Sonner consensuel et dire « c’est l’heure du bilan, passons en revue les meilleurs albums de cette année 2012 » ? Non, en fait c’était plus une histoire de manque de temps, et par conséquent, le top albums 2012 de The Heavy Chronicles se fait en mode achats de Noël de dernière minute… Pour autant, la hotte T.H.C ne contient aucun article bradé et dépourvu d’âme : ici, que de la haute définition, du trié sur le volet, du produit qui a hautement mérité sa place au soleil. Les plus grands se voient cotôyer les nouveaux venus, et c’est bien ça qu’on aime : savoir que tout est encore possible et que les frontières ne demeurent… que dans la tête. Rien que pour ça, on gardera le sourire, et on continuera à tendre l’oreille. 2013, on t’attend de pied ferme.
(NDLR : certains albums ne figurent pas dans la liste, car ils ont bénéficié de chroniques individuelles lors de leur sortie – voir rubrique « Chroniques » pour plus d’amour).
★ Les têtes d’affiche ★
SOUNDGARDEN « King Animal » (Seven Four Entertainment 2012)
Commencer cette sélection avec l’un des albums de rock les plus attendus de l’année, que voilà une chose délicate ! 16 ans après leur dernier opus « Down On The Upside » qui amenait doucement le groupe vers la porte de sortie, Cornell, Thayil, Shepherd et Cameron prouvent à des flopées de détracteurs qu’ils savent encore jouer… et ensemble ! Dans la lignée très rock de son prédécesseur, cet album bénéficie d’une production massive par Adam Kasper et de quelques titres assez magiques comme « Bones Of Birds » et « Taree ». Le reste, c’est du rock. La « Thayil touch » se fait un peu trop discrète selon moi, et même si la voix de Cornell est revenue en force, le traitement un peu trop feutré de cette dernière fait perdre de l’impact à l’ensemble. À prendre en appetizer, donc.
DEFTONES « Koi No Yokan » (Reprise Records 2012)
DEFTONES fait partie des groupes nés en plein dans la mouvance néo, qui ont su tirer leur épingle du jeu, imposer un style unique et reconnaissable, et passer l’épreuve du temps sans devenir trop ridicules (cf. Limp Bizkit qui n’a toujours pas quitté ses baggys-couches culottes). Avec un « Diamond Eyes » de très très haute volée, le nouvel album était d’autant plus attendu. On le sait, Deftones est un groupe sensuel qui aime l’effeuillage. C’est pourquoi « Koi No Yokan » revêt une armure épaisse faite de métal et de compos enragées, et nous révèle que progressivement son côté expérimental et à contre-temps (déjà amorcé dans les projets Team Sleep et Crosses de Chino). Les low-tempos ont presque une arrière goût new age, on aime ou on déteste. Mais l’univers Deftones est là, et comme toujours, on s’y laissera entraîner volontiers…
★ La tête dans le cosmos ★
BLACK BOMBAIM « Titans » (Lovers & Lollypops 2012)
C’est en live que j’ai découvert BLACK BOMBAIM, et je peux vous garantir que les sensations procurées par leurs jams psychédéliques vont bien au-delà du raisonnable. Avec la générosité qui le caractérise, le trio de Barcelos déverse quatre morceaux de dix à vingt minutes chacun, dans une effusion de fuzz, un tourbillon de moments floydiens qu’on souhaiterait sans fin. Si vous cherchez de la régularité et des découpages de morceaux conventionnels, alors voir dans un autre registre. Ici ça jamme, ça dématérialise dans tous les sens, on prend des formes qu’on ne pensait exister que dans nos rêves. Le terme « stoner » n’a jamais autant pris son sens qu’avec ce groupe. Le son est gros, gras, rond, et pourtant on décolle en deux secondes. À la façon d’Earthless (tiens, ne serait-ce donc pas Isaïah Mitchell sur « C » ?), « Titans » ouvre un passage intergalactique entre deux mondes, et notre esprit d’y vagabonder avec plaisir le plus assumé. Je crois qu’on a fait une jolie visite guidée de l’univers avec Black Bombaim. Merci à eux.
GLOWSUN « Eternal Season » (Napalm Records / Spinning Goblin Productions 2012)
GLOWSUN est un groupe qui compte dans le paysage stoner français, et depuis des lustres en plus. Dire qu’ils font du stoner rock serait affreusement réducteur, car leur musique tient plus de l’expérience mystique que de tout autre chose. « Eternal Season » prend son temps pour se dévoiler, comme le groupe lorsqu’il dépose des bâtons d’encens quelques minutes avant leur show, histoire de poser le décor. C’est seulement lorsque la guitare vibrante de Jaccob déclenche toute sa puissance que l’on découvre que le spectre musical de cet album dépasse largement celui du stoner. C’est sans compter sur un chant qui se fait très discret, un atout qui permet de profiter de ces effluves hypnotiques. Quelque part entre la constellation My Sleeping Karma et la galaxie Lowrider, le soleil brillant de cette éternelle saison n’est pas prêt de s’arrêter de briller.
★ Le stoner en force ★
STEAK « Disastronaught » (A/P 2012)
Avouez-le : vous avez AVANT TOUT été intrigué par ce groupe à cause de son nom. Parce que la bouffe fait tourner le monde, et que très souvent, les choses les plus simples sont les meilleures. Le premier EP de cette récente formation britannique est un condensé de stoner rock, fuzzé, graveleux et, le plus important : super enthousiaste. Écouter Steak procure la même sensation réconfortante et revigorante qu’une grosse pinte de bière en sortant du boulot. « Disastronaught » est musclé et tapageur, et même après un morceau tel que « Peyote », qui comme son nom l’indique « stupéfie » le cerveau, on en ressort tout de même ébouriffé et rougi comme après une bonne bagarre de comptoir. L’amour du gros son et la candeur de ce groupe en font une valeur montante de la scène européenne, ce n’est pas pour rien qu’ils ont suivi Truckfighters sur leur tournée britannique, et qu’ils joueront au Desertfest 2013… À suivre !
WHEELFALL « Interzone » (Suinruin Records 2012)
« Ooh la la ! » comme dirait Homer Simpson. Ben oui, comment faire un bilan de cette année sonore 2012 sans parler de la petite révélation mais non des moindres : WHEELFALL aka le genre de faction qui te kidnappe et t’attache par les cojones pour te traîner dans la poussière sur des kilomètres. Le stoner/sludge Asimovien de WHEELFALL est tellement bien goupillé que ça ne me dérangerait absolument pas d’écouter leur zik en boucle dans une chambre capitonnée, H24. À chaque nouvelle écoute d' »Interzone », vous réalisez un peu plus la grandeur de ce groupe, et chaque riff, chaque détail vous pousse un peu plus dans vos retranchements d’auditeur borné, vous faisant frôler la dépression nerveuse parce que vous n’avez au final pas d’autre choix que d’admettre le génie qui s’en dégage. Les Nancéens n’ont pas choisi la facilité, et ce premier essai mérite sans conteste toutes les éloges qu’il a reçu.
THE SWORD « Apocryphon » (Razor & Tie Records 2012)
THE SWORD, un groupe qui a trouvé la recette qui fonctionne et qui depuis, ne s’en est que rarement écarté. Dès les premières notes de « Apocryphon », pas de doute, on sait à qui on a affaire. Toutes les composantes sont là. Mais contre toute attente, à aucun moment l’ennui ne s’installe. Il y a quelque chose de fulgurant dans cet album du groupe texan, quelque chose d’extrêmement vivace, qui va bien au-delà de la musique. Leur musique raconte toujours autant d’histoires, c’est un fait, la prod est géniale, c’est un fait. Mais c’est comme si le groupe bénéficiait d’une deuxième jeunesse après une longue période de galère et d’indécision. De « The Veil Of Isis » à « The Hidden Masters » ou « Seven Sisters », leur stoner épique prend une tournure plus old school, plus stadium, plus grandiose encore. Serait-ce enfin l’âge de raison ? La consécration ? Quoiqu’il en soit, on s’en lèche encore les doigts…
★ Et en Enfer, on préparait l’Apocalypse ★
DOPETHRONE « III » (Totem Cat Records 2012)
S’il y a bien un groupe devant lequel il faut absolument s’incliner, c’est Dopethrone. Prolifiques comme jamais dans leur cave de Montréal, c’est à peine un an après l’exceptionnel, que dis-je, l’IMMENSE « Dark Foil », que le groupe revient. La relève de Weedeater et Electric Wizard est assurée, quel genre de sourd oserait encore en douter ? Dopethrone possède un groove extraterrestre, un pouvoir démoniaque troublant, et une propension à jeter de l’absinthe sur les flammes dès que l’occasion se présente. Cet album « III » attise un peu plus le mal, et c’est avec toujours autant de délectation qu’on guettera les moindres grognements, les moindres retentissements de cymbale, les moindres feedbacks produits par Vince et ses potes. Comme toujours, on a l’impression d’être invités à une séance de vaudou par le Canadiens, qui feront tout pour nous extirper de cette déprimante conformité qui caractérise du monde moderne. DOPETHRONE, déjà immense, est en passe d’entrer dans la légende…
NORSKA « Norska » (Brutal Panda Records 2012)
Sous la grisaille chronique de Portland, il y a NORSKA. « Norska » ou « norvégien », comme pour symboliser la vague de froid qui vous pénètrera jusqu’à la moelle lorsque vous plongerez dans le premier EP du groupe. Prenez Rwake, Kylesa et Ramesses. Filez leur plein de meth, mettez les dans une arène et laissez les s’entretuer (que de visions tordues, oui je sais…) : vous obtiendrez NORSKA. Du sludge/doom animal, viscéral et aliénant. Mais c’est pas comme si ces garçons ne savaient que grogner et faire hurler leur amplis de manière primaire : on a quand même droit à quelques moments d’accalmie, où toute l’intellectualité musicale du groupe ressurgit, et transporte quiconque laisserait traîner ses oreilles dans les parages. Je pense notamment à « They Mostly Come At Night » et « Two Coins For The Ferry ». « Norska » est une ode à l’Apocalypse qui n’a jamais eu lieu, une sorte de memento mori pour les braves. Testez-donc.
★ L’outsider à ne pas rater ★
EL CACO « Hatred, Love & Diagrams » (Indie Recordings)
Avec déjà cinq albums derrière eux, EL CACO est sûrement l’un des secrets les mieux gardés du royaume norvégien. Mais les bonnes choses doivent être partagées, et c’est avec émotion que l’on découvre « Hatred, Love & Diagrams », un album de hard rock enivrant, émouvant et saisissant. « Hatred, Love & Diagrams » fera chavirer votre esprit, votre coeur, et tout ce qui frémit un minimum sous votre carcasse. Puisant ses sonorités dans le hard rock et le métal mélodique, les compos sont imparables, et le groove et le rythme cadenassent le tout en un ensemble cohérent et costaud comme un roc. Mais outre leur talent pour la compo et la production (de l’enregistrement au mastering, tout a été fait maison), l’un des atouts d’EL CACO est la voix à se damner d’Øyvind Osa : si vos entrailles n’ont pas encore palpité d’émotion, le vrai Moment de Grâce n’est plus très loin. Et lorsqu’on sait qu’ils sont tout aussi doués en live, on se languit de les voir débarquer en France très rapidement…
★ La surprise ★
WINO & CONNY OCHS « Heavy Kingdom » (Mainstream 2012)
Le toucher acéré d’un vieux briscard marqué par une vie doom débridée, un jeune loup à la sensibilité folk alliée à un tempérament empreint de révolte… Cet album né de la collaboration entre Scott « Wino » Weinrich (Saint Vitus, The Obsessed) et Conny Ochs est un abordage acoustique en bonne est due forme. Blues, folk et même rock, « Heavy Kingdom » reflète cette rencontre intense et sans faux semblant entre deux hommes qui ont traversé la vie comme on traverse une tempête en pleine mer. Un truc dont on a peu de chances de revenir vivant. Les deux voix ne font qu’une, les guitares s’entrelacent avec bienveillance et détermination. L’alchimie est parfaite, et c’est sans détour que Wino et Conny déversent une partie de leur âme sur ce disque sombre et rédempteur. Si ces deux-là étaient totalement raccordés en électrique, je peux vous assurer que la terre tremblerait. « What is a friend ? A single soul dwelling in two bodies »…
Last modified: 13 novembre 2013