C’est le printemps, il commence à faire beau, les terrasses se remplissent… Mais ce n’est pas une raison pour ne pas aller s’enfermer dans des salles de concerts pour écouter des groupes égrainer leur spleen et leur haine de soi ! Ça tombe bien, le Post in Paris est là pour vous. Cette année, ce festival défricheur a posé ses valises à Saint-Ouen, dans la nouvelle halle Communale, et se décompose en trois scènes, dont une directement dans la halle pour que les passants et les curieux puissent en profiter aussi. C’est donc parti pour deux jours de musiques « post » dans toutes leurs diversités.
Jour 1 – 17 mai 2024
Lorsque les Volcans Dorment est un projet cathartique mais aussi politique, c’est en tout cas ce qui est exprimé avec force dans le manifeste de la fondatrice, partagé directement au micro avec le public. Ce discours/témoignage donne une force particulière à cette musique ample à la fois rock et orchestrale, qui puise ses bases dans un dark folk électrifié, jouée par une formation inclusive et mouvante.
Premier groupe à jouer dans la grande salle, L.O.E. pose ses bases post rock : les arpèges sur deux guitares, une base instrumentale avec des samples, des compositions qui avancent vers un climax intense. Une entrée en matière de fest bien ancrée sur ses fondamentaux.
Les jeunes gens d’Anytia oscillent entre punk fragile, influences grunge et incursions dans le post-hardcore. Eux aussi n’hésitent pas à flirter avec de longues plages instrumentales. L’énergie se veut tout de même constructive : « C’est un morceau qui parle de dépression mais c’est pas un morceau triste ». Oui, c’est possible !
La première claque du week-end, c’est Cosse qui nous la met. Mais celle-ci est assénée avec retenue, presque comme une caresse. De bout en bout, c’est la grande classe. Le travail mélodique, harmonique ou rythmique est impressionnant, avec une finesse toujours au rendez-vous, même quand les enceintes grondent. Comme si Quicksand et Fugazi s’étaient mis au romantisme de Tindersticks. En vrai c’est bien plus que ça encore et on s’est fait transporter sans comprendre comment c’est arrivé.
Le quintet bordelais d‘Ari envoie un hardcore hurlé étonnamment puissant pour la petite salle du club. C’est très lourd et très maîtrisé. Au micro, le chanteur/hurleur parcourt la fosse au milieu du public, par débauche d’énergie mais peut-être aussi par manque de place sur scene. Le groupe arrive aussi à surprendre avec quelques plages post rock avant une autre déflagration à suivre, d’autant plus dévastatrice.
Désolé Steve Albini (Requiescat…) mais le math rock n’était pas forcément une erreur, surtout quand il est fun comme celui de Touccan. Quel plaisir alors de voir des gamins de passage dans la halle faire les fous aux rythmes effrénés du duo.
Alber Jupiter : le nom est programmatique, et c’est bien un décollage dans les sphères psyché, proche d’un Monkey3 (et donc d’un Pink Floyd, pas extension) en plus épuré, auquel on assiste de prime abord. Mais le duo basse/batterie a plus d’une ambiance dans son sac et de fait, se baladera dans autant de styles qu’ils veulent pendant cinq longs morceaux. On passe du dub à la cold wave et passant par le krautrock, domaine dans lequel les Rennais excellent. Plus tard, ils challengent même Om en étendant le domaine de la basse, avec pas mal de jeux de boucles et de pédales.
As Living Arrows enrichit son screamo avec du post metal de façon ample et ambitieuse. C’est totalement dans l’ADN du fest et c’est donc un set bien apprécié par le public présent dans la salle du Club.
Retour dans la grande salle. En provenance d’Örebro, comme son nom ne l’indique pas, les suédois d’Oh Hiroshima sont de la trempe de leurs compatriotes Cult of Luna, en plus rock et plus rêveur. Les entrelacts de guitares sont chiadés, le basse est lourde et mélodique, quelques nappes de claviers parsèment le tout. C’est souvent beau et ça clôture à merveille cette première journée.
Jour 2 – 18 mai 2024
Le deuxième jour sera plus surprenant encore de mon côté et je m’apprête à voir beaucoup de groupes dont je ne connais quasi rien. Tant mieux. Le public, varié mais plutôt jeune, est toujours présent ce dimanche, faisant la queue devant les salles, dans une ambiance sage et détendue.
C’est la première sortie de Darius hors de sa Suisse natale. Difficile d’y croire tant la maîtrise est là. Pourtant, le groupe n’est pas nouveau, il était juste un secret trop bien gardé par nos voisins alpins. Il est peut-être encore un peu tôt pour se faire écraser la tronche par ce déluge d’instrumentaux entre noise et post-metal, mais pas le choix, le quintet nous plonge directement dedans avec un florilège issu de son nouvel album de qualité, notamment le titre Norbert, à la batterie punitive et aux ruades de guitares tranchantes.
Shorts du Stade Brestois et chaussettes hautes enfilés : c’est parti pour gueuler les hymnes de Karaba F.C. comme on chante dans le kop, quoiqu’en beaucoup plus émo quand même. On appellera ça du punk à crampons, tout à fait dosé entre mélodies et énergie. Qui a dit qu’on ne pouvait pas montrer ses fêlures dans le football ?
Changement d’ambiance avec 20 Seconds Falling Man, dont le post metal très carré, très propre, dégage une ambiance de maîtrise. Peut-être trop parfois et le tout laisse une impression un peu monolithique. On est passé à côté cette fois-ci, espérons qu’on soit happé une prochaine fois.
On ne va pas présager de leurs influences mais il semble que Black Bile a pris exemple sur les fabuleux Messa pour installer des ambiances doom contrastées, entre grâce et désespoir. On est captivé par le chant de Romane qui passe des caresses vocales aux hurlements d’outre-tombe dans un même souffle.
Des surprises, le festival en a encore plein la besace. Par exemple avec A Burial at Sea. Ce quatuor irlandais nous rappelle que la trompette est un instrument tout à fait légitime dans le rock. Et encore plus dans ce post rock dans la lignée d’Explosion in the Sky qui s’autorise quelques incartades math rock. Cette trompette est la cerise sur le gâteau qui fait monter l’émotion. Mais on sera surtout cueillis par ce morceau poignant où les quatre chanteront en chœur un mantra, un beau moment tout en montées de larmes.
Fragile est solide. La vanne est facile mais le constat est là. Bien campé sur ses jambes, le quintet angevin a décidé de retourner la petite salle avec son punk rock galvanisant, et ça fonctionne à fond. La fougue du groupe déteint sur la foule qui se lâche enfin, après deux jours un peu sages. Et Fragile, par son hardcore qui vient du cœur, est la bande son idéale pour ça.
On termine dans la grande salle avec encore une découverte pour moi, le groupe Lite. Ces Japonais bousculent les conventions de genre en parcourant aussi bien le math rock que le jazz fusion, sans oeillères, dans un plaisir tout à fait communicatif. C’est à la fois improbable et tout à fait cohérent avec la programmation tout à fait éclectique du week-end. Le public ne s’y trompe pas en s’exprimant autant par la voix que par la danse. Oui, un festival de musiques post qui se termine par de petits déhanchés funky, on peut dire que c’est un succès.
C’était ma première édition, et nul doute que les prochaines continueront sur cette lancée. Celle d’un festival défricheur à taille humaine, qui impressionne autant par la qualité de sa programmation que par sa cohérence. Il y a de quoi faire plaisir à tout les publics pour peu qu’ils se laissent aller à la curiosité. Mais pour ce prix-là, aucune raison de bouder son plaisir.
Merci à Tiffany et à l’équipe du festival pour l’invitation.
Last modified: 4 juin 2024