C’est un secret de polichinelle, j’adore Kavrila. Mais jusque là dans mes chroniques à leur sujet, je ne vous ai jamais expliqué comment est né notre idylle ! À l’occasion de la ressortie de leur dernier EP, revenons sur cette relation torturée que j’entretiens avec mes anciens voisins du grand nord germanique.
J’ai découvert ce petit joyau brut qu’est Kavrila alors que je vivais encore à Hambourg, lors d’une date exceptionnelle de 1000Mods au Knust. En première partie ? Un groupe du coin dont j’avais déjà vu les stickers s’afficher sur les portes du bunker où j’ai un temps répété. Naïvement, je m’attendais à du stoner rock assez convenu. Au lieu de ça, j’avais pris une claque de violence et de nihilisme en plein dans les ratiches. Certes, ce n’était pas vraiment adapté pour la vague de cool du reste de la soirée mais dès le lendemain, je me lançais dans une écoute approfondie de leurs deux premiers EP “Rituals I” et “Rituals II”, et leur premier album “Blight”.
Et depuis, le virus ne m’a pas quitté. De leur côté, 3 EP, 2 albums, de trop rares shows en Teutonie et voilà que mes représentants préférés du sludge sombre à l’allemande sont enfin de retour après des années d’attente, nous offrant ici le premier acte d’une nouvelle trilogie d’EPs avec “Heretics I”.
Pour bien appréhender Kavrila, il faut comprendre ce que c’est que de passer 8 mois par an dans la flotte et le froid, de vivre dans la ville qui a vu émerger les Beatles mais se voit pousser constamment à l’arrière-plan culturel par sa voisine Berlin. Une ville dont les quartiers populaires peuvent accueillir le plus gros squat et asile politique d’Allemagne avec la Röte Flora, le club progressiste du FC St Pauli, du street art partout et des concerts tout le temps, le festival mondial des Turbojugend, mais aussi une mairie qui mise sur le remplacement de ces mêmes quartiers en y construisant du neuf et cher, et qui accueille la salle de concert classique la plus chère d’Europe avec l’Elbphilarmonie. Une ville ultra prospère et pourtant ultra divisée dont l’élitisme des classes aisées n’a d’égal que l’éclat du soleil se reflétant sur le lac intérieur (l’Alster), pendant que ses classes populaires, elles, prennent de plein fouet les contrecoups d’une politique économique Allemande aliénante.
Créer de la musique à Hambourg, c’est donc refuser le côté festif et psychédélique de Berlin pour mieux affronter l’âpreté de la vie, dans toutes ses nuances de gris, comme la majorité des pochettes du groupe. C’est avoir, toujours, une esthétique et une envie de DIY et de vouloir jouer une musique sans concession, nihiliste et puissante, sans pour autant vouloir repousser ses diverses influences, y compris les plus cheesy (oui, oui, on vous voit les allemands à vouloir nous foutre un peu de heavy kitschouille partout) . Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que le post-hardcore et le sludge aient eu un impact si fort sur la ville et qu’un groupe à la croisée de ces styles émerge comme l’a fait Kavrila.
Pour assumer son bagage punk, Kavrila a poussé avec “Heretics I” tous les potards plus loin encore que par le passé. Enregistré entièrement sur un vieux 4 pistes, pas de place ici pour les fioritures. Une tranche pour la guitare, une pour la basse, une pour l’ensemble de la batterie et une pour le chant. C’est tout. Le résultat est d’une puissance et d’une intensité rare, nous fracassant la tête avec ce semblant de lo-fi grungy accompagnant des riffs et des leads guitares toujours autant ancrés dans le post-hardcore. C’est bien simple, ça sonne comme un vieil album de black, si les blackeux avaient su composer avec de la subtilité. Le chant se veut principalement hurlé, comme toujours, mais avec une seule et unique prise pour enregistrer l’entièreté de l’EP, la vulnérabilité des cordes vocales n’a jamais été aussi présente. À tout moment, la voix pourrait se rompre et tout s’arrêter. Et si vous connaissez une meilleure définition du sludge que cette dernière phrase, je suis preneur !
4 titres donc pour un tout petit quart d’heure et ça attaque pied au plancher. On est d’abord happé par ce mix qui malgré sa simplicité permet à tous les instruments de trouver leur place. On commence donc avec “Embers”, dans la plus pure tradition post-hardcore avec ses lyrics scandés. L’enchaînement somptueux sur la ride pour le très moody et grungy “Chains” est un régal pour les oreilles. Pourtant, vos tympans sont bien vite agressés par des leads guitares dissonantes et noires. “Petrified” est le titre le plus punk et speed de l’EP mais son pont 100% dissonant lui confère une aura très noise rock. Enfin il y a “Ascend” qui rajoute à la liste des influences déjà variées une touche de doom sludge et de post-metal des plus agréables. Qui n’a pas entendu des relents de Brutus sur ce titre ?
Kavrila ouvre donc un nouveau chapitre avec cette deuxième trilogie. Traçant toujours sa voie sans se soucier des modes, des habitudes, et se remettant sans cesse en question dans la pratique sans jamais questionner son art lui-même, le groupe continue de briller par son authenticité et l’intensité communicative de leur production musicale. « Heretics » est écrit au pluriel et j’accepte que nous soyons tous fous, tant que nous profitons de cette bande son pendant notre dégringolade mentale.

ARTISTE : Kavrila
ALBUM : Heretics I
DATE DE SORTIE : 28 mars 2025
GENRE : Sludge punk
LABEL : Supreme Chaos Records
MORE : Bandcamp
Last modified: 15 avril 2025