SLIFT s’envole pour le firmament avec le chef d’oeuvre « Ilion ».

Written by Chronique


Les superstars du psyché européen sont de retour. Le groupe le plus excitant et exaltant de la scène nous revient après le raz de marée que fut l’excellent “Ummon”. Pour que la hype monte d’un cran, SLIFT a tenu à nous montrer, durant de longs mois, qu’ils en avaient encore sous la pédale. Revenant à leurs premiers amours avec une nouvelle session live magistrale chez KEXP, dévoilant le sublime clip SF de “Weaver’s Weft” et attisant la curiosité avec l’artwork de ce nouvel album “Ilion”, toujours signé Caza résolument différent du précédent.

Pour parler de ce nouvel opus, nous devons le resituer au sein de la discographie et la carrière déjà chargée de Slift. Car le groupe a déjà vécu mille vies depuis que la scène stoner les a découvert dans l’après Covid sur tous les festivals dédiés à la fuzz, directement sur les main stages. Depuis, “Ummon” s’est installé comme un classique du genre, une pièce maîtresse unanimement saluée par la critique et le public. Ce mélange subtil de psychédélisme et de lourdeur porté par une dimension jam et des morceaux fleuves, ce n’est pas nouveau, mais Slift y a apporté un vent de fraîcheur par une production plus puissante, des éléments issus du krautrock et surtout, un enracinement dans le rock garage qui fait surgir ici ou là une énergie presque punk.

C’est bien simple : Slift agglomère les influences vintage et une personnalité toute actuelle et c’est sûrement en cela que, sans révolutionner des recettes connues, le trio a su percer le cœur et les oreilles d’un public toujours plus large. Et puis il y a la symbiose entre nos trois gaillards et ça, ça ne s’invente pas.

Et suite à ce succès, le challenge était de taille. En signant chez les légendaires Sub Pop et forts de tournées qui les ont établis en patrons dans le monde entier, il fallait désormais enfoncer le clou. Beaucoup avaient peur que ”Ilion” ne soit qu’un “Ummon” bis — peut-être aussi bon que son précédent mais sans le charme de la première rencontre. D’autres craignaient que le groupe ait fait le tour de la lourdeur stoner et reparte vers le garage psyché qui les a vu naître. Certains, même, doutaient de la capacité du groupe à être à nouveau aussi inspiré et voyaient en “Ummon” une parenthèse enchantée et un groupe qui vivraient sur la mémoire de cet album.

Tout le monde a eu tort. “Ilion” est une masterclass. Magistral. Colossal. TOTAL.  

Le ton est donné dès l’attaque supersonique du titre éponyme pour lequel Slift n’hésite pas à se la jouer noisy voire dissonant, et à balancer d’entrée un titre de 11 minutes. Le constat est sans appel : Slift a su profiter d’une production encore plus soignée et puissante pour donner du corps à ses morceaux.
La basse bénéficie particulièrement de ce traitement en étant plus présente et ronde encore que sur “Ummon”. L’album jouit ainsi d’une dynamique rare dans la musique moderne. Les murs de son des passages lourds sont d’une violence appropriée mais inespérée, tandis que les passages les plus atmosphériques se payent le luxe d’un quasi silence feutré. La batterie est tantôt empreinte d’une énergie jazz fusion, tantôt totalement relâchée et percutante comme jamais. Et les guitares continuent de déferler sur nous, vague après vague. Que ce soit dans un registre mélodique, noisy, ou riffesque la production fait mouche du début à la fin des 79 minutes de l’album.

“Ilion” se différencie aussi grandement de son grand frère par le chant. Si celui-ci était l’élément le moins central jusque là, il prend ici tout son sens, donne le cap des titres et en devient le marqueur : les lignes vocales se veulent à la fois plus grandiloquentes mais parfois plus écorchées et émouvantes. Et tout cela les rend, bien sûr, plus mémorables. À l’été 2022, Slift est parti sur les routes avec le saxophoniste et machiniste Etienne Jaumet et nul doute que c’est de ces sessions qu’est né “Confluence”, ce régal de jam suintant et rappelant la folie des 70’s entre saxophone suave et premières expériences de synthés incompréhensibles. C’est une parenthèse onirique, où le rêve s’effondre sur lui-même afin de laisser place à la prochaine étape d’un voyage éprouvant et rédempteur.

Comprendre “Illion” ce n’est pas qu’une histoire de potards poussés à fond ou de plus de travail sur le chant. Il se dégage aussi de cet album plus de noirceur, plus de folie. Si “Ummon” n’avait rien d’un album joyeux, il semblait distant regardant et jugeant le monde de loin. Ce n’est peut être pas pour rien si l’artwork de Caza me rappelait tant le Dr Manhattan d’Alan Moore reclus sur la planète rouge. Il observait sans intervenir. Avec “Ilion”, Slift prend part aux combats intérieurs d’une société malade. On y sent un sentiment d’urgence, une détresse bien plus palpable. Si “Ummon” était un historien, “Ilion” est un sociologue. Il suffit d’une écoute du titre ”Uruk” pour percevoir cette noirceur nouvelle.

Et c’est du coup bien LA grande nouveauté de cet album, car à ses influences déjà très vastes, Slift a ajouté le post-hardcore et le post-metal. Sur le papier, difficile de marier ces genres au psychédélisme sans perdre en cohérence et en impact, mais c’est pourtant le pari réussi par les Toulousains ! Si cette influence est surtout mise en avant sur “Uruk”, celle-ci parcourt le disque par des choix dans les suites d’accords, dans les arrangements et les thèmes.

Inutile d’en dire plus : le voyage que propose cet album mérite que chaque piste soit expérimentée et savourée par un auditeur aussi vierge que possible. Je suis ressorti de mes écoutes de ce ”Ilion” soufflé et même époustouflé, car si c’est avec “Ummon” que Slift m’a séduit, avec “Ilion” il me prouve que la France tient enfin son grand représentant de la fuzz que j’aime. Un psychédélisme qui voit grand, ambitieux, qui maîtrise de bout en bout son sujet et semble tout bonnement inarrêtable. Après avoir conquis l’Hexagone, l’Europe et bientôt le monde, vers quelles contrées voguera donc le vaisseau Slift ? Nous le saurons au prochain épisode de cette déjà sublime épopée !

Last modified: 5 février 2024