Dans leur pèlerinage vers le Roadburn, trois formations ont choisi comme étape parisienne ce lieu saint (si, si !) qu’est le Glazart pour fédérer leurs fidèles : Messa, Wyatt E. et Five The Hierophant sont prêts à nous emmener dans leur bagages direction l’Orient, avec la tâche ardue de redonner des lettres de noblesse au terme complètement pété de world music (brrr, les frissons rien que d’évoquer le terme). Mais de la world music marinée dans le doom quand même, c’est pas Paul Simon non plus hein.
Première étape : orné de capuches et d’accessoires rituels (cloche, encens…), Five The Hierophant a choisi de modeler son doom dans un free jazz intense, où les lignes profondes de basse sont striées de sons de saxophone extirpés de l’instrument par les longues expirations du leader (mais pas chanteur !) de ce groupe anglais. Le quatuor mise plus sur l’improvisation que sur des structures traditionnelles pour composer ses longs morceaux instrumentaux, il faut donc lâcher la rambarde et se laisser porter par la masse sonore sans chercher quelconque repère dans ce maelstrom. Les gars n’hésitent pas à nous faire découvrir de nouveaux horizons en soufflant dans deux rag-dungs tibétains qu’on voit peu souvent sur scène sans nos contrées. Mais c’est bien le saxophone qui prend tout l’espace ici, prouvant encore une fois que cet instrument est trop souvent oublié dans le rock. Alors évidemment, on pense à Zu tant on sent l’influence du groupe italien ici, et les anglais souffrent un peu de la comparaison tant il leur manque la puissance hypnotique de leurs aînés. Mais le set est suffisamment court pour qu’on ait pas eu le temps de réellement s’ennuyer.
Deuxième étape : le trio belge Wyatt E.. Tout entier dévoué à l’exploration du thème du pèlerinage (on en reparlera) et bardé de leur robe noire pour l’exploration du désert, ils déploient ce soir leur répertoire en deux morceaux de plus de 20 minutes tirés de leur tout nouvel opus. Contrairement à ce qu’évoque leur nom, Wyatt E. n’a pas l’ouest en ligne de mire, mais bien l’Orient mythique et considère sa discographie comme un voyage vers l’ancien empire néo-babylonien. Un voyage spirituel évidemment, ainsi que sonore où les instruments oubliés du 7eme siècle avant J.C. sont remplacés par une Flying V, un Moog ou une basse de chez Fender, plus facile à dénicher sur leboncoin. Mais le bluff est parfait tant le trio arrive parfaitement ainsi à nous évoquer de longues marches dans le désert à l’aide de quelques claviers et de percussions orientales. Précédés évidemment par Sleep dans cette démarche spirito-musicale, mais dans un registre moins “spatial” (et enfumé, quoique…), les Belges creusent ici des sillons moins doom qui rappellent évidemment les obsessions de Cisneros chez Om. Mais loin de se laisser impressionner par ces Dieux tutélaires, Wyatt E. assume son propos et fait confiance à son public pour l’amener progressivement vers l’apothéose électrique de Šarru Rabu. Non vraiment, Tonton Al serait fier.
Troisième étape : Messa. Il fallait probablement un groupe italien pour infuser si naturellement le doom d’une touche méditerranéenne. Et avec leur dernier opus Close, le quatuor a merveilleusement affiné son propos et s’est tourné vers les sonorités de l’oud ou de la mandoline pour étendre son champ d’action, avec toujours ces touches de jazz apportés par un guitariste adepte des soli riches en harmonies et dissonances. Attention, la musique de Messa est exigeante pour l’auditeur, et risquée en live : pleine de ruptures ou de baisses de rythme, elle peut laisser le spectateur distrait dans l’expectative. Mais pour peu qu’on se plonge la tête dans les amplis, le voyage est assuré par un songwriting soigné. Et en live comme sur galette, le groupe italien réussit l’exploit tant recherché de travailler encore plus loin leur son et leur écriture tout en gardant une fraîcheur salutaire, et l’on sent que les musiciens et leur chanteuse ont tous étoffé leur technique mais aussi leur démarche musicale.
Ce soir, le set est ponctué par les plus efficaces Dark Horse ou Rubedo (le meilleur titre de Close) ou par le plus progressif Pilgrim (tiens, encore !) Messa déploie tout son talent avec un détour par Leah issu de Feast for Water, et même un Hour of the Wolf demandé par le public en rappel, issu du premier album rappelant les origines doom plus traditionnelles du groupe. Messa a bel et bien gagné sa place de formation incontournable du doom actuel et le public du Glazart est comblé si l’on en croit les hourras.
Last modified: 24 avril 2022