Dans les coulisses du Desertfest Berlin, j’ai eu l’occasion d’échanger avec le très affable Kent Stump, chanteur et guitariste du trio stoner blues américain WO FAT. Affublé comme souvent de son superbe chapeau de cow-boy, il s’est confié sur le processus de création de leur dernier-né Midnight Cometh, ainsi que les racines musicales et politiques du son swampadelic du combo texan…
Comment se passe la tournée « texane » avec vos copains de Mothership ?
Très bien ! On a dépassé les attentes, de plusieurs façons : le public est nombreux, on a vendu presque tout notre merch, et… on a épuisé trois amplis de basse ! Le premier a explosé, puis celui de rechange, et heureusement on a pu en trouver un sur la route. Voyons si on peut tenir jusqu’au bout de la tournée !
On dirait que vous préférez tourner en Europe qu’aux Etats-Unis.
On tient un studio d’enregistrement à Dallas, donc c’est difficile pour nous de partir trop longtemps. Et c’est tellement mieux de venir ici – le soutien du public est incroyable. Aux Etats-Unis, tourner suffisamment pour rentrer dans nos frais ou dégager une marge est trop difficile, il y a trop de terrain à couvrir. Mais le Texas a une scène musicale très diverse, avec des groupes très cools. Et les festivals comme Psycho California ou Psycho Las Vegas avec des affiches incroyables, commencent à changer un peu la donne là-bas.
« On utilise l’imagerie blues et vaudou pour parler de la cupidité des entreprises. (…) Les armes à feu, la course à l’armement, le déni climatique… tellement de choses sont causées par la recherche du profit »
J’ai eu la chance d’écouter votre nouvel album (qui, à mon humble avis, déchire !). J’ai senti qu’une histoire se déroulait au fil des chansons, dans une ambiance pré-apocalyptique.
Peut-être pas une histoire linéaire, mais oui, il y a clairement un thème d’ensemble. « Three Minutes To Midnight » est une référence à l’horloge de l’Apocalypse, qui est liée au changement climatique et à la prolifération nucléaire – des choses qui pourraient mener à notre effondrement en tant qu’espèce. On utilise l’imagerie blues et vaudou pour parler de la cupidité des entreprises. Ce que les grandes firmes pétrolières font par exemple, revient un peu à vendre son âme pour un profit de court-terme, et nous allons tous en subir les conséquences. Les armes à feu, la course à l’armement, le déni climatique… tellement de choses sont causées par la recherche du profit.
Au Texas, vous devez vous sentir encerclés par ce genre de cupidité…
Il y a plein de bonnes choses à faire ici. On a le studio, la famille, et on habite au Texas depuis 25 ans. Mais, oui, c’est un endroit étrange pour nous. En tant que groupe nous sommes assez progressistes politiquement, et le Texas beaucoup moins ! À part peut-être pour Austin ou Dallas.
Sur Midnight Cometh, on reconnaît bien votre identité musicale, mais vous y avez ajouté davantage de percussions. Quelle a été votre inspiration pour cela ?
On a toujours adoré les musiques africaines et cubaines, ainsi que la salsa. J’ai toujours pensé que ce serait cool de prendre cette approche rythmique et de l’appliquer au métal. Je voulais inclure d’authentiques percussions, d’une manière qui ne nous fasse pas sonner comme Santana. Enfin, j’aime bien Santana ! Mais on n’essaye pas de copier ce qu’il fait. On prend ça comme une expérience. Pour l’instant, on ne peut pas le reproduire en live, il nous faudrait des musiciens en plus pour ça… on le fera peut-être un jour. À l’avenir, j’aimerais continuer à expérimenter avec la musique africaine.
« Notre décision délibérée a été d’évoluer au sein du paradigme mélodique du blues. Howlin’ Wolf, John Lee Hooker, R.L. Burnside, Stevie Ray Vaughan, Johnny Winter… »
Je suis un grand fan de blues, et je peux aussi entendre ça dans votre musique.
Carrément. Notre décision délibérée, au moment de démarrer le groupe, a été d’évoluer au sein du paradigme mélodique du blues. Howlin’ Wolf, John Lee Hooker, R.L. Burnside, Stevie Ray Vaughan, Johnny Winter sont de grosses influences pour nous. Et d’ailleurs, la moitié des gens que je viens de citer viennent du Texas !
Comment fonctionne l’écriture de vos morceaux ?
En général, ça commence par des riffs. J’arrive avec une structure assez complète, puis on jamme ensemble là-dessus. À mesure qu’on joue, je me dis : « tiens, ça sonnait mieux dans ma tête », et les choses changent. On enregistre toutes nos répètes, donc c’est plus facile de voir ce qui marche ou pas. Ensuite, je finis avec les paroles – ça me prend une éternité. Je m’épuise dessus, sans doute plus que je ne devrais.
À mes yeux, une des choses qui distingue vos morceaux est leur côté imprévisible – l’auditeur suit un riff, et boum ! Un nouveau surgit de nulle part. Vous travaillez beaucoup sur ce facteur surprise ?
Mon idéal est d’emmener l’auditeur en voyage, dans une histoire qui se déroule du début à la fin. Et je ne veux pas que ça devienne ennuyeux, parce que nos morceaux sont plutôt longs. Parfois, ça commence par une recherche rythmique : « ce serait peut-être cool de passer d’un feeling classique, à une structure en triplet« .
Quand vous jouez en live, est-ce que vous laissez une place à l’improvisation ?
Absolument. Tous les solos de guitare sont improvisés, et à durée indéterminée – je fais un signe aux gars pour qu’ils sachent quand repartir. De manière générale, les chansons sont un mélange de jams et de parties structurées. L’improvisation est très importante pour moi, parce que je viens du jazz. Je l’ai étudié à University of North Texas.
Est-ce que tu penses que dans un monde parallèle, il y a une version de toi avec les cheveux courts, jouant du jazz pour des personnes âgées ?
(rires) Probablement ! C’était le projet, quand j’étais à l’université. Mais la vie te mène dans des chemins différents… Ce qui m’attiré vers le jazz, c’est que dans les années 40 et 50 il était subversif, et même révolutionnaire. Mais dans la scène jazz actuelle, c’est fini, tout ça – c’est probablement ce qui m’a fait emprunter cette autre direction.
Vous jouez ensemble depuis 15 ans. Qu’est-ce que vous aimeriez faire en tant que groupe que vous n’avez pas encore fait ?
Notre premier concert en Europe était très spécial, je voulais faire ça depuis 10 ans. Là, on va jouer au Hellfest cet été – c’est très excitant, le plus gros concert qu’on ait jamais fait. Mais honnêtement, je ne m’attendais pas à ce que ça fonctionne aussi bien. On voulait juste jouer un peu, peut-être faire un concert ou deux… On ne vit pas de ce groupe, mais on s’éclate, donc je voudrais juste que ça continue.
J’ai entendu qu’on vous avait jeté des pots en verre lors d’un concert aux Combustibles, à Paris. Ça reste votre anecdote de tournée la plus dingue ?
C’était notre premier concert à Paris – un super moment, d’ailleurs. On nous avait dit de faire attendre, parce qu’une vieille dame à l’étage jetait de l’eau sur les groupes. J’imagine qu’elle en a eu assez et qu’elle a décidé de monter d’un cran, parce qu’elle nous a jeté des pots de dissolvant et de peinture… Sur notre valise pour transporter la basse, on peut encore voir les impacts de verre et de peinture de ce soir-là ! Ça reste notre histoire la plus dingue. On ne fait pas de folies en tournée – on ne jette pas des télés par la fenêtre ou quelque chose du genre (rires). On se fait trop vieux pour ça…
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Nouvel album « Midnight Cometh » dans les bacs le 20 mai via Ripple Music
Last modified: 1 septembre 2016