ELEPHANT TREE. Quand le blaze résume à lui seul l’inspiration musicale d’un groupe : un pied (pachydermique) dans le doom ou le groove poisseux, des racines bien ancrées dans un psychédélisme dont la filiation remonte jusqu’à Pink Floyd? Elephant Tree est à l’avant-garde d’un heavy rock progressif qui ne regarde pas dans le rétroviseur des seventies. Leur premier album éponyme avait surpris son petit monde un peu partout dans les festoches prisés du moment. Désormais quatuor, les londoniens se savaient donc attendus au tournant. Vouloir faire mieux, vouloir faire plus, vouloir surprendre, vouloir « sonner différent » est légitime, mais c’est aussi la plupart du temps le meilleur moyen de se planter. Ou de passer au-dessus de la mêlée aux yeux des fans les plus intransigeant.
Et Elephant Tree est suffisamment malin pour nous tromper de prime abord, pour nous rassurer sur leur identité musicale ensuite. Un bon signe. Chaque gimmick du groupe est ici amplifié et maîtrisé depuis leur précédent effort : la lourdeur sert une dense toile de fond sonique sur laquelle est tissée une délicate écriture psyché, sublimée, il est vrai, par un chant éthéré (quelle progression là aussi !).
Et ces architectes connaissent leur géographie musicale sur le bout des doigts, autant épris du Sabbath que de My Bloody Valentine (pour résumer). Aux frontières des genres, ils assemblent ici un « doomgaze » d’une assourdissante beauté, déclinant toutes les palettes de la mélancolie, qu’elle soit enfouie sous des strates de guitares ou simplement distillée par des arrangements futés. De ces unions contre-nature naissent des compositions qui retiennent toute notre attention, où la puissance et la densité sonore finissent toujours par s’estomper, pour laisser place à des mélodies travaillées, délicates et étourdissantes.
L’album est construit autour de mouvements : euphorisant au départ, Elephant Tree sait se faire à la fois charmeur, rassurant, voire complètement terrifiant. Les titres eux-mêmes subissent cette alternance. Des guitares irradiantes peuvent subitement devenir menaçantes conduisant l’auditeur sur des montagnes russes émotionnelles.
Et à y regarder de plus près encore, il faut bien s’attarder sur la nouveauté de ce disque : l’apport de John Slattery. Inaudible dans les premières écoutes, sa contribution est pourtant majeure pour définir le climat de l’album. L’ajout de nappes de claviers en filigrane, judicieusement placées, propulse l’ensemble dans un futurisme sombre. Et les associations des contraires, entre chape de plomb doom et rêveries psyché, les contrastes d’humeur, prennent subitement une autre dimension. Un peu comme si nos désirs d’évasion, l’illusion de nos libertés (« Bird », « Exit the Soul » entre autres) étaient cernés par des murs de guitares et que nous étions aveuglés par cette brume sonique. Le paradigme d’une dystopie.
Actualité oblige, l’impact de cet album n’en est que plus fort, tous confinés que nous sommes dans nos foyers tout-confort capitonnés, à regarder nos modèles de civilisations s’effondrer. Voilà donc ce qu’est un disque mature de gens en phase avec leur temps.
ARTISTE : Elephant Tree
ALBUM : « Habits »
SORTIE : 24 avril 2020
LABEL : Holy Roar Records
GENRE : Post-heavy / Doomgaze
MORE : Facebook / Bandcamp / Holy Roar Records
Last modified: 21 avril 2020