Ni dieu ni maître : SUNNATA ou la résistance par le doom.

Written by À la une, Interview

On a préféré laisser retomber le soufflé pour parler d’un des albums les plus attendus de ce début d’année. Et pour se rendre compte que le succès est grandissant d’album en album pour SUNNATA et ce, malgré son organisation 100% DIY. Sans l’aide de personne, Sunnata sait se faire entendre au-delà des frontières polonaises au point de devenir l’un des fers de lance du doom à la polonaise. Issu de ce vivier de groupes au son pachydermique, Sunnata tire pourtant son épingle du jeu en proposant un doom contrasté par des chants funèbres aux mélodies exaltantes et mystiques. Une beauté étrange émane de cet ensemble aussi palpitant que funeste… Ce « shamanic doom » dont parle volontiers le groupe. Le sujet de ce nouvel album « Burning in Heaven, Melting on Earth » ne pouvait que renvoyer à l’actualité conflictuelle de leur pays d’origine dont les idées véhiculées par ses dirigeants n’ont rien à envier à celles de certains états américains puritains. Sans verser dans la puissance de « Zorya » ni dans l’hallucinante descente aux enfers  de « Outlands », « Burning In Heaven, Melting on Earth » forge un nouveau visage des polonais que nous vous laissons le plaisir de découvrir avec le groupe en interview.

Hello Sunnata ! Comment allez-vous pendant cette période si particulière ? « Burning in Heaven, Melting on Earth » est sorti voilà trois mois… Vous redescendez sur Terre ?

Hey ! On redescend petit à petit ! L’excitation médiatique est retombée et nous commençons doucement à réaliser que l’accueil de notre quatrième album studio a été meilleur que n’importe quel autre disque auparavant. Cela nous rend fiers et enthousiastes, ce qui est déjà beaucoup en ces temps incertains.

Il y a toujours quelque chose qui m’a étonné avec Sunnata : « Burning In Heaven, Melting On Earth » est déjà le quatrième album studio du groupe, et toujours et encore auto-produit à 100 %, sans l’aide d’aucun label ni d’aucune structure. Pourquoi ce choix ? Est-ce un refus pur et simple de l’industrie telle qu’elle se présente à vous aujourd’hui ?

Ce n’est pas un rejet, c’est le résultat direct de la façon dont l’industrie moderne est structurée. À une certaine époque, nous ne n’aurions pas fait grand-chose en tant qu’acteur indépendant, mais à présent ? Tout le monde peut créer de la musique, en faire la promotion, réserver les spectacles et partir en tournée. Cette ouverture signifie évidemment une plus grande concurrence, mais elle donne également plus de liberté. Une sélection naturelle s’opère et préserve ceux qui ne sont pas trop têtus, ceux qui décident d’avancer, s’améliorer sans cesse et construire leur propre nom.

« Nous avons été invités à jouer avec Sleep, Mastodon, Entombed AD ou Rotting Christ pour une bonne raison. Nous prêtons une forte attention à la qualité, sur laquelle nous ne voulons pas faire de compromis… alors s’il existe un label ouvert d’esprit, faites-nous signe ! »

Nous avons le sentiment que votre musique mérite une exposition plus grande. L’apport d’un label ne pourrait pas vous aider à franchir ce plafond de verre ?

Merci. Un bon label pourrait probablement nous aider, mais nous n’avons jamais été approchés par quiconque voulant nous traiter comme des partenaires. Après quelques discussions avec les plus reconnus, nous avons estimé que nous perdrions probablement le contrôle sur la forme de nos disques ainsi que des plannings de sortie, sans parler des droits sur notre musique. Ne vous méprenez pas, nous ne sommes pas des divas, mais il y a des conditions sur lesquelles nous ne transigerons pas car nous savons que cela nuirait au plaisir que nous ressentons à jouer de la musique. Nous avons besoin de plus de promotion, mais nous n’avons pas besoin de l’argent d’un label et malheureusement beaucoup d’entre eux essaient de mettre celui-ci au centre du deal. Mauvaise pioche. Nous avons été invités à jouer avec Sleep, Mastodon, Entombed AD ou Rotting Christ pour une bonne raison. Nous prêtons une forte attention à la qualité sur laquelle nous ne voulons pas faire de compromis… alors s’il existe un label ouvert d’esprit, faites-nous signe !

Votre évolution était constante de « Climbing The Colossus » à « Zorya », puis jusqu’à « Outlands » et « BIHMOE », sur lesquels on a l’impression que vous avez trouvé votre style. Ce « Shamanic Doom Metal » que vous décrivez, c’est cela le vrai visage de Sunnata ?

Le changement constant est le vrai visage de Sunnata. Nous aimons goûter à de nouvelles choses, aller là où nous nous mettons en danger. « Shamanic Doom Metal » n’est qu’une appellation, un parapluie sémantique grâce auquel nous avons essayé de décrire notre son cérémoniel induisant la transe, nos vibrations doom et mélancoliques, et la tension présente dans notre musique. Qui sait de quoi sera fait le prochain album ?

Lors de notre chronique de votre album vous nous précisiez, je vous cite, que vous considériez « BIMHMOE » « comme le successeur d’« Outlands » tout en étant une exploration de différents motifs seulement connus du groupe ». Je crois que c’est le moment de nous en dire un peu plus.

Bien sûr ! « Outlands » est un album axé sur la facette trippante de notre musique. Lors de l’écriture de « Burning in Heaven, Melting on Earth », nous étions conscients que la forme générale de Sunnata s’était établie avec « Outlands », mais nous voulions aller plus loin. Nous nous sommes fixés le défi d’écrire des paroles plus conceptuelles, d’expérimenter des structures plus proches de celles de chansons – pensez à « Crows » ou « A Million Lives » par exemple – ou d’essayer d’écrire des chansons que nous n’avions jamais faites auparavant. Jetez un œil à « Way Out », avec un effet de haut-parleur rotatif directement inspiré par « Planet Caravan » et des accents floydiens ici et là. L’album lui-même ressemble à une suite de « Outlands », mais la vérité sur sa vraie nature se trouve dans les détails.

« Burning in Heaven, Melting on Earth », c’est un titre qui interpelle. Vous disiez précédemment que le rôle de vos paroles était surtout un soutien à votre musique. Depuis, visiblement vous avez un message à faire passer… Le fanatisme religieux est le fil conducteur de votre album. Il est vrai que vos guitares déformées, vos martèlements rituels et vos riffs doom écrasants s’accordent parfaitement avec le sujet abordé.

Oui, les paroles sont devenues l’épine dorsale de cet album comme jamais auparavant et devraient toujours être appréciées à travers le prisme de notre musique. Nous ne suivons pas le chemin des metalheads en colère. Nous préférons contester par la contemplation.

« Le thème entier de « Burning in Heaven, Melting on Earth » coincide avec la crise sociale en cours en Pologne. Méfiez-vous des dirigeants avides de pouvoir, qui utilisent cyniquement votre foi pour blesser les minorités et polariser les gens les uns contre les autres. C’est une régression sociale, mais les gens sont capables d’un sursaut. »

La sortie de votre album coïncidait avec l’entrée en vigueur d’une interdiction quasi totale de l’avortement en Pologne – pays à majorité catholique -, et les énormes manifestations qui en ont suivi. Le thème de votre album ne peut que rentrer en résonance avec l’actualité politique quasi insurrectionnelle de votre pays. Nous en avons bien sûr entendu très peu à l’étranger…Où en est la situation à présent ?

Aucun changement, malheureusement. L’interdiction a été maintenue, mais vous ne pouvez rien attendre d’autre d’un parti politique populiste et conservateur, disposant d’une majorité gouvernementale, et qui travaille en étroite collaboration avec l’église catholique.

Il nous est difficile d’imaginer qu’un pays de l’Union Européenne en arrive à une telle extrémité et à la régression sociale que cela implique. Comme quoi, ce que vous avez à dire a de l’importance !

C’est vrai. Le thème entier de « Burning in Heaven, Melting on Earth » co très bien à cette situation. Méfiez-vous des dirigeants avides de pouvoir, qui utilisent cyniquement votre foi pour blesser les minorités et polariser les gens les uns contre les autres. C’est une régression sociale, mais les gens sont capables d’un sursaut heureusement.

En 2019, vos copains de Dopelord, Weedpecker, Major Kong et Spaceslug ont eu la bonne idée de sortir un split présentant la scène doom/stoner polonaise. Avec vous et encore d’autres, il y aurait de quoi en faire un volume 2. On sent une réelle cohésion entre vous tous. C’est ce qui fait qu’on peut réellement parler de « scène » ?

Ces quatre-là font définitivement partie des groupes les plus connus de notre scène locale, mais Il y en a plein d’autres. Comme vous l’avez probablement remarqué, la Pologne est devenue une sorte de nouvelle Mecque dans le paysage du doom/stoner psychédélique. Nous avons pleins d’artistes extrêmement talentueux, donc ces quatre ne définissent pas la scène, mais en sont une part importante.

Pour terminer, on aimerait tous que vous ayez une bonne nouvelle à annoncer sur un éventuel retour en France, ou ailleurs…

2022 sera difficile pour les tournées car toutes les réservations de 2020 et 2021 se produiront cette année-là, mais NOUS AIMERIONS ENCORE VISITER LA FRANCE et nous ferons de notre mieux pour le faire. La France a l’un des publics les plus fous et nous aimons la façon dont il résonne avec notre musique.

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Last modified: 28 juin 2021