Attention, il se prépare quelque chose. L’électricité est palpable dans l’air. Une boule d’énergie concentrée dans le creux de la main façon Akira de Katsuhiro Otomo, prête à vous péter à la figure. Surgie de nulle part, celle-ci s’appelle SKLOSS et quand elle explosera, il se formera dans le paysage psyché un trou noir sonique si intense qu’il sera impossible d’en réchapper. On exagère peut-être (oui, on aime ça), mais ce duo de musiciens, époux au civil, réunion de la batterie de la Texane Karen Skloss et de la guitare de l’Ecossais Sandy Carson, propose un mur atmosphérique si puissant qu’il est comparable au son de l’espace se courbant sur lui-même.
Souvenez-vous, au début des années 90, la presse musicale qualifiait de « shoegazing » ce « Wall Of Sound » produit par le déluge de guitares saturées et de riffs distordus, car les musiciens laissaient penser qu’ils fixaient constamment leurs chaussures (ou leurs pédales d’effets). Imaginez maintenant ce même mur de son, provoqué par des artistes scrutant les étoiles et le firmament. Le célèbre artiste visuel Thomas Hooper (à l’origine de leurs pochettes) a ainsi inventé le terme « spacegaze » en réponse au son spatial développé. Il faut reconnaitre que ce spacegaze leur colle bien à la peau. Artiste radical, le duo pousse le concept jusqu’à jouer/interagir dans des skyscapes, ces oeuvres/structures architecturales (de James Turrell) dont la pièce centrale possède une ouverture unique dans son plafond permettant d’observer le ciel comme s’il était encadré…
Dans le détail, SKLOSS propose un dense mélange de psychédélisme, de drones et d’atmosphères éthérées. La musique de SKLOSS pourrait se comparer à une vague sonore monolithique se propageant en cercles concentriques après chaque secousse rythmique, où mélodies et voix spectrales se faufilent comme des volutes de brume. Une expérience sensorielle qui fait résonner autant l’âme que l’aura. L’approche est donc autant expansive qu’immersive ; intense dans son rayonnement mais délicate dans son introspection.
Clairement, SKLOSS n’est avant tout que contraste. Une collision des influences personnelles de Karen et Sandy, un télescopage du mur de guitares déformées avec une batterie percutante, une alternance de moments de pur chaos et d’accalmies toute relatives, une opposition entre voix fantomatiques de Karen et le phrasé abrupt de Sandy… La formule guitare/batterie pourrait présenter ses limites évidentes mais la créativité de ces deux électrons libres lorsqu’ils s’entrechoquent, procure de la portée et beaucoup de sensations fortes. La démarche parait simpliste et rudimentaire mais on marche sur un fil tendu, tant le dosage des ingrédients sonores s’avère mûrement réfléchi. Dans « The Pattern Speaks », premier single de l’album, comme son titre l’indique, la minutie des motifs s’exprime derrière le tourbillon de bruits et les attaques de percussion. On y décèle même un embryon pop rafraichissant. « Imagine 100 Dads » lui emboite le pas dans le même esprit. Issu des arts visuels, SKLOSS a d’ailleurs clippé ces deux titres, merveilles de créativité, de dérision et de non-sens qui valent le détour.
On l’a dit, « Dead Bone » ou « Plugged Into Jupiter » apportent leurs moments de répit plus introspectifs, explorations inverses, vers la découverte de soi. Il s’agit bien de trêves, avant que ne viennent s’écraser des plaques sonores massives et percutantes où le bourdonnement des guitares dégénère en transe. « Ghosts Are Entertaining » pousse le concept à son paroxysme lorsque le vrombissement et la saturation deviennent motif, langage entre le matériel et l’immatériel. On quitte un disque saisissant et transcendantal où le rugissement des amplis n’a jamais été aussi expressif. Même les acouphènes vous paraissent agréables.
On l’a déjà certainement écrit une centaine de fois pour d’autres disques mais croyez-nous : il y a de la splendeur qui se dégage de ce vacarme organisé. Une puissance sonore capable de générer une expérience sensorielle forte et de faire résonner toute votre âme.

Last modified: 3 avril 2025