Passion de/pour: nom subst. féminin. Tendance dominante qui, contrôlée par la raison, sert de moteur à l’action, permet la réalisation de grandes entreprises. (Faire qqc.) avec passion. (Faire quelque chose) avec une extrême ardeur, avec exaltation (généralement avec l’idée de persistance).
La passion. La passion pour cette musique que nous chérissons tous. Tel semble être ce qui anime Reece Tee, le fondateur du festival stoner et doom européen Desertfest. A l’aune de sept éditions couronnées de succès et de la récente création d’une édition new-yorkaise, on a voulu percer la recette de ce festival, pardon… d’un bon festival, chaque année plus riche, plus alléchant, tout en restant totalement intègre. Peut-être parce que ses organisateurs défendent des idées allant au-delà de la musique. Un festival underground, indépendant mais clair dans ses choix, et avec une volonté de voir émerger de nouvelles têtes démarrant leur carrière ici et qui seront un jour en haut de l’affiche. On laisse filer la conversation avec Reece tant le bonhomme est affable et dévoué lorsqu’il s’agit de nous ouvrir les portes des Desertfest. Et à l’entendre on comprend que la filiation avec les mythiques “generator parties” d’antan, ne réside ni dans le nom, ni dans le lieu ; pas même dans le son. C’est dans sa capacité à transformer un festival en une grande réunion de famille, où l’on célèbre l’amour de notre musique. Jugez par vous-mêmes. (Photo : Reece Tee et Jake Farey par Gaël Mathieu)
Pour commencer, rappelle-nous comment le Desertfest a démarré ?
Reece Tee : Notre boîte Desertscene organise des concerts depuis 2009, mais l’idée du Desertfest est plus ou moins venue après un show à Londres où nous avions perdu de l’argent. Je savais quel engouement il y avait pour ces groupes, étant moi-même passionné, mais certains ne marchaient pas autant qu’ils auraient du et ça en devenait frustrant. On devait monter une plateforme de plus grande envergure en Grande-Bretagne pour ces groupes, où chacun pourrait venir partager sa passion pour ces musiques. À l’époque, il n’y avait que le Roadburn sur la carte, et ils étaient en train de changer de direction et s’éloigner de ces groupes stoner rock qui étaient et sont encore si importants à nos yeux !
Vous avez récemment annoncé la création d’une édition new-yorkaise, qui se tiendra au mois d’avril à Brooklyn… Comment cela s’est-il fait ?
Reece Tee : Ça faisait un moment que j’avais les States en tête. Tout comme l’Europe il y a quelques années, les groupes que nous aimons sont de plus en plus demandés là-bas. C’est donc un festival sur 3 jours et différents lieux, certes pas aussi grand que les éditions européennes mais on démarre juste. Il y a le Saint Vitus bar pour le premier soir, parce que c’est le place to be des groupes passant par New-York. La salle principale sera The Well, avec une grande scène de 1000 personnes dans la cour, et une scène plus petite à l’intérieur avec un bar très cool. Ca me rappelle lorsqu’on a lancé Londres en 2012, les gens sont très en demande, que ce soit les groupes, les fans, les bookers : tout le monde veut que ça fonctionne et c’est génial. On est totalement dans l’esprit Desertfest, c’est exactement ce que nous voulions ! Il y aura des changements, des erreurs seront faites la première année, mais j’ai hâte de voir ce qu’on peut faire à NYC.
« Le Desertfest n’est pas une franchise, car chaque festival est monté en partenariat avec un orga local, voire nous-même directement.. »
Certaines têtes d’affiche ont déjà été révélées, comme Elder, Windhand ou Monolord… Est-ce que des groupes se sont explicitement manifestés pour y participer ?
Reece Tee : On a vraiment été agréablement surpris par la réaction des groupes et fans à l’annonce pour le Desertfest NYC. Quand tu te lances dans une nouvelle aventure comme celle-là, tu fais surtout confiance à ton instinct. Les tourneurs et les groupes nous ont contacté pour en être, mais on préfère commencer petit et avec un espace restreint la première année. On se doit de booker les groupes intelligemment, pour être sûrs de parler aux fans et d’implanter le Desertfest durablement aux Etats-Unis.
Et puisqu’on parle d’implantation de la « marque » Desertfest, est-ce que ce sont les organisateurs étrangers qui vous contactent pour pouvoir utiliser le nom ? Et quel rôle joues-tu au sein des Desertfest Berlin, Belgium et New-York ?
Reece Tee : On a reçu pas mal de demandes pour monter de nouveaux Desertfest à l’international, mais il faut d’abord que tous les ingrédients soient au rendez-vous. Aujourd’hui, il y a une multitude de festivals stoner, doom et assimilés, et c’est une bonne chose pour les groupes en tournée et notre scène. Mais nous voulons faire du Desertfest un moment spécial, et devons être sûrs à 100% avant de lancer une nouvelle édition. Le Desertfest n’est pas une franchise, car chaque festival est monté en partenariat avec un orga local, voire nous-même directement.
« Il n’y a rien de plus cool que de faire des découvertes inattendues. C’est ça aussi, le Desertfest. »
Maintenant parlant de votre programmation. Le Desertfest est un mélange d’exclus mais aussi de découvertes, lesquelles sont souvent des groupes locaux. C’est une direction que vous entendez garder au long terme ?
Reece Tee : Il n’y a rien de plus cool que de programmer des groupes émergents, et utiliser le Desertfest comme tremplin pour les propulser à l’étape suivante. Les gens nous font confiance, et le public du Desertfest adore faire des découvertes car il est très ouvert, et c’est ce qui nous a permis d’essayer pas mal de choses au fil du temps tout en gardant un fil conducteur fort. Par exemple, si tu es fan de doom, tu n’as qu’à naviguer d’une salle à l’autre au fil du week-end pour entendre la musique que tu aimes, et ça marche pareil pour les fans de stoner et psyché. Même si on aime bien ajouter quelques « pièges ». On a rarement entendu les gens se plaindre de nos choix, même sur les trucs que les gens ne connaissent pas. Il n’y a rien de plus cool que de faire des découvertes inattendues. C’est ça aussi, le Desertfest.
Le Desertfest a toujours lieu dans des endroits emblématiques : le quartier de Camden, le long de la Sprée à Berlin, au Trix d’Anvers, et maintenant à Brooklyn… Malgré son nom, on parle d’un festival urbain qui — contrairement à la plupart des festivals indoor poussés en périphérie — a toujours lieu au coeur même de la ville.
Reece Tee : Nous sommes fiers que nos festivals aient lieu en ville, ça leur donne une teneur underground un peu crade qui leur correspond. Ces villes sont celles où les groupes bossent dur pour lancer leur carrière, ces rades sont ceux où l’on se fait un nom, donc on est vraiment en plein dedans. Pas besoin de monter une ville dans un champ, on a tout ce qu’il nous faut. En tout cas, personne ne sait où cette aventure va nous mener… Peut-être bien dans le vrai désert !
« Je veux que le Desertfest défende toujours autant l’underground dans dix ou vingt ans. (…) Notre but est d’avoir des petits festivals cool partout dans le monde, plutôt que de monter un gros festival de 10000 personnes et risquer notre intégrité. . »
Selon toi, le Desertfest est à l’abri d’une potentielle “disneylandisation” ? Je fais référence à certains gros festivals où les gens viennent juste pour se montrer, sans avoir un quelconque intérêt pour la musique.
Reece Tee : C’est à nous de faire en sorte de programmer de groupes de qualité, et pas juste parce qu’ils sont hype ou passent en radio. C’est à nous de faire en sorte que tout ça ne soit pas qu’un feu de paille. Je n’ai pas envie de voir le Desertfest devenir un truc hype. Mon but, c’est que le Desertfest défende toujours autant l’underground dans dix ou vingt ans.
Avec un tel succès (NDLR : le Desertfest Londres a accueilli 7000 festivaliers sur sa dernière édition), comment rester intègre, spontané, et ne pas perdre de vue les fans ?
Reece Tee : Nous sommes les fans, donc satisfaire notre public est ce qu’il y a de plus important pour nous. Le festival a grandi en même temps que cette scène a explosé, donc c’est pas comme si on devait contenter un public mainstream ou faire du chiffre. Notre but est d’avoir des petits festivals cool partout dans le monde, plutôt que de monter un gros festival de 10000 personnes et risquer notre intégrité. Si le moment est venu de monter un plus gros festival, ce sera uniquement parce que c’est dans l’ordre naturel des choses. Si on force trop le destin, alors on perd l’essence même du Desertfest.
On a récemment interviewé Brant Bjork au sujet de son implication au sein du festival Stoned and Dusted à Joshua Tree. Il parlait d’une volonté de rassembler des potes et passer un bon moment dans le désert. Est-ce qu’on peut rêver d’un Desertfest en plein air avec des générateurs et fûts de bières ? La symbolique serait très forte !
Reece Tee : C’est un de mes rêves, et je pense que New-York nous rapproche un peu du but. Si on fait un vrai Desertfest dans le désert, il faudra juste que je change le nom pour embêter certains détracteurs — ceux qui disent « mais il n’y a pas de désert à Londres ! ». Ça me fait marrer que les gens prennent le truc au pied de la lettre.
Parlons staff. Il doit vous falloir une armée de personnes surmotivées pour organiser un événement de la sorte ?
Reece Tee : Oui, et le Desertfest ne serait pas ce qu’il est sans les connaissances, l’enthousiasme et la passion de tous les gens qui nous aident. La team s’est étoffée au fil des éditions, et tout le monde est toujours autant motivé par l’amour de la musique et non l’argent, et cet état d’esprit n’a jamais changé.
En dehors de la simple organisation du Desertfest Berlin, quel rôle tient l’agence de booking allemande Sound Of Liberation ?
Reece Tee : Matte de Sound Of Liberation est notre partenaire depuis le tout début. Dès les prémices du Desertfest Londres, il s’est positionné pour lancer une édition berlinoise. On partage des groupes, des idées, et jaugeons ensemble les bons points comme les erreurs commises. Lorsqu’on lance une nouvelle édition quelque part, nous représentons le Desertfest tous les deux. Et de notre collaboration découle aussi une amitié très forte.
Qu’est-il advenu du Desertfest Athènes ? Des difficultés financières ? Les affiche 2016 et 2017 étaient superbes, et la scène grecque est si florissante avec des groupes comme 1000Mods ou Naxatras.
Reece Tee : La scène grecque est vraiment présente et ce chapitre n’est pas terminé ! Les deux éditions que nous avons fait ont bien marché, les salles, le public et la vibe étaient là, et on a hâte d’y retourner. LE problème vient surtout du fait qu’on doit faire venir les groupes là-bas, et il est parfois compliqué d’avoir les bonnes têtes d’affiche. On veut relancer Athènes lorsque tout sera en place, la qualité prime sur la quantité. Je suis à peu près sûr qu’on sera de retour en 2020.
Avec sept éditions à votre actif, comment vois-tu le futur du Desertfest ? Plus de jours ? Plus de salles ?Plus d’interactions entre divers domaines artistiques ? Plus de villes ?
Reece Tee : Je pense que l’annonce du Desertfest NYC montre à peu près la direction que nous prenons. La croissance doit être naturelle, on fait ça pour l’amour de la musique et on ne veut pas forcer la chose si les gens ne sont pas prêts. On ne prévoit jamais trop à l’avance, attendons juste de voir où cela nous mène…
On peut espérer voir un Desertfest France un jour ? Ou peut-être as-tu peur que les éditions se cannibalisent les unes les autres ?
Reece Tee : On ne doit pas lancer trop de Desertfest et s’assurer qu’ils ne soient pas trop rapprochés non plus. Avec l’édition belge qui marche bien, il y a difficilement de la place pour un Desertfest France. Mais qui sait ce que le futur nous réserve !.
« Faire jouer Sleep au Koko a marqué un vrai tournant pour le festival. »
Tu es également guitariste de Steak. Grâce à leur notoriété, certains artistes n’hésitent pas à produire d’autres groupes voire monter leur label. Toi, tu as monté un festival. Etait)ce une suite logique des choses pour toi ?
Reece Tee : C’est plus une passion pour cette musique de façon générale. Le premier EP de Steak est sorti au moment du premier Desertfest en 2012, tout ça vient surtout du fait que j’ai vraiment commencé à me bouger les fesses et plus faire ce que j’aimais, chose que je ne le regrette pas du tout. J’aime autant composer et jouer, que d’organiser le Desertfest. Rien n’est facile, que ce soit en tant que groupe ou orga, les choses ont parfois été difficiles. Mais parfois les choses fonctionnent et ça, ça n’a pas de prix.
Tu as invité un nombre incalculable d’artistes au fil des éditions… Quel est ton meilleur et ton pire souvenir ?
Reece Tee : Il y a eu des moments incroyables, chaque année on pense qu’on ne pourra pas faire mieux que ça, et pourtant c’est bien le cas. Je dirais que faire jouer Sleep au Koko a été un réel tournant pour le festival. A ce moment précis, il y avait pas mal de concurrence autour de nous et on s’était un peu relâché — soit on grossissait, soit on se faisait bouffer. Sleep a été le symbole de notre évolution, et j’ai su que ce n’était que le début quand je les ai vus sur scène ce jour là. Il y a eu des bas, mais pour être honnête, j’essaie de ne voir que le positif !
Merci pour ton temps, Reece ! Rendez-vous à Camden ce printemps !
Desertfest London – 3 au 5 mai 2019 – Camden (Londres) – Infos et tickets
Desertfest Berlin – 3 au 5 mai 2019 – Arena (Berlin) – Infos et tickets
Desertfest NYC – 26 au 28 avril 2019 – Brooklyn (NYC) – Infos et tickets
Desertfest Belgium – 18 au 20 octobre 2019 – Trix (Anvers) – Infos et tickets
Last modified: 24 janvier 2019