Une interview WTF avec GREENLEAF.

Written by À la une, Interview

Où il est question de spleen scandinave, de tempo capricieux, d’un divorce houleux mais inspirant, de musiciens morts-vivants, de chèvres, de tortues sophistiquées et de plongée sous-marine à vos risques et périls… Bienvenue dans l’univers abracadabrant des suédois de GREENLEAF, dont le huitième album sorti en 2021 est toujours dans les bacs, et qui viennent de signer pour le prochain chez Magnetic Eye Records. Nous les avons rencontrés au Desertfest London, le jour de l’anniversaire de leur chanteur Arvid et beaucoup trop tôt dans la journée pour chacune des deux parties. Trois tournées de bières et 30 minutes plus tard, voici à peu près ce qu’ils nous ont raconté.

En ce qui concerne le heavy, le death, le black ou de n’importe quel truc rétro, vous autres scandinaves tapez toujours dans le mille. Pourquoi, bordel ? Comment vous faites ?

Arvid Hällagård (chant): Parce qu’on s’emmerde tellement et qu’il fait tellement noir et froid que l’on doit rester occupés, et la plupart des Scandinaves ont tendance à faire du hockey ou de la musique. Nous bénéficions également d’une très bonne éducation musicale. Si tu veux apprendre un instrument, tu peux le faire gratuitement. Nous avons des impôts plutôt élevés mais cela peut devenir une bonne chose, car si tu veux découvrir la batterie par exemple, tu n’as pas besoin d’en posséder une.

Tommi Holappa (guitare): C’est également facile d’avoir accès à des locaux de répétitions et lorsque tu es jeune, tu peux revevoir des subventions pour acheter un instrument. Le gouvernement nous aide beaucoup.

AJ: Je ne sais pas si c’est pareil dans toute la Scandinavie, mais en Norvège et en Suède, il y a ces vieilles musiques traditionelles. Du coup nous avons un sens inné de la mélodie mélancolique. Nous avons cette expression en suédois, « vemod« , qui signifie « tristesse constante ».

TH: Même dans les musiques heavy, il y a toujours un peu de tristesse et d’obscurité au fond.

AJ: C’est pop mais triste, comme emo mais plus sombre. (rires)

« Si tu joues en Allemagne, une petite ville compte 600 000 habitants, tandis qu’en Suède c’est plutôt 10 000. Là-bas, cela n’a pas d’importance que ce soit un jour de semaine, il y aura toujours du monde. En Suède, si tu joues un lundi, il y a vingt personnes… » – Tommi Holappa

L’année dernière, j’ai lu dans l’une vos interviews que vous vous demandiez pourquoi les groupes suédois étaient tellement populaires à l’étranger alors que chez eux, personne ne les connaissait.

AJ: On ne joue quasiment jamais en Suède. On peut faire soixante-dix dates dans l’année et une seule en Suède. Mais récemment, les choses se sont un peu améliorées. La scène heavy est en train de prendre de l’ampleur.

Même pour des groupes comme Truckfighter

Même pour des groupes comme Truckfighters ou Lowrider ?

AJ: Truckfighters sont un peu plus connus maintenant, mais toujours bien davantage hors de Suède.

TH: Si ils jouaient là où l’on vit, il y aurait peut-être une centaine de personnes. En Suède et plus spécialement à Stockholm, il y a tellement de bons groupes que c’est difficile de sortir du lot. En Allemagne, une petite ville compte environ 600 000 habitants, tandis qu’en Suède c’est plutôt 10 000. Là-bas, cela n’a pas d’importance que ce soit un jour de semaine, il y aura toujours du monde. En Suède, si tu joues un lundi, il y a vingt personnes…

Parlons composition maintenant. Lorsque vous écrivez un morceau, vous pensez “disque” ou “live” ?

TH: On doit être capables de jouer les morceaux en live donc on n’en rajoute pas trop. Quelques fois, quand tu overdubbes les guitares à l’excès et que tu joues en live, il n’y a plus de patate.

AJ: On enregistre ensemble, pas piste par piste, et la seule chose que l’on rajoute ensuite sont les overdubs de guitare et le chant. Nous n’utilisons pas de click.

TH: Je vais te dire un secret : si tu veux entendre que nos morceaux ont été enregistrés live, écoute le début puis passe direct à la fin et tu verras que tout va plus vite. Quand j’entends ça je me dis “et merde, pourquoi on a gardé ça ? »  Mais Daniel notre producteur dit toujours “parce que c’est cool ! Ecoute Jack White, le tempo n’est pas régulier et c’est cool !”, et du coup je dis OK. Plus tard quand l’album sort, je me redis “pourquoi on a laissé ça ?“ mais finalement je sais que c’est une bonne chose parce que tu peux entendre que c’est enregistré live. Si on avait fait ça au click, ce serait un peu raide… 

AJ: Les albums que je préfère sont souvent de vieux albums sur lesquels tu peux entendre qu’ils font des erreurs.

TH: L’énergie est la chose la plus importante. On doit entendre que les mecs s’amusent au lieu d’avoir l’air coinçés.

« Le nouvel album est peut-être le plus difficile et facile à la fois qu’il m’aie été donné d’écrire car j’étais réellement triste. J’avais des problèmes réels sur lequels écrire et ce fut comme une thérapie. Je pouvais parler de choses qui m’étaient vraiement arrivées. » – Arvid Hällagård

Sur The Heavy Chronicles, vous avec dit : “si on parle trop de l’un de nos morceaux, on commence à le détester”. Est-ce que c’est encore vrai ou est-ce que vous pouvez désormais déconstruire un peu plus ce que vous avez créé, surtout le dernier album qui est beaucoup plus intime ?

AJ: C’est étrange car parfois les choses arrivent d’elles mêmes. Comme “Tides” sur le nouvel album que nous avons écrit en une heure. Parfois c’est comme si la mélodie t’attendait et parfois il faut juste te l’extirper des tripes.

TH: Pour “Tides”, j’étais juste en train de jouer, il a commencé à chanter et on a pensé “oh, le morceaux est déjà là”. On pouvait sentir qu’il devait émerger à ce moment précis, mais pour d’autres, ça peut prendre très longtemps.

AJ: Le nouvel album est à la fois le plus difficile et facile qu’il m’ait été donné d’écrire car j’étais réellement triste. J’avais des problèmes réels sur lequels écrire et ce fut comme une thérapie. Je pouvais parler de choses qui m’étaient vraiement arrivées. D’habitude ce que j’écris est plutôt fictif, j’essaye de créer des univers mais dans ce cas précis, cela devenait presque trop personnel. Donc oui, un album à la fois difficile et facile à écrire.

TH: On ne répète pas ensemble tout le temps car nous vivons dans des villes différentes. On commence avec une idée, généralement un riff et on l’envoie par mail. Si c’était un morceau plus joyeux, il n’aurait probablement pas pu s’y identifier car il était vraiment déprimé à ce moment là donc les choses sont naturellement devenues plus sombres. Tu peux entendre qu’il souffre réellement. Nous avons été vraiment impressionnés en studio car il avait 3 jours pour enregistrer le chant et finalement, il a tout fait en l’espace d’une seule journée. Tu peux entendre sur certains morceaux qu’il a enregistré en dernier, comme “Needle In My Eye” ou “What Have We Become”, qu’il commence à en baver.

AJ: Oui sur ceux là j’ai une espèce de grain rauque à la Mark Lanegan mais ça passe très bien. C’était une bonne façon de faire les choses. Après avoir enregistré “What Have We Become” je me rappelle m’être allongé et avoir dit “OK, je n’en peux plus”.

TH: Quand tu es revenu en régie, tu tremblais et tu ne savais pas quoi faire. Tu t’es juste assis et on était tous en train de sourire parce que ça sonnait tellement bien. Tu avais fait un super boulot !

Tu t’es senti mieux après ça ?

AJ: Je vis à Stockholm donc je suis rentré chez moi en pensant “ok, demain je vais probablement réaliser que ça ne sonne pas du tout parce que j’ai trop forçé les choses”. Mais quand je suis retourné au studio et que j’ai réécouté, je me suis dit “ok, tu as géré”, et je me suis senti mieux. J’ai traversé ce divorce terrible et un mois plus tard, il y a eu le Covid donc nous n’avions plus de concerts. Ma vie entière était mise en pause. Certains des morceaux sont durs et je réalise maintenant qu’à ce moment là, j’ai peut-être été un peu rude au sujet de mon ex-femme…

TH: Oui mais c’est comme ça que tu le sentais sur le moment, c’est ton journal.

C’était TA vérité.

AJ: Surtout sur “Needles In My Eye”. J’étais vraiment en colère mais je suppose que c’est l’un des avantages d’être musicien, tu peux dire de la merde sur les gens…

TH: Du coup comment on va gérer le prochain album ? Parce que tu es plutôt heureux maintenant.

AJ: Merde, tu vas devoir faire en sorte que je sois de nouveau triste. (rires)

TH: Je vais faire en sorte que tu te détestes, ça marchera peut être. (rires)

AJ: On verra ce qu’il va se passer avec le prochain album, je ne sais pas, je vais peut être devoir prendre de la drogue, on se débrouillera.

Remarque, ça pourrait aider le côté Lanegan de ta voix…

Arvid Hällagård: J’espère juste que je ne vais pas mourir (rires). Bon évidemment à un moment ou un autre je vais mourir. Et ça va me rendre triste.

Tommi Holappa: Ça, ça ferait un bon album ! On va peut être devoir te faire mourir pour pouvoir écrire un bon album.

AJ: Peut-être que c’est ce dont on a besoin pour vendre plus de disques. (rires)

En parlant de ça, si vous pouviez relever un musicien de sa tombe, qui ça serait ?

AJ: C’est une question difficile… Il y en a certains que je ne veux pas voir revenir. Qui voudrait ramener Kurt Cobain par exemple ? Il a fait toute la bonne musique qu’il pouvait. Pareil avec Jimi Hendrix, tu n’as pas envie de le voir revenir. Ce serait de vieux mecs, probablement gras… Est-ce que je peux plutôt sauver quelqu’un qui est encore en vie ?

Bien sûr !

TH: Je pense que je sauverais probablement Scott Reeder, le mec le plus gentil du monde qui mérite bien plus que d’être bassiste. C’est l’une de ces personnes qui ne méritent pas de mourir.

AJ: Je me demande quelle personne je serais le plus triste de voir disparaitre… Ce serait un batteur. J’adore les batteurs. Ce sont les meilleurs. Je ne sauverais pas un chanteur, ce sont tous des connards (rires). Je sauverais probablement Buddy Rich.

TH: Imagine si on pouvait jouer avec Buddy Rich !

AJ: Et le bassiste ?

TH: Probablement Scott Reeder ou Geezer Butler mais ils ne sont pas morts. Peut-être Cliff Burton. On a presque un groupe. Qui serait le chanteur ?

AJ: J’aimerais que Bill Withers chante à côté de mon lit quand je vais dormir… Voilà un putain de supergroupe et maintenant, on a besoin d’un nom.

TH: « The Dead Guys ». (rires)

« J’ai une license de plongée. Je peux apprendre aux gens à plonger. Vous viendriez plonger avec moi ? » – Arvid Hällagård

La dernière question est notre traditionnelle carte blanche, vous pouvez donc dire tout ce qui vous passe par la tête.

TH: J’ai une vie ennuyeuse et je fais de la musique avec des mecs.

AJ: (présentant le batteur de Greenleaf) D’ailleurs, voici Sebastian, il joue aussi dans le groupe (rires). La plupart du temps les gens ne comprennent pas que je raconte n’importe quoi, quand je parle de ce que vous faites dans la vie. C’est un truc que l’on fait : ce soir, Sebastian ramasse des chèvres.

TH: Je crois que tu l’as déjà faite celle-là… On a besoin d’un truc nouveau.

AJ: Il pourrait travailler dans un musée sur les tortues sauf qu’elles ne sont pas mortes et se baladent partout. Et il y a différentes espèces… (il invente alors des noms sans queue ni tête)

TH: On dirait presque que tu t’y connais en tortues.

AJ: J’ai une license de plongée. Je peux apprendre aux gens à plonger. Vous viendriez plonger avec moi ?

Tout le monde : NON !!!

AJ: C’est dingue que je puisse accompagner des gens sous l’eau avec de l’oxygène et que je sois supposé vérifier leurs bouteilles…

TH: Vous ne connaissez pas ce mec… Il perd tout !

AJ: C’est fou parce que tout le monde pourrait mourir. (rires) On peut réunir tous les chanteurs en vie et les laisser mourir avec moi ! The Underwater Dead Men.

TH: Le nom du groupe pourrait être “Dive and Die”. (rires)

AJ: Dive and Die niveau 1, mais il n’y a qu’un seul niveau. (rires)

Retrouvez Greenleaf sur Facebook, Instagram et Bandcamp.

Last modified: 3 octobre 2022