Comment aurais-je pu passer à côté du premier album d’AHASVER ? La crème de la crème de la scène toulousaine avec des vrais morceaux de Gorod, Psykup ou de feu Drawers, sur le papier c’est déjà alléchant. Mais lorsqu’on lance l’écoute c’est carrément jouissif, retour sur la mandale de la rentrée !
Ahasver c’est donc un mélange d’influences venues de tous les genres du metal, digéré et recraché sous une forme inédite. On retrouve ainsi aussi bien des guitares grasses et tendues quasi sludge, des parties de chant hardcore tandis que d’autres lorgenent clairement vers le Mastodon le plus mélodique, des dissonances à tout va qui rappellent le meilleur du post-hardcore des années 2000, le tout soupoudré d’éléments black, death ou fusion. Ça donne un joyeux bordel qui rattrape un léger manque de cohérence par une très grande maîtrise du songwriting, une excellente prod et surtout une fraîcheur des plus authentiques. Ici, nul artifice, juste un combo de vrais connaisseurs qui ont sculpté 8 titres nous faisant passer par toutes les émotions possibles dans le vaste univers qu’est le metal moderne.
“Peace” est un bon exemple de ce melting pot avec ses harmonies vocales rappelant la mélancolie de Baroness et qu’on retrouvera aussi sur “Tales” et “Sand”, mais aussi des blast beats dignes d’un bon vieil album de black, des dissonances dont certaines auraient trouvé leur place chez At The Drive In, un “solo” de guitare complètement WTF typique de la fusion 90’s (quand on sait qu’on a le guitariste de Psykup dans le projet, ça se tient) et le tout en 4:12. Et s’il est vrai qu’à force de proposer des variations de genres aussi marquées et des grands écarts aussi imprévisibles, l’identité du groupe est un peu décousue, on peut cela dit voir des constantes se dessiner au gré des titres et surtout des écoutes.
Au chant, on a des alternances surprenantes et toujours bien senties entre chant mélodique, une voix plus grasse qui se rapproche de la vague post-sludge, et, un chant crié façon hardcore ou post hardcore. Ces permutations sont d’autant plus appréciables que vous ne trouverez que rarement des structures conventionnelles couplet-refrain qui auraient rendu le tout trop convenu.
Le fil conducteur de l’album est probablement la recherche de beauté dans la dissonance, la maîtrise dans l’abandon de soi. Rarement il m’a été donné d’écouter un album aussi mélodique et chargé dans ses constructions, proposant parallèlement autant de dissonance. Sur quasiment chaque riff, chaque idée, il y a une part de désordre, des accords diminués, de la polyharmonie ou des changements de gammes incongrus pour venir titiller l’oreille de façon toujours appréciable. Les rares accalmies, comme sur toute la partie centrale de l’excellent “Dust”, ne cherchent qu’à nous faire relâcher la pression et reprendre notre souffle avant la prochaine vague frénétique.
Au milieu des pistes aventureuses, le groupe sait aussi renouer avec une efficacité plus directe sur “Tales” et “Wrath”. Sur la fin de l’album, “Sand” revêt un aspect presque doom dans ce contexte tant le morceau est le plus lourd, le plus mélodique de “Causa Sui”. On vient presque nous bercer avant l’ultime titre, “Kings”. Si cette dernière piste culmine à 9 minutes, c’est pourtant l’un des titres les plus violents et “in your face”. Les alternances de registre sont toujours aussi marquées et mention spéciale au son de cette basse ronde et saturée pile comme il faut sur le pont du morceau juste avant la marque des 4 minutes, un régal.
Bien sûr, on aura reconnu l’excellent speech « Pale Blue Dot » de l’incroyable Carl Sagan, nous accompagnant alors qu’on reprend nos esprits pendant quelques ultimes minutes. Il est curieux de tenter de retrouver notre équilibre dans le noise ambiant de cette fin d’album alors que Carl, lui, nous donne une leçon d’humanité et d’humilité par le vertige cosmique de nos insignifiantes pérégrinations.
Ahasver nous a offert une vraie claque au sens propre du terme. « Causa Sui » est difficile à appréhender et, par moments, à pleinement apprécier. Pour autant l’album regorge de bonnes idées, de plans incroyablement inspirés et tout est tellement bien construit qu’on ressort forcément admiratif du travail fourni. Si certains pourront trouver le rendu un peu froid, j’ai pour ma part senti une chaleur plus humaine dans le projet, celle de mecs n’ayant absolument rien à prouver mais décidant de se plonger à fond dans un exercice de style des plus délicats. Au final, ce premier opus est puissant, novateur, créatif et cela me suffit déjà amplement.
Last modified: 12 octobre 2022