MASTODON + KVELERTAK + MUTOID MAN @ Casino de Paris (13.02.19)

Written by Live

“Les absents ont toujours tort.” L’adage est valable pour les spectateurs n’ayant pas pu venir ce soir, mais aussi pour les trois groupes présents sur scène, tous amputés d’un membre. Mais pas handicapés pour autant. MUTOID MAN (sans Ben Koller, excusé pour un coude cassé), KVELERTAK (sans son chanteur historique ayant quitté le groupe il y a peu) et MASTODON (sans Scott Kelly, chanteur invité sur la tournée, excusé pour cause de tournée japonaise avec Neurosis) s’allient ce soir au Casino de Paris en tâchant de nous faire oublier ces petits contretemps. Et c’est qu’il vont y arriver, les bougres ! (PHOTOS : Sylvain Golvet)

“C’est con mais c’est bon !”
Cet autre adage nous vient à l’esprit pour décrire MUTOID MAN. Mais attendez, rien de péjoratif. C’est volontairement con, dans le sens rigolard, potache, presque parodique. Bon, pas seulement non plus. Parce que Mutoid Man n’est pas que le groupe résident de l’émission web comico-musicale Two Minutes to Late Night, dans lequel ils s’y illustrent en jouant du Tom Jones dans le métro ou exécutant diverses autres reprises dans des déguisements improbables. Mais parce que le shredding punk à grimaces des new-yorkais s’accompagne d’une bonne dose de songwriting pop habilement dissimulé derrière une frénésie communicative. On se marre par exemple toujours aux paroles à tiroirs de « Kiss of Death » sans s’arrêter pour autant de remuer la tête. Il faut écouter les albums du trio car ils recèlent d’autres petites bombinettes pop bien réjouissantes. En musiciens aguerris et à la carrière déjà riche ailleurs (Cave In, Trap Them), Mutoid Man peut à la fois faire moult doigts d’honneurs ET nous bousculer les tympans pendant un set explosif qui chauffe bien tout le monde. Derrière les fûts, Chris Maggio remplit sa fonction de remplaçant avec un talent certain, même si l’on souhaite un bon rétablissement à Ben Koller pour son accident masturbatoire (enfin, d’après Stephen Brodsky hein).

“Pierre qui roule n’amasse pas mousse ?”
La plupart des gens qui venaient pour voir KVELERTAK ce soir n’avait qu’une question en tête : “Alors, ce nouveau chanteur ?” En interview (prochainement sur The Heavy Chronicles), le groupe n’est pas avare en compliments et loue une bête de scène qui rendrait bon même un groupe minable. Une certaine pression donc. En attendant c’est la stupeur qui nous frappe quand débarque ce jeune homme svelte, au bandana rouge et à la fine chevelure blonde : Axl Rose a ressuscité ? (Comment ça il n’est pas mort ?) Toujours est-il que, sans se reposer sur son groupe déjà bien mobile, cette pile électrique bouge dans tous les sens et gesticule, se roule par terre, jette son pied de micro partout et saute dans le public… trois fois ! Un poil excessif ? En tout cas, l’impression de voir quelqu’un qui se donne peut-être trop pour compenser le départ de son prédécesseur ne nous quitte pas vraiment. Vocalement le job est fait même si, pareil, on peine un peu à entendre le potentiel et la spécificité de son organe, notamment devant dans la fosse des photographes.

Peu importe, il sera toujours temps de juger ça à la sortie du prochain album, sur des morceaux plus taillés pour lui. L’heure est plutôt au fun et ça tombe bien, le groupe maîtrise maintenant son sujet et déroule un set qui mixe ses trois albums avec une maîtrise sonore et scénique impeccable, fruit de nombreuses tournées dans toutes sortes de configurations, clubs, festivals ou stades. Le numéro est rodé mais toujours incarné et les six prennent autant de plaisir que la foule qui lui fait face. Deuxième partie, deuxième succès.

“Pas l’temps d’niaiser”
On dira ce qu’on voudra de Live Nation (le prix de la place à 51 €, non mais !), on peut dire que l’orga est carrée, et le changement de plateau est express avec MASTODON qui arrive sur scène dès 21h ! Le groupe aussi a décidé de ne pas se ménager : et BIM ! c’est trois gros morceaux qui nous arrivent dans la face (« Iron Tusk », « March of the Fire Ants »  et « Mother Puncher »), délivrés par un quatuor affuté ! Troy Sanders trône au centre dans toute sa splendeur chevelue et multiplie avec Bill Kelliher les poses épiques à base de jambes écartées — ils avaient fait un concours peut-être. Puis c’est un set pot-pourri qui va suivre, permettant au public de faire un petit bilan de carrière entre deux sorties d’albums. Une carrière bien riche, ponctuée d’albums aux concepts uniques, aux ambiances variées, des morceaux lents, d’autres rapides, certains complexes, d’autres plus directs. Mais on retrouve toujours cette Mastodon touch, souvent copiée, une formule pleine de contretemps, de drum fills, d’harmonies de guitares, de soli singuliers de Brent Hinds et autres cavalcades thrash heurtées. Cette formule permet au groupe d’Atlanta d’enchaîner « Precious Stones » et « Sleeping Giant »(cette lourdeur !) sans qu’on puisse forcément remarquer les 11 ans qui les séparent.


L’inconvénient c’est aussi qu’on a affaire à une musique très dense, très écrite et qui laisse peu de place aux silences et à l’impro. C’est un bloc compact qui peut vite fatiguer. Du coup, on ressent un ventre mou en milieu de parcours. Fatigue personnelle ou la faute du groupe ? Toujours est-il que le set se traîne un peu notamment à cause du faiblard « Toes to Toe », le moins bon morceau du dernier EP. Les Américains ne lâchent pourtant pas l’affaire, la dernière ligne droite sera assurée crescendo et l’on va se prendre un enchaînement « Crystal Skull » + « Megalodon » + « Spectrelight » derrière la nuque. Sans pause, le trio « Aqua Dementia », « Crack the Skye » et « Blood and Thunder«  finit de nous achever même sans Scott Kelly en renfort.

Un bilan ? En vingt morceaux et quasi deux heures de show, Mastodon est généreux avec nous et maîtrise son sujet comme jamais (quel progrès niveau voix depuis quelques années !). Nous, on est crevés, on a mangé plus de notes que dans les quatre derniers concerts qu’on a pu voir. Il est grand temps de se coucher. Ah, c’est pas fini ? Ah non, voilà Brann Dailor, frustré de passer deux heures caché derrière Troy Sanders et ses fûts (et une grosse caisse à l’effigie de Rodney Dangerfield and Redd Foxx, vieilles stars du stand-up US) qui se lance dans cinq minutes de one man show. Mais surtout, nous promet un album pour l’année prochaine. Allez, rendez-vous est pris. On peut y aller maintenant ?

Last modified: 18 février 2019