettes. Un intro noisy, et c’est parti pour un premier jet de brûlots de 2 à 5 minutes, pied au plancher. Ça s’enchaîne vite, ça avoine, ça nettoie les oreilles et détend la nuque tandis que les poings et les dents, eux, se serrent de plus en plus. “The Act of Buying Groceries”, premier single de l’album, est basé sur un riff massif, une voix puissante et qui transpire le glaviot à 2 km. Un petit solo chaotique histoire d’apporter un peu de fraîcheur et on repart sur ce même rythme effréné.
La formule est sensiblement la même sur toute la première partie de l’album avec de très légères nuances. “Charging Bull” se distingue du lot via une montée mélodique finale moins attendue. “Tennessee” nous offre quant à lui une lourdeur jusque là inédite sur l’album et quelques dissonances bien senties. Il s’agit d’un bon gros parpaing de morceaux assez homogènes qu’on prend en pleine poire. Certains vont considérer cette première partie comme de la salade de riffs, mais c’est aussi précisément ce qu’on attend du groupe.
Il faut donc attendre le fameux instrumental “A cult the worships a god of death, parts I-IV” pour avoir une pause dans ce rythme endiablé. Mais bien vite on comprend que cette pause est plutôt un sommet. On fait face à des pentes très fortes et on essaye d’en ressortir indemne, en pédalant comme un malade, haletant et tentant de reprendre tant bien que mal notre souffle. C’est le point culminant de l’album. Un riff presque hypnotique interrompu par des excès de violence et une batterie à deux doigts de faire saturer complètement mes enceintes. L’ambiance est parfaitement posée et on traverse les premières minutes du morceau impressionné par cette soudaine maestria, quand la grâce s’abat sur nous avec un passage atmosphérique mélodique, convenu certes, mais tellement bien exécuté qu’on ne saurait y résister. La parenthèse dure, elle s’étoffe : les petits synthés discrets en fond sonore, les roulements de caisse claire, le son qui s’épaissit discrètement et enfin, on ouvre la cage et la bête surgit. Six minutes de prélude auront enragé celle-ci qui fonce tête baissée sur tout ce qui passe
C’est au sobre mais pourtant très classe “Bullet Curtain” que revient la lourde tâche de relancer la machine après une telle apothéose. Prolongation du morceau précédent, c’est aussi un instrumental qui prend son temps et de loin le morceau où les influences post-hardcore et post-metal se font les plus évidentes, jusqu’à nous rappeler Russian Circles. Un poil moins académique et mieux senti que le morceau éponyme, c’est le titre que je retiens de cette deuxième partie d’album, prouvant que le groupe sait faire dans la douceur, le mélancolique, l’atmosphérique et le glauque.
Pour finir, le groupe nous propose un titre dont l’intro aux relents de Conan renoue avec une lourdeur clairement nécessaire pour terminer l’album. Le retour du chant après un quart d’heure instrumental aurait pu être salvateur mais il n’en est rien, on continue dans l’instrumental alors que cette piste a bien moins à nous offrir.
C’est finalement assez révélateur de cet album. Avec une première partie braillée, nerveuse et expéditive et une seconde entièrement instrumentale, lourde et atmosphérique, on s’y perd quelque peu. Le groupe nous montre l’étendue de son univers sonore mais personnellement j’aurais aimé un tracklisting plus mélangé pour varier les plaisirs et faire davantage ressortir les différents titres. L’impression d’être face à deux EPs très différents collés à la UHU a un certain charme mais c’est aussi un élément qui empêche l’album d’atteindre son plein potentiel, malgré une flopée de bons riffs et une production qui colle à la musique du groupe.
Un album imparfait, un peu naïf et presque charcuté mais qui n’est pas dénué de qualités et d’intérêt. Pour les aficionados du genre, c’est une découverte authentique qui vaut le détour. Pour les autres, vous ne raterez pas l’album de l’année non plus.
Last modified: 24 août 2021