Cette deuxième journée au DESERTFEST LONDON a donné la part belle aux penchants les plus sales du heavy d’un côté, et aux performances maxi groove et grande classe de l’autre. On vous parle bien sûr d’EYEHATEGOD, BRANT BJORK, BLACK PYRAMID, PALEHORSE, TEN FOOT WIZARD et AMPLIFIER. Prendre sa claque devant des légendes du sludge et du stoner tout en s’arrosant de bière de midi à minuit : bienvenue au paradis. (TEXTE : Thib et Beeho – PHOTOS : Gaël Mathieu)
PALEHORSE @ THE UNDERWORLD
Touche fraîcheur dans un océan de tribute bands à Black Sabbath, PALEHORSE détonne tant par le style pratiqué (un post-hardcore furax et massif) que par sa config : deux basses, un batteur, un moog et un brailleur. Quatorze ans que le groupe joue, et pourtant jamais entendu parler de cet hybride à la fois méchamment hardcore et salement sludge qui a notamment sorti un album sur Candlelight en 2013, « Harms Starts Here ». Label prestigieux, groupe ancien, mais assez peu de traces sur le net : PALEHORSE est un groupe discret, ou alors il ne se prend pas au sérieux (en tout cas les imitations de Dark Vador à l’octaveur du chanteur entre les morceaux m’invitent à le penser).
On est pas bien serrés en ce début d’après-midi à l’Underworld, niveau moshpit on fera tout seul, mais l’affluence est honorable et le show est cool. Vraiment pas évident de vous situer PALEHORSE dans la sémillante famille du hardcore à lunettes, tant le groupe semble échapper aux modes. J’hasarderais une triangulation entre Neurosis (du pauvre), Unsane (du pauvre) et Shellac (du pauvre) pour vous donner une idée du bordel, avec les claviers et la mélancolie des premiers, le côté tough et les rythmiques mordantes des seconds et le côté noise rock couplé au son de basse des derniers. Vous ajoutez à tout cela un chanteur grand, maigre, chauve et tatoué qui hurle en mode « Jane Doe » de Converge (du pauvre) et descend dans la fosse au contact du public pour le chatouiller un peu, et vous aurez une idée du tableau étrange qu’on a devant les yeux à ce moment précis.
« Why are there 2 bassists? More like why the fuck aren’t there 3. » – Commentaire YouTube
BLACK PYRAMID @ ELECTRIC BALLROOM
Déjà petite mise au point lineup : Darryl Shepard (chant/gratte) et Gein (basse) jouent dans deux trios : BLACK PYRAMID et The Scimitar. Aussi, quand le batteur de BP les lâche pour la tournée, ils se tournent tout naturellement vers le batteur de The Scimitar, Brian Banfield, pour le remplacer au pied levé. Cet après-midi, on a donc en quelque sorte « The Scimitar plays BLACK PYRAMID » devant nous.
Le début de set est franchement ronflant. Le trio ne paie pas vraiment de mine sur la grande scène de l’Electric Ballroom, avec un Brian Banfield faisant office d’intérimaire dépressif sous calmants, et la paire Darryl Shepard/Gein un brin statique. L’appel du demi frais (hors de prix) est plus fort, et je cours me caler à l’étage pour mater le show du balcon. Musicalement on est en terres old school, quelque part entre le heavy épique de Grand Magus et une version « chaussons, Derrick et mots-croisés » de High On Fire. Le public s’adapte et headbangue mollement, poliment je dirais, et semble ne pas attendre grand chose des Américains… Et pourtant, la sauce prend peu à peu et le set passe à une vitesse folle !
Ce sont successivement un morceau de The Scimitar, « Void Traveler » et « Visions Of Gehenna », qui viendront changer la donne. Le premier débute comme mille morceaux de stoner avec un riff super conventionnel, un refrain doom sabbathien à mort, puis un de ces breaks tout doux qui va en s’alourdissant progressivement pour finalement exploser sur un solo magnifique… Miam ! Le set s’achève sur le second, « Visions Of Gehenna », très sleepien dans le feeling, avec une énergie quasi martiale et un refrain irrésistible… Yeah!
Cette petite heure avait bien mal commencée mais c’est un peu sur le cul qu’on finit, car même si le groupe a joué un set statique et dépassionné, il l’a torché comme il le devait, la force des morceaux faisant le reste.
LO-PAN @ ELECTRIC BALLROOM
On passe super vite sur LO-PAN qui ne m’a pas transcendé mais alors DU TOUT. Pas une seule surprise ne viendra hérisser ce show tristounet et vu mille fois, et surtout : pas une seule flûte de pan. LO-PAN joue un stoner très convenu à l’exception d’un élément notable : son chant, quasiment soul dans les accents, clair, puissant, mais surtout super FORT. Un peu comme Maître Gims en fait. Tellement fort qu’on en arrive à s’éloigner des premiers rangs, car la voix de Jeff Martin nous assassine les tympans… Bon ben, salut !
TEN FOOT WIZARD @ THE BLACK HEART
[Beeho on the mic] Vu la déception notoire qu’est Lo-Pan (bien que le groupe ne manque pas de talent sur disque, cf. Colossus, leur dernier album sorti chez Small Stone), je file de mon côté au Black Heart voir les rock’n’rollas de Manchester TEN FOOT WIZARD. Parce que bon, ce serait hérésie de recommander le groupe aux festivaliers via le magazine du Desertfest – grande nouveauté de cette édition 2015 et objet à grande valeur ajoutée pour des nerds du heavy comme vous et moi, et où THC a eu l’honneur d’avoir carte blanche sur une page – et de ne pas voir le groupe en action !
Comme un samedi de Desertfest au Black Heart, il est difficile de se frayer un chemin à l’étage, où il fait déjà plus ou moins 35°C tandis qu’un bon quart de l’assistance en est déjà à son gramme réglementaire. Nos quatre Mancunians ont l’air d’être comme à la maison, et tirent profit de la bonne humeur du public pour balancer un set heavy rock gavé au FUN. Non, je ne parle pas de la chemise hawaienne du gratteux. Ni du bling-bling K7 en plastique vert fluo du batteur. Le groupe envoie donc bourrinade rock sur bourrinade rock, avec un sourire large comme ça, et le public de répondre aussi sec. Instant chaleur bonus quand Gary (chant/gratte) ôte son t-shirt, sous les cris délirants de la gente… des deux sexes ! Avec son chant puissant et rauque, le mec a de quoi sérieusement foutre les boules à pas mal de vocalistes présents sur le festoche. Je ne vous raconte pas la fin du set, j’étais trop occupée à headbanguer.
BRANT BJÖRK @ ELECTRIC BALLROOM
Attention là ça ne déconne plus. Quand le Desert Fest accueille un des fondateurs et principaux avatars de la scène qui lui a donné son nom, le show est forcément un évènement. Je me suis retenu de me prosterner pour pas faire honte aux copains mais l’envie était là, car le gourou BRANT BJÖRK est un sacré monstre de charisme et de coolitude qui rendrait gay n’importe quel dude (nan ? y’a que moi ?).
Brant et sa bande prennent possession de la scène sur une petite jam mineure, le temps pour nous de mater le lineup : à la basse le Low Desert Punk Dave Dinsmore (Unida, Ché…), à la gratte aussi un LDP Bubba Dupree et à la batterie en lieu et place de Tony Tornay, Ryan Güt. La jam monte, et soudain c’est le riff conquérant de « Automatic Fantastic » qui prend le dessus, yes ! Le show démarre vraiment et on découvre un Brant Björk plus méchant qu’à l’accoutumée, avec un regard d’acier sous un bandana de velours : les yeux plantés dans l’audience, la gestuelle bavarde et dure, le jeu de scène rigide. Le monsieur sait comment s’y prendre pour impliquer le public dans ses chansons, un sourd pourrait facilement dérouler l’intrigue de ses lyrics tant les gestes accompagnent chaque syllabe. Côté son, les nouveau titres, ceux du très électrique Black Flower Power, passent un peu moins bien que le reste de la discographie du monsieur, la faute à une grosse saturation à laquelle le super dude ne nous a pas forcément habitué depuis le début de sa carrière solo.
On un peu l’impression de voir un backing band autour de Brant tant le reste du groupe la joue discret. Toute l’attention est focalisée sur le desert rocker originel, le Jésus du stoner, accueilli très chaleureusement pour un public conquis d’avance. « Let’s have some fun » ordonne Brant avant de lancer « Too Many Chiefs… Not Enough Indians ». À vos ordres ! Côté setlist, on a droit à quelques morceaux de l’album des LDP, le tout frais Black Flower Power, du Jalamanta, un petit « Freaks Of Nature » qui joue les prolongations pour notre plus grand plaisir et, surprise, UN NOUVEAU TITRE ! Du pur BRANT BJÖRK tout en douceur assis sur un riff de basse au groove fuyant, c’était BON. Quelques déceptions : aucun extrait du meilleur disque de BB Gods And Goddesses, le groupe évite aussi le meilleur titre du dernier album « Ain’t No Runnin » (non mais sérieusement les gars ?!), et le set finit sur un morceau qui m’échappe, totalement mou, une note finale qui ne rend pas honneur au roi du désert. Pour le reste, sa magnifique voix et son aura dingue aura fait tout le taf, no regrets, c’était un show du meilleur groupe de desert rock qui existe et même avec une setlist pas au mieux, c’était du haut niveau, bro.
EYEHATEGOD @ ELECTRIC BALLROOM
En co-headliner de cette journée du samedi, rien de moins que d’autres pionniers de la scène lourde et sale US, les crasseux EYEHATEGOD tout juste débarqués de Rouen pour la 25e et dernière date de la première partie de la tournée européenne qui en compte 50 en tout… Quand on sait que Mike IX Williams a la santé fragile et quand on voit sa dégaine ce soir, on se demande comment le mec tient encore debout et on pige pourquoi il a annulé d’entrée de jeu sa lecture qui devait avoir lieu un peu plus tôt.
Le début du concert est comme d’habitude assez chaotique : on ne sait pas ce que le groupe veut faire. Balances ? Démarrer le show ? Boire des bières et fumer des clopes en regardant le public ? Finalement, un larsen sort, interminable, et la machine se met en branle sur le très crust « Agitation! Propaganda! ». Le tableau est joli : Mike semble en chier à mort et reste accroché à son micro – tombera ? tombera pas ? – tandis que le bassiste Gary Mader tangue comme un alcoolo fini. Jimmy Bower (gratte) lui s’en branle, il fait le show et vous emmerde, pendant que Brian Patton (gratte) nargue le public. Vocalement pourtant, Mike c’est Darty, il s’en tire remarquablement bien et développe une hargne en contradiction avec son allure cadavérique.
EYEHATEGOD c’est deux choses : une musique incroyable et une ambiance terrible. L’impression d’avoir à faire à une bande de sales gosses crasseux qui ne sait pas trop dans quel pays elle se trouve, ni quel jour on est, qui sait une seule chose mais qui le sait bien : comment enterrer le public sous des tonnes de vase polluée aux métaux lourds. Pluie de gobelets de bières pas tout le temps vide VS pluie de crachats, provocations, acclamations : le rapport entre le groupe et le public est vraiment particulier, une sorte d’amour sans respect apparent, une alliance secrète pour faire exister un grand moment de WTF. La fosse ne décolère pas tout du long du show et réagit au quart de tour aux variations de feeling de la setlist, tantôt heavy et bluesy, plus southern tu meurs (« New Orleans Is The New Vietnam », « Dixie Whiskey »), tantôt speedée et crust (« Agitation! Propaganda! »), tantôt juste super poisseuse et glauque (« Revelation/Revolution »)… 50 nuances de gras.
Parfois le show s’interrompt, on ne sait pas trop ce que le groupe va décider : arrêter le concert, en jouer une autre ou faire une annonce micro pour commander des tacos, le bordel quoi. Au final EYEHATEGOD aura fait un show très fidèle à lui-même, incarnant authentiquement la lose qu’il porte depuis vingt-cinq ans maintenant et pour ça, le groupe de la Nouvelle-Orléans reste un incontournable et un sacré moment de live.
AMPLIFIER @ THE JAZZ CAFÉ
[Beeho on the mic] Pendant que Thib prend son pied au Ballroom avec EyeHatefuckinGod, je me rends au Black Heart pour le gig des teigneux métalleux Hang The Bastard. Mission avortée : la salle est tellement blindée qu’il y a même filtrage à l’entrée, et une queue jamais vue dans les escaliers qui y mènent. Déception ! Que faire dans ces cas-là ? Aller au Jazz Café voir ce qui s’y trâme. Parce que cette salle est chouette et qu’il serait bien d’y mettre les pieds au moins une fois dans le week-end. Et non seulement l’équipe de sécurité y est la plus sympa de tout le festival, mais lorsque je pénètre dans l’antre des soirées hip-hop londoniennes (si, si !), le groupe de heavy prog AMPLIFIER est sur scène. Je me fais alors embarquer sans préavis pour une heure de métal épique et émouvant, orné d’une présence scénique extrêmement classieuse. La configuration à la fois spacieuse et tamisée du Jazz Café est idéale pour plonger dans le groove intense que prodigue le trio, et ce n’est pas la foule compacte qui acclamera chaleureusement ce dernier en fin de set, qui vous dira le contraire.
Ce deuxième jour se termine sur une afterparty stoner et doom au Black Heart avec tous les copains, mais sans la collaboration de l’équipe de sécu de la salle (qui fait encore une fois du zèle avec les festivaliers, pourtant bien plus tranquilles et posés que les hippies sous acide du Summer Of Love)… Après quelques pale ale, et ce samedi intense en très TRÈS belles performances, on retourne à l’auberge pour recharger les batteries tant bien que mal, en vue d’un dimanche qui s’annonce FUCKING HEAVY.
Last modified: 11 juillet 2015