Interview exclusive avec LOWRIDER et ELEPHANT TREE.

Written by À la une, Interview

C’est une rencontre uniquement possible au Desertfest londonien, la Mecque musicale pour tout amateur de lourdeur. On y vient pour communier telle une grande famille et nous comprendre d’un seul mot : le Saint Riff. Tout l’éventail musical de notre scène s’y croise, se côtoie et s’entremêlent. C’est ainsi sur le hayon d’un camion de déménagement que nous avons organisé cette surprenante rencontre, aussi improbable que le lieu de l’interview lui-même. Rien ne semble en effet rapprocher les pionniers suédois de Lowrider des avant-gardistes londoniens d’Elephant Tree. Rappelez-vous de 2020 (une autre époque presque) : d’un côté Lowrider nous livrait le nouvel étalon du Stoner Rock avec « Refractions », de l’autre Elephant Tree prenait un malin plaisir à effacer les frontières des genres dans lesquels le groupe s’aventurait avec « Habits ». Deux albums qui ont marqué 2020 ; l’un pour son recentrage stylistique, l’autre pour son ouverture. Deux albums qui ont remporté les honneurs de la scène … et tous deux fauchés par une pandémie qui nous privera alors pendant deux ans de découvrir ces chefs-d’œuvres live.

Mais cette rencontre impromptue n’est pas si anodine. C’est désormais un secret pour personne : Blues Funeral Recordings a annoncé la participation des deux groupes à leur prochaine Postwax Series dont l’union improbable donnera naissance au split le plus attendu de l’univers connu. C’est donc un plateau exceptionnel, composé d’affables Elephant Treez et de volubiles Lowriderz, servi sur autre plateau un peu moins exceptionnel (le hayon), que vous livre aujourd’hui The Heavy Chronicles. Entre deux plaisanteries, tentons de décortiquer deux emblématiques sorties de ces dernières années et de (peut-être) percer le secret le mieux gardé de la scène.

Notre passion est aussi de coller à l’actualité des groupes. Nous avions gardé cette interview pour annoncer l’imminence de la sortie de ce split. Bien sûr rien ne s’est passé comme prévu et, anticiper quelque chose avec Lowrider, revient à maîtriser la courbure de l’espace-temps… D’autres événements fâcheux sont venus modifier la trajectoire de cette interview, tout comme la sortie de ce split. Puis, à un moment, on ne s’est tout simplement posé la question si les deux formations n’avaient pas retardé la sortie de cet EP juste parce que cette interview n’était pas prête… Les gars, on se lance, si vous nous lisez, c’est le moment. Lâchez-vous. Le monde est encore pire qu’avant et à définitivement besoin de vous et de votre musique.

Tout d’abord, je tiens à tous vous remercier pour votre musique. Je pense que Lowrider et Elephant Tree ont sorti les meilleurs albums de 2020. C’était une année merdique et vos sorties l’ont littéralement sauvée.

Peder Bergstrand (basse & chant, Lowrider) : Nous avions essayé de « défaire » 2020, mais nous avons échoué. Quelqu’un bosse dans la promo ici ? Parce que ça irait bien dans un communiqué de presse : « Nous avons essayé de dézinguer toute l’année 2020 mais tout ce que nous avons obtenu, c’est cet album ». (rires) Mais oui, c’était il y a une éternité. Nous l’avons sorti en février 2020 et étions censés tourner deux mois plus tard. On attendait ça avec impatience et maintenant qu’on est enfin là, on se dit : « Est-ce qu’il s’est vraiment écoulé deux ans ? »

Jack Townley (guitare & chant, Elephant Tree) : Ces quatre dernières semaines ont passé en un clin d’oeil.

Peder Bergstrand : Tout se ressemblait… C’est du moins la façon dont le cerveau fonctionne : tu as besoin de vivre des choses différentes pour avoir l’impression que le temps s’écoule. J’étais coincé à la maison, donc ça aurait pu être une semaine comme deux ans. Mais plus probablement deux ans, parce que j’ai vu ma tête. Et elle a changé. (rires)

Jack Townley : Il a vieilli depuis ce premier Zoom (rires). Mais oui, il a fallu attendre longtemps et il y a un peu de soulagement désormais. C’est pas que ce n’était pas agréable, mais quelle putain de pression. Je suis sûr que vous avez ressenti la même chose.

Peter Holland (basse & chant, Elephant Tree) : Deux ans… Vous jouez peu de concerts, dont un pour le lancement de l’album qui est sorti il y a deux ans, et d’un coup vous jouez au Roundhouse ! Rien, rien… et puis la plus grande salle où nous ayons jamais joué ! D’ailleurs, le son était excellent, et le public très cool.

Vous avez fait sensation en annonçant la sortie d’un split album Lowrider x Elephant Tree dans le cadre de la série PostWax de Blues Funeral Recordings. Qu’est-ce que vous aimez particulièrement l’un chez l’autre ?

Peder Bergstrand : Je vous ai découverts avec votre dernier album « Habits ». J’avais entendu parler de ce groupe Elephant Tree dont les gens ne disent que du bien. Je ne suis pas du genre explorateur, d’autant plus qu’on était déjà tellement concentrés sur notre propre album et que j’ai essayé d’exclure la plupart des autres musiques, en particulier celles de notre scène. Et puis j’ai entendu « Sails » et je suis devenu un fanboy total… Il y a peu de disques que j’estime beaucoup, et celui-ci sonne comme s’il était plus ancien, comme si je le connaissais d’auparavant. Il est à la fois nouveau et familier.

Jack Townley : Même chose pour moi et « Ode to Ganymede ». Ce morceau en particulier… C’est pas quelque chose qui m’arrive souvent parce que je suis blasé et que nous avons tourné pendant des années. Mais je suis instantanément tombé amoureux, chose rare pour moi en ce qui concerne les musiques heavy.

Peter Holland : Tu nous l’avais même fait écouter ! (Jack commence alors à raconter son coup de foudre pour le titre alors qu’il était ivre). Le morceau tout entier était génial, donc il y avait un respect mutuel.

Jack Townley : On a tous un boulot qui nous permet de rembourser nos prêts et nourrir nos enfants… Mes enfants ne peuvent pas se contenter de boire de la Camden Hells, donc il me faut un vrai travail. Faire des concerts est compliqué. Mais l’idée de jouer avec Lowrider dans le futur, faire des dates où nous pourrions tous être présents sans avoir à nous soucier de la famille entre autres choses. Pour moi, ce serait fantastique.

« Nous avions 2 ou 3 chansons qui ne devaient pas figurer sur « Refractions », je venais de découvrir Elephant Tree et je me suis dit : « Peut-être que si je leur demandais ? » Peder Bergstrand, Lowrider

Racontez-nous comment cette collaboration s’est finalement concrétisée. Ce désir mutuel de créer ensemble…

PB : Pour faire court. J’ai co-géré la première édition des séries PostWax avec mon ami Jadd de Blues Funeral Recordings, et alors que nous étions en train d’oublier à quel point la première année avait été énergivore, on s’est dit « peut-être qu’on devrait le refaire, c’était sympa ». Nous avons pensé à faire une deuxième année, mais juste après le nouveau Lowrider puis le Covid… On s’est dit qu’on ne devrait pas participer aussitôt avec Lowrider, alors pourquoi ne pas faire quelque chose avec un autre groupe ? On avait deux-trois chansons qui ne devaient pas figurer sur l’album, parce qu’elles étaient un peu différentes. Je venais de découvrir Elephant Tree, et je me suis dit : « Et si je leur demandais ? »

JT : Et à part ça, Jadd m’avait envoyé un e-mail et je lui ai dit que nous le ferions… si nous faisions un split avec Lowrider. (rires)

PB : Je n’étais pas au courant !

JT : Nous sommes en train de l’écrire. C’est un travail de longue haleine, mais je pense que ça va être vraiment cool. L’année prochaine est l’année prochaine…

À quoi peut-on s’attendre ? S’agira-t-il d’un véritable split avec de nouvelles chansons de l’un et de l’autre ? Ou allez-vous collaborer sur certaines titres ?

PB : Nous commençons tout juste à rejouer au sein de nos propres groupes. Ce n’est pas vraiment un problème pour Lowrider parce qu’une grande partie de « Refractions » a été faite en s’envoyant des trucs les uns aux autres, car nous vivons dans quatre villes différentes, donc nous avons fait un disque de Corona avant tout le monde ! (rires) Mais l’idée principale est de faire quelques morceaux chacun de notre côté, puis d’en faire au moins un qui soit entièrement collaboratif.

JT : Il n’y en a même que deux ! Nous avons ce « Wet Shitty Pavement » comme l’un des morceaux, c’est la démo que nous avons dit que nous devrions appeler « How The Fuck Did We Get Here », ce qui n’est pas du tout ce que nous avons fait auparavant. C’est vraiment bizarre. C’est un peu comme du trip-hop, pas de la batterie électronique, mais quelque chose de plus en plus bizarre. Peder est un peu un génie en termes de flux de travail, alors que nous avons du mal à nous débrouiller avec les boissons… Il peut nous envoyer des idées et je sais que l’aspect collaboratif sera très fructueux.

PB : J’adorerais être dans la même pièce que les gars de Lowrider tout le temps et jouer parce que nous savons que ça devient meilleur. Mais nous réalisons que si nous ne voulons pas prendre 20 ans de plus pour enregistrer un autre album, nous devons faire les choses « meat & potatoes » : nous les faisons nous-mêmes, comme les choses de fond sur l’album : la deuxième guitare, la batterie normale, puis nous faisons tout le piment et l’éclat ensemble.

JT : C’est juste que j’ai vraiment hâte de voir ça. Sans leur jeter de la poudre aux yeux, c’est putain de Lowrider. Pour nous, modestes simps, c’est une grosse affaire. (rires)

« Nous ne voulions pas faire les mêmes vieilles conneries. C’est tellement exagéré, quel est l’intérêt de le refaire ? Si vous voulez faire des vagues, ne faites pas la même chose. » Jack Townley, Elephant Tree

Cette collaboration semble presque paradoxale car l’approche de chaque groupe est assez différente. D’un côté, Elephant Tree s’inspire des codes d’un genre tout en repoussant constamment les limites. D’autre part, Lowrider nous rappelle que l’on peut encore sortir un putain de bon album de stoner en redéfinissant les fondamentaux. Qu’en pensez-vous ?

PB : Ce qui m’a soulagé, c’est que vous avez tous les deux adoré « Ode To Ganymede », comme beaucoup d’autres personnes, parce que les chansons que nous pensions être des valeurs sûres sonnaient comme ce que nous avions déjà fait… Mais ce qui m’inquiétait, c’était les 2 ou 3 chansons qui pourraient être trop « extraverties » pour les gens parce que c’est un trop grand saut, ce sont celles vers lesquelles les gens gravitent le plus. Et ce sont celles qui ont le plus de parenté avec Elephant Tree, et cette sorte de révision de ce que ce genre de musique peut être : bien sûr, cela pourrait être des harmonies, beaucoup de mélodies, des touches et des synthés… Puisque c’est un peu une formule, je ne dis pas que cela commence à vieillir, mais cela doit être fait d’une TRÈS bonne manière pour ne pas avoir l’impression d’avoir déjà vu cela auparavant.

JT : Il y a beaucoup de ce sentiment de « vieillesse », c’est sûr, alors quand on a fait « Habits », on en avait tellement marre des conneries habituelles d’herbe et de testostérone, tu vois ? Le but était de faire un album auquel je me sentais lié. Et les trucs de Lowrider ne tiennent pas compte de ça, c’est ce que nous essayions de faire aussi. Nous ne voulions pas faire les mêmes vieilles conneries. C’est tellement exagéré, quel est l’intérêt de le refaire ? Si vous voulez faire des vagues, ne faites pas la même chose.

PB : Après avoir subi beaucoup de pression de notre part, comme « Oh, les gens semblent vraiment apprécier notre ancien album maintenant », nous avons été surpris en 2013 par l’ampleur de la boule de neige que cela a engendrée. Cela s’est fait tout seul et avec l’aide des fans. Vous avez la pression de livrer cette nouvelle chose et de penser que les gens veulent à nouveau la même chose. Mais nous avons réalisé que nous faisions ce disque pour nous-mêmes. Il faut sortir du studio et dire « J’aime vraiment ça », il faut que ça veuille dire quelque chose.

JT : C’est la même chose pour nous. Lorsque nous avons enregistré « Habits », nous nous sommes dit que ce n’était pas ce que les gens voulaient. Les chansons parlent de choses comme travailler dans un bureau, de problèmes mentaux ou d’avoir des enfants, plutôt que des paroles habituelles qui parlent de fumer de l’herbe et de s’amuser comme des fous. Nous venions du même endroit où nous ne voulions pas jouer la carte de la sécurité et cela nous inquiétait.

Peter Holland : Il faut s’investir et être à 100 % dans tout ce que l’on fait, jusqu’aux paroles, jusqu’à la mélodie, tant que ça fait vibrer. Comme tu le dis, tu le fais pour toi. Au diable les autres, parce que c’est nous qui allons le jouer pendant les dix prochaines années !

Jack Townley : Il faut toujours pousser la barre un peu plus loin. Il ne sert à rien de faire un disque si on ne pousse pas la barre.

Peder Bergstrand : The last track on our album “Pipe Rider” has the opening lyric “Gimme something new, something that feels true”. That was sort of talking to yourself in a mirror. It’s just a statement for the whole record. It needs to feel something I’ve never heard before and it needs to resonate.  If it doesn’t do that then we are not putting it on the record.

« La façon dont la scène aime les groupes et les accueille à nouveau… Ce n’est pas une chose qui se fait du jour au lendemain. C’est une bénédiction d’en faire partie. » Peder Bergstrand, Lowrider

Lowrider at Hellfest 2022 (Credit: Sylvain Golvet)

C’est une grande histoire d’amour entre vous et le Desertfest. Peut-on dire que le Desertfest en 2013 a en quelque sorte sauvé Lowrider ?

PB : À 100% ! Nous ne serions pas ici en train de parler et de jouer si les gars n’avaient pas fait le Desertfest il y a neuf ans. J’ai reçu un e-mail de Reece (Tee, fondateur de la franchise Desertfest) et je les ai tous appelés cinq minutes plus tard pour leur dire : « Hé, ces gars de Londres veulent qu’on joue. Au fait, combien de chiens avez-vous ? Nous vivons dans des villes différentes, nous sommes de très bons amis, mais si nous ne nous voyions pas pendant un an ou deux, ce n’était pas bizarre à l’époque. Lorsque nous avons répété pour la première fois pour le Desertfest, le fait d’avoir les quatre mêmes personnes dans la même pièce n’était pas arrivé depuis 7 ans ou quelque chose comme ça… Et nous sommes profondément reconnaissants pour ça parce que j’aime ces trois boneheads. (rires) C’est comme une réunion de famille chaque fois que nous nous voyons et que nous avons l’occasion de jouer, surtout quand nous revenons ici. C’est un peu comme une terre sacrée… comme un retour à la maison !

Avec le recul, si vous pouviez changer quelque chose à cette trajectoire extraordinaire, le feriez-vous ?

PB : En 2003-2004, lorsque nous avons commencé à ne plus répéter autant, j’ai compris qu’il y avait une raison à cela. C’est le cas pour tout. Nous sommes en grande partie le fruit d’Internet et de toute cette scène… Quelque chose doit faire boule de neige lentement. Je ne pense pas que nous aurions pu précipiter les choses. Le genre d’amour que nous voyons arriver ici est réciproque, cela ne peut se faire qu’avec le temps. La façon dont la scène aime les groupes et les accueille à nouveau… Ce n’est pas quelque chose qui se fait du jour au lendemain. C’est une bénédiction d’en faire partie.

Tout le monde est resté sans voix après cette dernière déclaration, et c’est donc à ce moment que nous avons décidé de mettre un terme à cet entretien massif et instructif. Nous espérons que vous l’avez appréciée autant que nous l’avons fait. Un grand merci aux adorables Lowrider et Elephant Tree pour leur accueil chaleureux, et restez à l’écoute de leur prochain EP collaboratif qui sortira bientôt sur Blues Funeral Recordings !

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Last modified: 10 octobre 2024