J’adore la musique cinématographique. Qu’elle soit utilisée pour exprimer un mouvement ou pour appuyer les émotions que dégagent l’image, je ne peux dissocier un univers pictural de la musique que j’écoute. Je ne peux qu’être comblé lorsque la musique d’un groupe invite à l’immersion dans une ambiance qui lui est propre. Tel semble être le mot d’ordre avec les huit titres magnifiquement oppressants que composent ce Feast For Water, second album que nous livre MESSA, dont la pochette et le titre sont autant évocateurs que mystérieux. Centré sur la symbolique et les rituels autour de l’eau, « la forme de l’eau » aurait pu être le titre de cette chronique.
Remarqué en 2016 avec leur acclamé Belfry, les Italiens avaient réussi à sortir du lot dans la catégorie doom progressif, qui plus est (horriblement) estampillé « voix féminine ». Car mettons les choses au clair : instituer le terme « groupe à voix féminine » comme un sous-genre est aussi stupide que de parler de « soul à voix d’homme » ou de « métal masculin ». Ça n’existe pas. Pire, cela démontre tout le sexisme de la scène. C’est tout aussi navrant lorsqu’il s’agit de masquer la pauvreté stylistique de certains, obligés de maquiller leur plagiat éhonté par des cris stridents et tapageurs de pseudos divettes embauchées à la va-vite. Non, une voix féminine n’est pas l’arbre qui doit cacher la forêt.
Très loin de tout cela, les Italiens de MESSA reviennent, libérés de leurs références trop évidentes, écueil de jeunesse que l’on pouvait éventuellement reprocher à leur précédent album. En 2018, MESSA s’affranchit d’une partition conforme au genre, mais pioche dorénavant dans le doom en s’appropriant ses codes pour exalter les émotions et rehausser leurs récits.
Ainsi dès l’intro liquide « Naunet » passée, on saute à pied joint dans les profondeurs de l’abîme, on se débat dans les eaux froides et sombres pour reprendre son souffle dans un vortex de guitares heavy. Une musique cinématographique qui parle d’elle-même, dont les quasi instrumentales « Tulsi » et « Da Tariki Tariquat » vont vous faire successivement tanguer sous la houle des guitares, chavirer puis couler. Vous vous sentirez mourir mais vous ferez à nouveau surface, lorsque la voix de Sara semblera vous réchauffer. Preuve en est que le canevas des compostions de MESSA laisse tous ses membres s’exprimer. Le mixage équilibré fait côtoyer de façon égale les instruments avec une voix à la tessiture si imposante. Car oui, le champ de possibilités de Sara ne l’enferme aucunement dans un style symphonique ou lyrique que l’on a l’habitude d’entendre. Les contrastées « Leah » (au finish à vous électriser les écailles), « The Seer » ou « She Knows » en sont de parfaits exemples.
Mais c’est réellement dans l’instauration d’une ambiance singulière et propre à eux que MESSA excellent. Relevée par le piano Rhodes cher à Badalamenti, ou encore les accalmies tout en velours de Sara, la musique de MESSA est Lynchienne : tour à tour jazzy et planante, habitée et hypnotique, mais toujours d’une beauté et d’une morbidité à la fois fascinante et troublante. Elle trouve sa pleine expression au cœur de l’auditeur pour passer à la postérité. Cette forme de l’eau, vous ne l’oublierez pas de sitôt.
ARTIST: MESSA
ALBUM: « Feast For Water »
RELEASE DATE: 6th April 2018
LABEL: Aural Music
GENRE: Ambient doom
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Last modified: 5 avril 2018