SAPIENS, dernier stade connu de l’évolution du genre Homo. Sous cette abréviation se cache le vœu (pieux ?) de faire interpréter dix titres acoustiques par dix chanteurs énervés de la scène rock et métal française. 10 titres. 10 chanteurs. Les faire sortir de leur zone de confort, les prendre à contre pied. Le dernier stade d’une évolution musicale ? Sur le papier ça ressemble beaucoup à une french dream team énervée version coin-du-feu. En vrai, il s’agit de bien plus que ça.
Le point commun de tous ces titres, le fil conducteur, c’est Nico, guitariste et compositeur de LOS DISIDENTES DEL SUCIO MOTEL (LDDSM) dans la vraie vie, qui a l’audace de faire interpréter ici ses aspirations les plus personnelles par la fine fleur de la musique underground amplifiée.
Trouver une cohérence avec autant de participants peut ainsi paraître compliqué. Comment en effet ne pas imaginer de prime abord une compilation de titres sans lien aucun dont le seul but serait un name dropping délibéré capable de faire monter la sauce ? La participation de tant d’artistes a également ses limites : la comparaison entre interprètes est inévitable et les préférences personnelles sont réveillées et encouragées; quand ce ne sont pas les faiblesses de certains par rapport aux meilleurs. Ainsi les parties de chants de Julien (Psyckup) et Poun (BBÄ) arrivent très vite à leurs limites sans exprimer la profondeur ou l’intensité attendues. Notons également le chant doucereux de Julien de Mars Red Sky sur « Surreal Estates » qui empêche d’apprécier à sa juste valeur ce titre très floydien dans l’âme.
Viennent les bonnes surprises dont je ne soupçonnais pas forcément l’existence. Notamment cette entrée en matière par Steve de Robot Orchestra. Sur une cadence mécanique mais organique, il vient plaquer un velours aérien en contrepied. On peut également citer le titre de Cédric de Hangman’s Chair (dont je ne suis pas fan du style lacrymal), tout en concision, qui marque avec simplicité et justesse ce disque.
Reste la délectation que peuvent procurer tous les autres, que ce soit le vibrant Forest Pooky qui fait mouche en plein coeur ; le poignant Mathieu Dottel sur une guitare tout en slide ; l’écorché Reuno vacillant comme une flamme de bougie assumant le français dans le texte ; le déglingué hillbilly de Mat Peq que Mike Patton n’aurait pas renié et venant pimenter ce disque. Mais la plus belle œuvre vocale reste sans conteste ce « Wake Up Call » où les deux chanteurs de LDDSM se répondent, se soutiennent en contrepoint sur un crescendo harmonique so Foo à vous hérisser le poil. Juste magnifique.
Toutes ces prestations ne seraient rien sans les compositions travaillées des deux architectes du projet. Des compositions lumineuses malgré les sujets parfois abordés et dont la construction par progressions harmoniques accentue le chatoiement du disque — construction malgré tout un peu trop redondante qui gâche l’effet de surprise sur certains titres. Les références assumées de Nico transpirent tout au long des dix titres. Pink Floyd, Foo Fighters, Pearl Jam, Alice In Chains etc. sont régulièrement invoqués sans être prégnants. Le travail d’arrangements jalonnant le disque enrichit les compositions et atteste d’une volonté sincère de bien faire. Trop peut être, par moment, mais on chipote ici.
L’adage « le mieux est l’ennemi du bien » pourrait alors devenir le conseil que l’on a envie de lancer à SAPIENS, avec notre souhait de voir émerger un second volume de chansons aussi lumineuses qu’intimes. Pas besoin de fard pour une musique qui reflète aussi bien de si belles âmes.
ARTISTE : Sapiens
ALBUM : « Sapiens »
DATE DE SORTIE : 25 octobre 2019
LABEL : Hellprod
GENRE : Rock acoustique
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Last modified: 13 décembre 2019