Interview : de l’autre côté du miroir avec BARONESS.

Written by À la une, Interview

Il apparaît désormais évident que BARONESS n’est plus le même groupe qu’à ses débuts. Au regard de sa tragique histoire, au regard de ses envies. Que ceux qui espèrent un énième album sludge passent leur chemin, ils n’ont rien compris. Que ceux qui comptent sur la bande à Baizley pour se laisser surprendre au gré des aspirations de leur charismatique leader soient bénis : Baroness revient en juin avec « Gold & Grey » le successeur de « Purple » en 2015. La question n’est donc plus de savoir si Baroness est metal ou pas, mais plutôt si Baroness est désormais un vrai groupe, suite aux différents changements (Nick Jost et Sebastian Thomson en 2013, puis Gina Gleason en 2017) autour de son meneur historique. Et à l’écoute de « Gold & Grey » on se dit qu’un tel résultat ne peut qu’être la résultante d’une cohésion dorénavant acquise. Le millésime « Gold & Grey » est en effet à l’image du visuel dévoilé par John Baizley il y a peu. Une œuvre riche, dense, fouillée mais incroyablement cohérente. Une cathédrale visuelle ET sonore. Et n’en déplaise à Nick Jost, le bassiste de la formation, que nous avons eu la chance d’interviewer, cette toile n’est pas simplement un concept visuel, c’est bien le reflet de l’univers Baroness ; un monde baroque « où tous les contraires seraient harmonieusement possibles » (Philippe Beaussant). « Gold & Grey » en regorge, jusqu’à peut être en dérouter certains, jusqu’à émouvoir les plus pointilleux. On laisse Nick nous expliquer en quoi ce nouvel album est aujourd’hui la (seconde) charnière de leur discographie, épilogue du cycle chromatique, ouvrant la voix à des perspectives nouvelles. Ou tout serait à présent possible. Et se projeter vers l’avant.

Votre nouvel album « Gold & Grey » sort en juin et vous avez récemment bouclé une tournée complète des States et du Canada. Comment tu te sens ? 

Nick Jost (bass ) : Je me sens super bien. On a tourné pendant un mois et demi en première partie de DeafHeaven et Zeal & Ardor… C’était encore mieux que ce que j’imaginais. On a commencé à présenter de nouveaux morceaux, ça fait un bien fou de pouvoir enfin les jouer sur scène plutôt que dans notre cave !  

Alors, ça donne quoi ces nouveaux titres en live ?

Nick : On a joué « Borderlines » au début de la tournée, puis « Seasons » sur la dernière semaine. Deux morceaux très différents de ce que nous avons fait auparavant. Les gens les ont visiblement aimé. Ca fait vraiment du bien de jouer ces titres sur lesquels on a passé tant de temps.

Tu as rejoint le groupe en 2013 aux côtés de Sebastian Thomson (batterie), avec qui tu as participé à l’enregistrement de l’album « Purple ». Puis ça a été votre tour d’accueillir une nouvelle membre, en la personne de Gina Gleason (guitare). Tu peux nous en dire plus sur elle ? 

Nick : C’est une super guitariste. Une bonne danseuse, une excellente performeuse, et c’est ma pote ! On a fait trois tournées et un album ensemble, mais je crois que c’est vraiment la composition de « Gold & Grey » qui nous a vraiment unis en tant que groupe. Avant ça, elle prenait ses marques, mais toute la pression que génère la création d’un album nous a vraiment liés les uns aux autres. On est ENFIN un groupe. Je ne connais pas beaucoup de filles comme Gina, c’est vraiment une personne unique ! 

« Toute la pression que génère la création d’un album nous a vraiment liés les uns aux autres. On est ENFIN un groupe. »

Parlons maintenant de ce nouvel album « Gold & Grey », que j’ai eu la chance de pouvoir écouter récemment. Donc, « Orange isn’t the new black » ?

Nick : Pas vraiment, non ! Cela dit, il y a un peu de black metal dans le mix ! (rires

Plus sérieusement, vous l’avez appelé « Gold & Grey » alors que ce n’est pas un double album comme « Yellow & Green ». Cela donne tout de même quelques pistes pour mieux le comprendre. L’or et le gris peuvent faire référence à des opposés, tels que l’or et le fer, la pauvreté et la richesse, la lumière et les ténèbres… Il aurait tout aussi bien pu s’intituler « Black & White », mais avec Baroness, les choses ne sont jamais aussi simples.

Nick : Exactement. Je pense que le titre dépeint vraiment ce qui se passe musicalement. Il fait aussi référence aux paroles. Et puis, plus simplement, « Orange » ça ne le faisait pas trop (rires). On devait trouver un titre qui fait référence à notre chronologie chromatique, et qui fait aussi référence à cette dualité et tous ces traits que l’on trouve en l’écoutant.  

Cet album est extrêmement riche. Vous jouez beaucoup avec les contrastes, les harmonies, les cadences, les breaks… Encore une fois, cela va bien au-delà de la simple définition de dualité. 

Nick : Oui, il est très riche, et je pense que tout cela s’imbrique grâce au séquençage. On a pris pas mal de temps à monter la tracklist. Il y a aussi plus de parties acoustiques au centre de l’album, qui lient vraiment le tout parfaitement. 

« Avec « Purple », on voulait faire un album rock qui botte des fesses. Sur « Gold & Grey », on voulait vraiment explorer des territoires inconnus »

Il semblerait que cet album soit comme l’aboutissement des experimentations faites sur les précédents opus. Vous ouvrez la porte sur des sonorités inexplorées et une sensibilité nouvelle. J’en ai eu la chair de poule !

Nick: Merci, mec. La musique est vraiment incroyable pour ça. Avec « Purple », on voulait faire un album rock qui botte des fesses. Sur celui-ci, on voulait vraiment explorer des territoires inconnus, tu vois. Explorer de nouveaux sons, comme la basse acoustique. Je chante aussi sur cet album… Bref, on a fait tout un tas de choses qu’on n’avait jamais faites auparavant. On était 100% préparés lors de l’enregistrement de « Purple », alors que pour « Gold & Grey » on n’avait pas un seul morceau de fini. On a dû composer six morceaux en studio, c’est un truc de fou. C’est aussi pour ça qu’il sonne si expérimental, parce qu’on ne savait pas du tout où on allait. 

Malgré ça, il émane un réel sentiment d’aboutissement à l’écoute de « Gold & Grey ». Au-delà même des expérimentations, l’album est riche, dense et extrêmement équilibré.

Nick : C’est le produit de quatre fortes personnalités qui se complètent d’une certaine manière. Mes centres d’intérêts, mes sensibilités contrastent avec ceux de John, Gina et Seb, et tout ça crée un équilibre. Ce qui est primordial, car on a quand même passé quatorze heures par jours à discuter du moindre détail, ce qui peut vite devenir laborieux en studio. 

Vous avez creusé au plus profond de vous pour extraire la lumière, comme sur les morceaux “Tourniquet” ou “I’d do anything”.

Nick : C’est vraiment dû aux mélodies et paroles de John. Il a cherché de nouvelles façons d’utiliser sa voix, et une gamme plus large que sur les précédents albums. Et ça fonctionne. C’est pas un métalleux qui essaie de chanter : c’est juste un très bon chanteur. En terme d’émotions, aussi… Il s’est vraiment lâché, je crois que je ne l’ai jamais entendu faire ça auparavant. 

Ce qui me pousse à dire que cet album est votre chef d’oeuvre. Il est évident que John avait une vision, et que « Gold & Grey » est comme la coda de ce cycle chromatique, et laisse présager de nouveaux horizons pour le groupe.

Nick : Et ça me va, parce que tu ne peux pas éternellement composer en étant aussi conceptuel. Ça peut vite devenir étouffant, donc on a fait en sorte de boucler ce cycle chromatique. Ce n’est pas quelque chose que l’on avait évoqué à proprement parler… jusqu’à ce qu’on se pose et qu’on se rende compte que l’album sonnait la fin de ce cycle de couleurs. Chose positive, l’album contient à la fois du vieux et du neuf, et à partir de là on peut prendre la direction qu’on veut. 

Ce cycle chromatique était bien entamé lorsque vous avez rejoint le groupe. Comment avez-vous, les uns et les autres, réussi à vous intégrer dans ce paysage musical façonné par John ? 

Nick : En étant nous-même. En tant que bassiste, je fais en sorte que le reste du groupe sonne bien. Evidemment, comprendre le fonctionnement de Baroness n’a pas été évident, mais je ne me suis jamais dit « je dois vraiment prendre en compte tel concept ». On n’en a jamais parlé entre nous. Je pense que l’idée des couleurs tenait plus d’un concept visuel, voire d’une référence au concept numérique de Led Zeppelin. Visuellement, tout se tient. Mais que ce soit pour « Purple » ou « Gold & Grey », on a tout simplement composé la musique qui nous correspondait à ce moment précis. 

« John a une façon de composer et de dessiner qui sont étroitement liées. Son art est complexe, bourré de détails, il retravaille ses oeuvres indéfiniment… Complètement baroque. »

Quoi qu’on en dise, on peut difficilement dissocier la musique de Baroness des illustrations de John. Est-ce que vous « jouez comme il peint », ou bien est-ce le contraire ? 

Nick : John a une façon de composer et de dessiner qui sont étroitement liées. Son art est complexe, bourré de détails, il retravaille ses oeuvres indéfiniment… Ses parties de guitares sont le résultat de choses simples portées au paroxysme de leur complexité. C’est complètement baroque. On dit ça tout le temps ! 

Pour moi, ce nouvel album est plus dansant que jamais. Les lignes de basses sont très originales, et bien plus axées sur le groove. J’entends des éléments de post-rock, post-punk, des rythmes à la LCD Soundsystem. Tu penses quoi de cette référence ?

Nick : Merci, c’est vraiment ce qu’on essaie de faire. Seb et moi, on adore sortir, danser. C’est vraiment un mode de vie, et c’est drôle qu’on se soit trouvés tous les deux. C’est primordial dans une section rythmique. Seb est le meilleur batteur, il s’agit pour moi de trouver la meilleure façon de jouer avec ça pour rendre le tout intéressant.

Tu dirais que tu es plus influencé par Paul McCartney, Flea ou bien Marcus Miller ?

Nick : Je dirais qu’Anthony Jackson est de loin ma plus grande influence (NDLR : il a inventé la « 6-string contrabass guitar »). C’est un monstre à la basse, il a joué sur les premiers albums solo de Chaka Kahn. Lorsque j’ai rejoint Baroness, j’ai découvert tout un tas de groupes que je ne connaissais pas vraiment. Flea était aussi un mec auquel je m’identifiais quand j’étais plus jeune — dur de ne pas le connaître quand tu as mon âge. Mais Anthony Jackson est vraiment le meilleur… Car pour être honnête, je suis bien plus porté sur les groupes de funk ! 

Votre performance au Hellfest 2018 était vraiment incroyable — il faut en avoir pour faire un set entièrement acoustique à un festival metal (NDLR : le batteur Sebastian Thomson a du rentrer aux Etats-Unis en urgence, et au lieu d’annuler, le groupe a décidé de jouer en acoustique). Ça a déconcerté pas mal de monde, mais vos fans ont été littéralement soufflés. Quel est ton ressenti ?

Nick : Je n’imaginais pas que ce serait aussi magique. Seb avait du quitter la tournée précipitamment pour des raisons familiales, ça peut arriver. Mais John et Gina ont vraiment cette capacité à s’adapter vocalement. Le fait que la tente était remplie, que plein de gens pleuraient pendant que d’autres slammaient… j’en ai eu la chair de poule. C’est comme si tout le monde partageait ce moment unique avec nous, comme si les gens savaient et étaient aussi là pour nous soutenir. Le concert de toute une vie. 

Pour finir cet interview, tu connais John Baizley depuis un moment maintenant. Beaucoup de fans qui ont des groupes rêveraient qu’il s’occupe de leur pochette. Quelle est donc la meilleure façon de le soudoyer : en lui achetant de nouveaux pinceaux ? En l’invitant au meilleur resto du coin ? Son poids en bière, peut-être ? 

Nick : (rires) Si tu veux que John s’occupe de ta pochette, fais en sorte qu’il aime l’album. Il ne peut travailler qu’avec des groupes qu’il apprécie. J’ai rencontré John car une de mes amies l’avait contacté pour qu’il bosse sur la pochette de son groupe. Il a adoré sa voix et sa façon de chanter, ils sont devenus partenaires et amis. Il écoute ce qu’on lui envoie, alors si il aime, il le fera. Il est ouvert, mais très sélectif ! (rires)

Un dernier mot pour les fans français ?

Nick : J’ai hâte de venir chez vous. On s’amuse toujours beaucoup en France, donc il me tarde de venir ici, c’est tellement beau ! À cet automne ! 

Nouvel album « Gold & Grey » dispo le 14 juin via Abraxan Hymns – PRÉ-COMMANDER

 

Last modified: 21 septembre 2019