Depuis plus de quarante ans qu’on nous répète que « personne ne vous entend crier dans l’espace », il fallait bien que ça en inspire quelques-uns. Depuis 1979, toute une génération s’imagine bien que toute exploration spatiale n’est pas forcément un grand pas pour l’humanité, mais pourrait bel et bien être son pire cauchemar. Oui, le mythe Alien a changé la donne au cinéma, mais également dans l’inconscient collectif. Un peu comme lorsque vous apercevez un aileron de requin au bord de la plage… Un jeune quatuor new-yorkais répondant au doux nom de KING BASTARD a justement eu la bonne idée d’exploiter cette référence pour parfaire son doom psychédélique en un effroyable voyage SF. Exit donc les sorcières, les rituels sataniques et autres références à la Hammer, installez-vous dans votre caisson d’hibernation à bord du cargo interstellaire Nostromo ; le logiciel de bord King Bastard – surnommé Mother – s’occupe du pilotage automatique. Et vous n’allez pas être déçus du voyage.
La musique de KING BASTARD est clairement un hommage au film de Ridley Scott. Le groupe va jusqu’à utiliser des samples de dialogues du film (« Ashes to Ashes ») parmi d’autres échantillonnages issus de la conquête spatiale et blips d’un autre âge. Ces extraits familiarisent immédiatement l’auditeur avec l’expérience d’un périple de colons de l’espace perturbé par l’aliénation et les négligences humaines. Mais il serait réducteur de penser que seuls ces dialogues favorisent l’immersion. La musique quant à elle, renvoie à l’horreur et à la noirceur du vide sidéral. « Psychosis (In a Vacuum) », au titre des plus explicites, tient le haut du pavé en la matière.
L’introduction blackened doom semble mettre en scène le carnage du xénomorphe tant tout ici semble agressif et acide. On a l’impression d’entendre la créature pousser son cri, s’étiolant et s’étouffant sous des nappes de synthés figurant le vide spatial, glacial et lugubre. Tout se déforme, les sons deviennent stridents et dissonants, comme étranglés, rendant l’atmosphère irrespirable. On se sent comme aspiré dans un vortex d’angoisse. Huit minutes d’immersion dans ce que la SF a de plus horrifique. Ce maelström de frayeur se répètera avec « Black Hole Viscera » où un torrent furieux de riffs s’entremêlent au saxophone frénétique et perçant. Abrupt et impénétrable à premier abord quoique complètement à propos, cette cacophonie à le mérite de vous plonger dans le chaos de l’espace.
Malgré ces prouesses, « It came from the Void » souffre de cette immédiateté et le fatras de bonnes idées. Dans cette fusion de doom moderne et de jams psychédéliques, l’expérimental prend parfois (trop) le dessus. L’ensemble aurait mérité quelques ancrages dans une musique plus tangible, pour gagner certainement en impact. KING BASTARD termine justement par une longue track dans laquelle sa mélodie vient mourir dans un drone, comme étouffée par le son du vide. On imagine un spationaute (celui de la pochette) totalement abandonné à lui-même, attendant sa mort, flottant dans l’espace, se désintégrant complètement en poussière dans le silence de l’immobilité. Malgré la force évocatrice de leur musique, ce sentiment de déréliction pourrait être une belle métaphore du seul défaut de ce disque. Seul défaut dont on ne leur tiendra pas rigueur, tant ce premier album est moderne et saisissant.
KING BASTARD a réussi à recréer une autre forme d’angoisse et de frayeur sans invoquer le sempiternel fourbi satanique. Et rien que pour ça, chapeau bas.
Last modified: 17 février 2022