Quand un album semble annoncer l’Effondrement à venir, on ne peut que frissonner de peur et de plaisir. CULT OF LUNA est probablement un des groupes dont la musique reflète le plus les pensées personnelles de ses auteurs, en particulier de son chanteur et membre fondateur Johannes Persson, commissionné en cette future année de disgrâce 2020 au Roadburn, pour un projet avec le jeune James Kent de Perturbator. Et quand on sait ce que ces deux entités sont capables, on frétille déjà dans nos chaumières.
La fin de notre monde arrive à grands pas, et avec elle son lot de peurs tout à fait rationnelles. C’est le titre même de ce nouveau chapitre, « A Dawn to Fear ». Fini le froid mordant et les lignes droites d’un « Vertikal » qui nous avaient plongé au fond de nous-même et guidé vers des paysages inconnus et très flous. En conservant leur style mélodieux et moderne, le groupe suédois donne ici un concept-album brûlant de sentiments probablement liés à la colère et à la tristesse. Des riffs sortis du cœur, hurlant dans un vide béant que laissera probablement notre civilisation dans les prochaines décennies. Y’aura t-il seulement une âme pour écouter ces divines litanies ? « The Silent Man » semble être un des titres les plus évocateurs, et il entame l’œuvre avec un titre puissant et rentre-dedans, très rythmé et novateur.
Il est suivi de près par « Lay Your Head to Rest », et tout deux ont fait l’objet de vidéo clips incroyables (ci-après). Filmés avec beaucoup d’esthétisme, interprétés par des acteurs impressionnants, jouant avec des images énigmatiques mais qui parlent d’elles-mêmes, nous sommes touchés de façon brutale et douloureuse par des plans faisant écho à des moments de nos propres vies. Écrites et dirigées par Persson lui-même, ces vidéos sont de véritables court-métrages qui placeront un paysage intérieur pour la suite de notre voyage dans un troisième titre éponyme.
Tout est en cendres. L’Humanité a tout détruit, dont ses propres sentiments. Dans un paysage post-apocalyptique à mi-chemin entre La Route de McCarthy et le jeu vidéo Journey, nous errons et essayons de comprendre pourquoi, en vain. Des larmes se gorgeant de poussière ruissellent et n’y changerons rien : il va falloir l’accepter et se mettre à la recherche d’une lumière. La poésie de l’album qui nous accompagne dans cette quête passera par des sonorités dignes d’un Western scandinave. De la neige noire tombe déjà sur notre Terre adorée, mais plus loin il reste du blanc, de la douceur, et une once d’espoir. Un chant clair s’ajoute à des notes calmes de guitares, et nous nous mettons en chemin.
Il fait nuit désormais. Nous sommes dans le quatrième titre « Nightwalkers ». Nous marchons au milieu des morts et repensons à aux paroles parfois profondes de Rick à propos des « Walking Dead » que sont désormais ces résidus du genre humain. Mais cette fois, il fait très froid. Nous souffrons de la faim, et des âmes s’éteignent encore sur notre route. Des ruines tout autour de nous prennent des formes monstrueuses. Plus une once de vie nulle part. Comment en est-on arrivé là ? La guitare semble prendre des allures shoegaze proche de nos amours nationaux d’Alcest.
Petite accalmie dans la nuit. Nous voyons la lumière au loin, sur une colline, et nous décidons de la rejoindre. Un vent souffle très fort comme pour tenter de nous en éloigner : c’est un riff lent, puissant, et lancinant, accompagné du légendaire duo de batteries qui officient cette fois dans une lenteur déchirante. On retrouve un clavier dissonant, remplaçant presque le chant, et vibrant d’une façon similaire à l’album d’avant (pas celui avec Julie Christmas hein, oubliez cet épisode qui était moyennement bon, et surtout hors sujet.)
Nous commençons vaguement à perdre espoir, tous les éléments jouent contre nous. On finit par hurler dans le blizzard, mais même notre voix semble s’éteindre dans cette tempête qui recouvre tout. « Nous sentons la fin »… Encore une fois les titres parlent pour nous et décrivent les étapes d’un voyage désespéré qui nous réduit maintenant au silence. A genoux dans une neige épaisse, nous laissons nos pensées geler, nous abdiquons et regardons dans un blanc profond et angoissant. A quoi bon ? De toute façon, nous ne pouvions rien y faire. Tout est de la faute d’une poignée d’hommes puissants qui ont fuit leurs responsabilités, et nous en souffrons désormais. Mais au moins nous avons du mérite : nous affrontons cette fin, le regard noir et dirigé vers le lointain. La lumière était pourtant toute proche. Impossible de se remettre en chemin. Notre corps nous quitte.
Pourtant le voyage n’est pas fini. Un autre monde s’ouvre dans notre esprit. « Inland Rain » nous berce et semble nous mener vers « le pays où coulent le miel et le lait », pour reprendre les mots de l’Exode (33:3). Quelque part, le long de cette autoroute sans fin que nous empruntions il y a quelques années, nous retrouvons des gravas. Oui, la fin de cette album ressemble beaucoup aux plus belles œuvres de la discographie de CULT OF LUNA. Beaucoup de tristesse sur une voie à sens unique, mais c’est la pépite de fin qui finira de tout écraser dans nos coeurs.
Un final digne de « In Awe Of ». Le point culminant. L’arrivée dans les hauteurs, planant sur un tapis de soie immaculée, heureux de mourir intérieurement. Une véritable purge finissant en apothéose avec tout ce que le groupe sait faire de bon, de profond, et de lumineux. La quintessence de leur talent sur un titre de 13 minutes. Une mélodie finale qui semble illustrer l’extinction prochaine du genre humain et hantera encore votre esprit lorsque la musique ce sera évanouie.
Sombre comme un album de black metal, dramatique comme un album de shoegaze, lourd comme un album de post-hardcore, mais unique comme un album de CULT OF LUNA. Une œuvre magistrale comme on en avait pas entendue depuis très longtemps. Un retour triomphal avec de nouvelles sonorités tout juste ce qu’il faut, d’anciennes mélodies pour flatter nos cœurs désormais vides, et toujours cette poésie, cette puissance, ce travail minutieux et attentionné pour nous faire voyager pendant une heure et demie qu’on a pas du tout vu passer.
Les seuls conseils que j’aurais à vous donner sont les suivants : prenez le temps, écoutez tout d’une traite, et surtout laissez un silence après une telle expérience. Réfléchissez et digérez. Car ils nous ont encore une fois gâté.
ARTISTE : Cult Of Luna
ALBUM : « A Dawn to Fear »
LABEL : Metal Blade Records
DATE DE SORTIE : 27 septembre 2019
GENRE : Post-metal/hardcore
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Last modified: 13 octobre 2019