Dans ce nouveau numéro de Passion Red Fang, Iggy vous a concocté un dossier spécial « Prépare ton bide à bière » pour l’été, un guide complet pour l’entretien de ta barbe pour un rendu faussement négligé et, surtout, une interview croisée entre deux mordus du groupe pour discuter du cinquième et nouvel album du combo de Portland, « Arrows ».
Entre gens de bonne compagnie, épargnons nous les présentations en grandes pompes, racontez moi plutôt votre premier souvenir lié à Red Fang.
Matt : Ma découverte de Red Fang c’est le clip de “Prehistoric Dog”, j’étais en pleine découverte du stoner et tous ses dérivés et je commençais déjà à trouver la scène embourbée dans pas mal de clichés. Red Fang débarque avec un clip à l’humour geek hyper frais tout en restant résolument fidèle aux codes du stoner’n’roll. J’ai tout de suite accroché !
Lord Pierro : C’est en préparant mon running order pour le Hellfest 2011 que je suis tombé sur deux de leurs morceaux, notamment la vidéo potache de « Prehistoric Dog », et « Hank is Dead« , sur une compil Metal Swim. Ça détonnait carrément, comme si Turbonegro s’étaient mis au stoner, et j’aimais bien cette idée..
Et sur scène alors?
Matt : Ma première fois avec Red fang c’était au Saint des Seins à Toulouse début 2012 (voir notre report). Les souvenirs se mélangent un peu mais je me souviens surtout m’être dit que ce groupe était taillé pour ce genre de petites scènes. Le son était massif, ils occupaient parfaitement l’espace scénique, ça avait ce côté un peu bordélique mais toujours maîtrisé du show à l’américaine. Je m’étais fait la réflexion que je n’avais pas vu tant de groupes que ça réussir à dompter aussi vite une salle.
Lord Pierro : Il y a donc eu ce passage au Hellfest 2011, tôt le dimanche midi (je crois) sous la Terrorizer, qui a été une bonne claque, mais mon meilleur souvenir à ce jour de Red Fang en concert, c’est lors de leur passage à l’Hérétic (RIP) à Bordeaux en pleine canicule de juillet 2012 (voir notre report). Il y avait eu plus de pré-ventes que de places autorisées dans la salle, le groupe s’est donné à fond avec un set d’enfer, le public était complètement dingue, le plafond suintait la condensation et le concert s’est terminé au bout d’1h30 quand un ampli a cramé et qu’il y avait un risque de foutre le feu. Concert épique !
Quizz « Quel fan es-tu ? ». Si vous deviez conseiller à un ami amateur de gros son un titre méconnu du groupe, lequel choisiriez-vous ?
Matt : Je pense que je vais tricher un peu et conseiller l’EP de Red Kunz Teeth, Hair and Skin où l’on retrouve la moitié du groupe et les musiciens du combo suisse Kunz. Pourquoi ? Parce qu’on trouve dans cet EP la base des compos de Red Fang. L’absence de guitares permet de mieux percevoir les fondations du groupe et, peut être de mieux comprendre son évolution d’un stoner’n’roll décérébré vers un sludge rock noisy et jubilatoire.
Lord Pierro : “Dawn Rising”, sur Whales & Leeches. A la croisée d’une compo classique de Red Fang et d’un classique doom, on y trouve la lourdeur dont est capable le groupe et Mike Scheitd, de YOB, qui vient poser sa voix, créant une ambiance particulièrement sombre. Ce titre est un temps de l’album et pourrait être un classique doom s’il n’avait pas été éclipsé par les singles, et mérite d’être redécouvert.
« Rugueuse, noisy, presque nasillarde sur certaines parties de guitare, la production sur « Arrows » rejette les impératifs d’un stoner que le groupe a délaissé depuis longtemps, pour aller vers quelque chose de sludge rock avec des teintes punk intello des 80s façon Nomeansno. »
Quelles étaient vos attentes, tant d’années après « Only Ghosts » ?
Matt : Très sincèrement, je voulais être surpris et sentir une évolution chez Red Fang. Je fais partie de ceux qui aiment Only Ghosts qui reste un album très bien produit et peut être trop grand public. J’ai l’impression que le groupe s’est testé, si le résultat a probablement été honorable en termes de ventes et nous a offert son lot de clips au top, j’avais senti le groupe un peu trop ouvert aux influences extérieures comme si les gars doutaient de la voie à suivre. Je souhaitais donc surtout un album qui s’affirme et qui n’ait pas peur d’être lui-même et ce quelque soit la direction prise.
Lord Pierro : C’est hyper égoïste de parler d’attentes alors qu’un groupe est bien libre de faire ce qu’il veut, même d’expérimenter et de rompre avec ce qui a pu fonctionner auprès des fans auparavant. Je n’avais pas accroché à Only Ghosts, c’est d’ailleurs le seul album de leur discographie que je n’écoute jamais et j’avais peur que ça en soit fini pour moi de Red Fang si ce nouvel album poursuivait dans la lignée d’Only Ghosts. J’espérais trouver le côté basique / fun des morceaux défouloirs de leurs 2 premiers albums et la lourdeur des morceaux dignes de Whales & Leeches.
Quelles furent vos premières impressions en écoutant « Arrows » ?
Matt : Ma première réaction fut sûrement concentrée sur la production. Rugueuse, noisy, presque nasillarde sur certaines parties de guitare, elle rejette les impératifs d’un stoner que le groupe a, de toute façon, délaissé depuis longtemps pour aller vers quelque chose de sludge rock avec des teintes plus punk intello des 80s façon Nomeansno. Et quel son de basse, granuleux et pourtant hyper audible. Ensuite, il y a les compositions et à la première écoute j’ai surtout été marqué par l’absence d’hymne faciles ou de passages hyper accrocheurs. L’album est beaucoup plus fin et complexe qu’il n’y paraît.
Lord Pierro : “Putain, ils l’ont fait!” Bien au-delà des clips humoristiques, je trouve que cet album est celui que j’aurais voulu entendre après Whales & Leeches. Des morceaux accrocheurs, même si moins évidents que par le passé, des hommages à peine cachés à leurs influences, un son massif, et une complexité qui en fait un album moins évident à la première écoute que Murder The Mountains mais dont le tracklisting permet de le réécouter en boucle facilement sans se lasser.
Quels titres vous ont le plus marqué?
Matt : « Two High », classique et efficace tout en apportant une intro chaotique et un tempo soutenu. « Anodyne » et ce son de basse monstrueux. « Unreal Estate » la lourdeur et un Red Fang presque dark !
Lord Pierro : Presque tous ! Pour des raisons différentes mais à chaque morceau, il y a des ambiances ou des instruments qui se démarquent, déjà l’introduction “Take It Back”, hyper flippant avec la basse au ralenti et la voix inquiétante, enchaîné avec le noisy “Unreal Estate”, on se dit qu’on est plus en train de mater un film de zombies mais que c’est l’apocalypse qui va nous tomber sur la gueule ! J’ai été agréablement surpris par “Anodyne” et “Days Collide”, très sludge voire doom, deux claques !
Parlez-nous plus en détail du titre de votre choix ?
Matt : « Fonzi Scheme » est pour moi la pièce maîtresse de l’album. On y retrouve une lourdeur, une structure de riffs et un chant mélodique (toutes proportions gardées) typiques de Red Fang mais auxquels viennent s’ajouter tous ces éléments noisy et cette montée de cordes et violons à la fois saugrenue et diablement efficace. Pour moi si on aime ce titre, nulle doute qu’on adorera l’album.
Lord Pierro: “Days Collide” est un des sommets de cet album, le morceau le plus sombre et lent aussi. L’atmosphère qui s’en dégage est terrifiante, malsaine. Musicalement les instruments sont comme décomposés, s’imposant tour à tour sans prendre le dessus sur les autres, la voix insufflant cette impression de mort rampante. Un morceau de doom par excellence comme Red Fang ne nous en a que rarement offert.
« Je crois que Red Fang a voulu reprendre les droits sur sa ligne artistique. Prouver que le groupe est plus que des gars fun qui boivent de la bière et que les amateurs de stoner cautionnent en festival. Cet album est une suite logique mais osée, et une réussite indéniable. »
L’atout principal de « Arrows » : production ou songwriting?
Matt : Difficile de choisir, tant j’ai l’impression que le groupe a vraiment su apporter la production nécessaire pour ces morceaux là en particulier. Pour ma part, je retiens plus la production et la direction musicale que les morceaux indépendamment les uns des autres. C’est un album que l’on traverse d’un bout à l’autre sans temps mort et j’ai du mal à vraiment retenir chaque titre plus que l’expérience globale.
Lord Pierro : J’adore la façon dont sonne cet album, avec une basse plus en avant que jamais, un peu à la Unsane. Et je trouve qu’en termes de songwriting, il y a eu un énorme palier de franchi. Arrows est très noir, on sent que la pandémie a certainement eu un impact sur le groupe dans les paroles des chansons. L’apport d’une intro, d’un interlude, allié à l’ordre des morceaux, crée cet effet montagnes russes, comme le moral des gens depuis plus d’un an: accélérations, euphorie, chute libre, crash, et ça recommence mais pas forcément dans le même ordre. Ce travail de composition est le plus abouti dans toute leur discographie.
Des regrets ou bien tout est parfait dans le meilleur des mondes ?
Matt: Si je devais mettre un bémol, c’est quand même l’absence de marqueurs forts sur l’album. Même l’incursion de passages hyper noisy ou l’arrivée d’un violon ne rentrent pas immédiatement dans le crâne. C’est un parti pris que j’aime mais très risqué pour le groupe et comme je considère que c’est un album qui ne s’écoute que dans son intégralité, je l’écouterai peut être au moins au final que d’autres de leur discographie. Je trouve aussi qu’au niveau du chant, Red Fang garde cette volonté de partager les responsabilités mais ce n’est pas toujours le choix le plus pertinent qui a été retenu par le groupe à mon sens.
Lord Pierro : Un seul regret, ce violon, qui vient sortir l’auditeur du confort sonore dans lequel il avait pu se caler ! Blague à part, Red Fang ont poussé plus loin ce qu’ils faisaient déjà de très bon, et malgré la grande variété des morceaux, l’absence d’un gros hit ne me dérange pas, au contraire : ça va permettre à cet album d’être apprécié dans son intégralité et pas sur la base d’un ou deux singles
Alors finalement, « Arrows », prise de risque assumée ou accident artistique heureux ?
Matt : Je crois que Red Fang a voulu reprendre les droits sur sa ligne artistique. Prouver que le groupe est plus que des gars fun qui boivent de la bière et que les amateurs de stoner cautionnent en festival. Cet album est un hommage aussi à leur précédent groupe et c’est à la fois une suite logique mais osée, et une réussite indéniable. Par contre, le groupe va laisser certains fans complètement de marbre avec cette proposition, c’est une évidence.
Lord Pierro : Le groupe assume toujours son côté potache dans ses clips, mais c’est pour donner un peu de légèreté à leur musique dont le sens est beaucoup plus profond et mélancolique. Avec Arrows, Red Fang vont de l’avant, conservant quelques passages que les fans de la première heure retrouveront, mais seuls les plus ouverts y trouveront du plaisir sur toute la longueur, tant il y a de choses différentes à apprécier. Pour prendre votre pied, suivez les flèches!
Last modified: 24 août 2021