Une interview d’un membre d’EYEHATEGOD, cher lecteur, ça peux te raconter comment s’est passé l’enregistrement du dernier album ou dans quelles contrées exotiques ces vénérables pionniers du sludge sont impatients de jouer à l’occasion de la prochaine tournée. Mais ça peut aussi ne rien te dire de tout ça et plutôt poser les bases d’une réflexion sur l’humain face à ses épreuves, ses dirigeants, ses congénères ou ses propres émotions. Et c’est pour cette exacte raison que j’attendais avec impatience mon second entretien avec Gary, sa finesse réthorique et sa sensibilité hors du commun. Inconfortablement calées sur un escalier métallique à l’arrière du célèbre Roundhouse, Beeho et moi n’étions cependant pas tout à fait prêtes pour l’intensité et la profondeur du moment que nous allions vivre tous les trois…
Que signifie être musicien à la Nouvelle Orléans aujourd’hui ?
Être musicien à la Nouvelle-Orléans, pour moi, signifie que tu es soumis à des standards plus élevés que la normale. Il y a tellement de grands musiciens ici… En tant que représentant de notre ville, je pense qu’il est nécessaire d’élever ces standards. Tu sais, c’est un privilège d’être un musicien et nous ne devrions jamais perdre de vue cela.
Comment les choses ont-elles évolué depuis Katrina et la pandémie ?
Tout le monde est très heureux d’avoir à nouveau de la musique. Cela rassure tout le monde de savoir que nous pouvons à nouveau nous réunir, boire des bières, fumer de l’herbe et écouter des groupes. Quand tu le fais tout le temps, tu le prends pour acquis. Toutes ces libertés peuvent nous être retirées en une seconde, et maintenant que nous sommes de retour, tout le monde devrait s’en réjouir parce que ça pourrait encore mal tourner. Et c’est de notre ressort, pas de celui du gouvernement ou peu importe qui vous voulez blâmer. C’est aux gens de prendre soin d’eux et des autres pour qu’on puisse vivre plus longtemps sur cette planète.
L’une des choses qui ressort de tout ça est que ça a tiré sur notre corde sensible. Des gens meurent et personne ne fait habituellement attention à la vie, et ce qui nous est arrivé réveille globalement nos émotions. Nous avions perdu le contact avec les sentiments, il y a tellement de jugement, de laideur… Quel que soit le pays où vous allez, elle est partout, et j’ai l’impression que le fait d’avoir traversé un tel malheur est censé nous réveiller, nous rappeler que nous devons prendre soin les uns des autres. Alors, même si tous les amis que j’ai perdus me manquent, je pense que c’est quelque chose qui était censé recharger nos sentiments, notre humanité… C’est bon d’être humain à nouveau, c’est bon de ressentir les choses ! Si ce qui arrive ne vous fait pas sentir plus humain, cela peut signifier que vous devez vous demander ce qui ne va pas dans votre façon de voir les choses. Ça a été un putain de gros bordel mais je crois que c’était pour un bon but.
Nous avions perdu le contact avec nos sentiments, il y a tellement de jugement, de laideur… Elle est partout, et j’ai l’impression que le fait d’avoir traversé un tel malheur est censé nous réveiller, nous rappeler que nous devons prendre soin les uns des autres. – Gary Mader
J’ai lu attentivement les paroles du dernier album, elles ont souvent une consonance politique mais restent aussi assez énigmatiques. Sont-elles liées au nomadisme et au fait que Mike n’a quasi pas de maison aujourd’hui, ou sont-elles plutôt une métaphore de quelque chose de plus personnel et spirituel ?
Elles sont plus une métaphore, du moins du point de vue de Mike. Il n’y a pas d’interprétation littérale de nos paroles, il s’agit plus de déverser nos émotions que de transmettre un message politique. Je n’ai pas le sentiment d’appartenir au gouvernement en place, je ne m’identifie pas à lui, mais quand quelqu’un est en position d’oppression, c’est le seul moment où ça vaut la peine de dire quelque chose. Si vous savez que des personnes sont injustement opprimées, vous devez prendre la responsabilité de vous élever contre ça. Tout ce que vous voyez aux infos n’est qu’une vaste mascarade et beaucoup de gens y adhèrent. Et de temps en temps, quelque chose de vraiment horrible se produit… Et vous devez en parler, car le silence ne donne rien de bon. Il faut avoir de l’empathie.
Ces textes ne sont donc pas nécessairement motivés par un mouvement politique, mais même sans rien y connaître, quelque chose au fond de vous dit quand quelque chose est mal, et ce qui s’est passé avec George Floyd en est un exemple parlant. Je me suis toujours concentré sur l’art, donc je passe beaucoup de temps dans ma tête, mais je sais ce qui est bien ou mal. Je ne pense pas que nous ayons besoin de regarder les informations. Je ne participe pas à tout ce drama. Tout le monde sait qu’on est foutus, on n’a pas besoin qu’on nous le rappelle. On doit se concentrer sur ce qu’on peut faire pour améliorer les choses. Et ça peut sembler bizarre venant de quelqu’un d’Eyehategod, hahaha !
Pas du tout ! Essayer de changer les choses peut se manifester dans l’art, il ne s’agit pas toujours d’aller dans la rue et de jeter des pavés…
En fait, c’est un moyen d’attirer l’attention sur le problème de la même manière que de jeter des pavés dans la rue, sauf que nous jetons des riffs au lieu de pavés.
Quand quelqu’un est en position d’oppression, c’est le seul moment où ça vaut la peine de dire quelque chose. (…) Ce qui s’est passé avec George Floyd en est un exemple parlant. – Gary Mader
Tu as étudié la psychologie, as-tu une théorie sur le fait que, ces vingt dernières années, il y a eu un regain de popularité pour tous les sous-genres sinistres, sombres et nihilistes tels que le sludge, le funeral doom ou le black metal ?
C’est probablement un reflet de la façon dont les choses se passent en général. J’ai récemment regardé le documentaire « The fear and The Dirt » sur les Sex Pistols : le climat social a tellement à voir avec la musique qui sort, et en ce moment nous sommes dans une période assez sombre. Je pense que les gens sont attirés par la musique parce qu’elle fait ressortir tout ça. Nous avons tous besoin de faire ressortir ça, afin de pouvoir le comprendre et l’accepter. J’écoute aussi beaucoup de rap, il reflète ce qui se passe dans les communautés avec les fusillades, la drogue, etc. La musique est chargée de ce qui se passe dans nos vies et qui a besoin d’être dit. Pas nécessairement de la haine, mais surtout de la déception, de l’anxiété, du désespoir et toutes ces sortes de sentiments négatifs, mais c’est nécessaire car tout ce qui n’est pas exprimé se perpétue. Je n’ai jamais pensé que la musique cool des années 60 était joyeuse, car si vous lisez les paroles, il y a aussi du mécontentement à propos de la guerre du Vietnam et de toutes ces choses contre lesquelles il faut s’élever. En fin de compte, on dit la même chose, mais d’une manière différente.
Le climat social a tellement à voir avec la musique qui sort, et en ce moment nous sommes dans une période assez sombre. Je pense que les gens sont attirés par la musique parce qu’elle fait ressortir tout ça. – Gary Mader
Quelque chose d’un peu plus léger maintenant. Dans une interview, Mike (Williams, frontman) a dit qu’en tournée, le groupe aime dormir ou ne rien faire de spécial avec le concert, tandis que tu es le seul à aimer te promener dans les villes. Peux-tu partager une expérience particulière avec nous ?
Ahaha, c’est une bonne question ! J’ai vu tellement d’endroits sympas et je dirais que mon préféré est Athènes. La deuxième fois que nous y sommes allés, j’ai eu la journée pour voir tout ce que je voulais. Je me promenais la nuit près de l’Acropole et j’ai entendu une chanson de Sting. On aurait dit un groupe qui jouait Police, mais c’était vraiment Sting qui jouait à l’Odéon. Je me suis assis et j’ai pensé « comme c’est bizarre ». Je ne suis pas très fan de Police, mais c’est surtout l’ironie de la situation de ce type qui joue dans un lieu aussi ancien… C’était une de mes expériences les plus cool, voir tous ces endroits anciens avec cette énergie spéciale et traîner avec les chats de gouttière. Chaque fois que nous y allons, je rencontre des gens différents et j’essaie de voir des endroits différents. Combien de personnes à NOLA peuvent aller là où nous allons ? Jouer de la musique est déjà un privilège, mais une tournée l’est aussi et quand je suis en tournée, je veux découvrir quelque chose à chaque endroit, je veux voir la façon dont les gens vivent. Je sors à l’extérieur, donc je peux expérimenter une partie de leur vie. Je veux en profiter parce que nous ne ferons pas ça pour toujours.
Dernière question : comment te vois-tu en tant que musicien dans une vingtaine d’années ?
Eh bien, j’espère que je ferai exactement la même chose mais en mieux. J’adore jouer dans Eyehategod, nous sommes tous des amis très proches donc ce sont de bons moments ! Dans vingt ans, je nous vois toujours comme une bande de mecs passionnés jouant de la musique parce que c’est fun. Et au-delà de ça, je me fixe des objectifs de vie jusqu’à 147 ans, donc je ne suis pas vraiment sûr de ce que je ferai après Eyehategod mais ce sera quelque chose avec une guitare et n’importe quel type de musique. Si j’ai 147 ans et que je joue sur un porche, ce sera cool. Je veux juste vivre pleinement ma vie et jouer autant que je le peux.
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Last modified: 13 janvier 2023