Commencer une compilation sur les légendes du desert par une reprise de « IL Tramonto » de Morricone, c’est placer le compositeur comme la première de ces légendes et de surcroît, un bel hommage appuyé suite à sa récente disparition. « IL Tramonto », c’est le western dans toute sa splendeur et sa mythologie, celle de la figure imposante du cowboy solitaire (à l’image de l’artwork de Joshua Mathus pour ce premier volume) errant dans les vastes plaines où la terre et le ciel se mêlent à l’horizon…
…Mais certainement pas le cowboy justicier et manichéen de John Ford. Non. C’est Sad Hill, son cimetière. C’est le désert poussiéreux et crasseux, royaume des espaces démunis et de la violence. Une terre maudite et stérile, provoquant des hallucinations. C’est l’expression de la nature dans tout ce qu’elle a de plus âpre : des cactus et du sable, des scorpions et des crotales, des vautours et des chacals. C’est la terre des vagabonds portés par l’appel de la route, des desperados, des hobos, des marginaux. Une incarnation d’une autre Amérique, héraut de la contre-culture. Ce western-là, c’est l’image d’une Amérique contemporaine, pays fracturé, qui tente de tenir bon, coincée entre le mythe et l’illusion d’un rêve américain qui tient lieu d’espérance aveugle.
Et cette bande son, initiée par le label Desert Records, c’est leurs histoires, leurs doutes, leurs réflexions. À commencer par PALEHORSE/PALERIDER, originaire du Colorado, dont le mélange de shoegaze et de desert rock évoque les sentiments contradictoires d’un paysage désertique : une belle étendue marquée par une désolation pesante, la légèreté d’un foehn se heurtant au poids d’un soleil oppressant. Le chant éthéré s’accorde parfaitement aux guitares irradiantes ; l’ensemble s’équilibre pour inviter l’auditeur à une introspection ou à la rêverie, tout en créant simultanément un ressac sonore écrasant. Comme si les spectres d’une tribu amérindienne aujourd’hui disparue nous traversaient le corps et l’âme pour ramener à la réalité quelque chose qui ne l’était pas/plus.
Sur la deuxième partie de ce split, on ne pourrait y percevoir qu’un désert et des larmes salées de personnages tortueux et torturés par la vie. Mais c’est sans compter sur la folk psychédélique de LORD BUFFALO (véritable surprise de ce début d’année) dont la narration et les idées originales incorporées à leur écriture transcendent l’atmosphère maussade et austère développée. Avec un chœur chamanique en forme de lamentation, répété à l’infini, en guise de fil conducteur, Lord Buffalo tisse cinq titres, cinq mouvements d’un récit hautement cathartique. Avec une économie de moyens et sous une forme épurée qui lui est propre, Lord Buffalo a recours à des mélodies qui transportent l’âme hors d’elle-même. On se libère alors de ses émotions. C’est la prise de conscience de ses propres démons. Pas étonnant donc que chaque titre soit nommé « Noetica », concept métaphysique qui pourrait être défini comme un cheminement vers soi-même et sa conscience.
Le désert ainsi dépeint par ces deux groupes est propice aux hallucinations, au désespoir et à l’arbitraire amoral qui régit la nature. Mais c’est aussi l’endroit où l’on cherche des réponses. Perdus, mais dorénavant libérés de toute limite physique dans cette immensité, nous sommes à la recherche de la véritable richesse de ce monde : la connaissance de Soi. On pourrait alors détourner la célèbre citation de Blondin dans «The Good, The Bad & The Ugly» : « Tu vois, le monde se distingue en deux catégories : Il y a ceux qui considèrent leurs espaces intérieurs, pourtant plus vastes que n’importe quelle plaine désertique, et ceux qui creusent ». Et vous alors, vous creusez toujours ?
ARTISTE : PALEHORSE/PALERIDER & LORD BUFFALO
ALBUM : « Legends of the Desert Vol.1 »
LABEL : Desert Records
SORTIE : 21 août 2020
GENRE : Desert music / shoegaze / ambient
MORE : Desert Records – Palehorse/Palerider – Lord Buffalo
Last modified: 5 novembre 2020