Fièvre rock, bécanes, indépendance : rencontre avec THE PICTUREBOOKS.

Written by Interview

Les amoureux de bon rock ne seront jamais assez reconnaissants envers Kadavar d’avoir invité leur compatriotes allemands de THE PICTUREBOOKS sur leur tournée européenne cet automne. Et nous ne serons jamais assez reconnaissants envers le label Riding Easy Records d’être de si bons défricheurs, et d’avoir révélé au monde l’un des secrets les mieux gardés de la scène rock alternative. Sans tout cela, nous serions restés dans l’ignorance d’un duo à la l’originalité et au talent d’écriture rares, duo qui a depuis longtemps conquis les États-Unis, patrie chère à leurs coeurs de bikers. Après avoir passé des semaines entières à écouter leur nouvel album « Imaginary Horse » et à gorger mes oreilles de leurs compos garage blues à la fois brutes et sensuelles, il était impensable que je ne profite pas de leur venue au Desertfest Belgium pour en savoir plus au sujet de ce mystérieux groupe au nom improbable. Après s’être coupés pendant plus de deux ans de l’industrie musicale pour faire ce qu’ils font le mieux (jouer du rock, construire des bécanes et faire du skate), les très sympathiques Fynn Grabke et Philipp Mirtschink se sont ouverts et m’ont dévoilé toute l’histoire derrière The Picturebooks et leur fabuleux nouvel album. Rencontre avec des mecs tout simplement Cool. (Photos – sauf couverture – par Sylvain Golvet)

Salut les gars, contente de vous rencontrer. Comment va la vie pour The Picturebooks ? 

Fynn Grabke (chant & guitare) : Tout se passe bien, on revient tout juste des States où c’était génial, le public était super cool et ouvert. Et sans transition, on s’est greffé sur la tournée de Kadavar. On a atterri le jeudi, et le lendemain on embrayait sur le premier concert. En plus c’était mon anniversaire, donc c’était énorme ! On était un peu déphasés au début, mais maintenant on est bons.

D’après ce que j’ai pu voir, vous avez déjà roulé votre bosse aux États-Unis, maintenant en Europe avec Kadavar… Quel est votre secret pour tourner autant ? 

FG: Cedric Bixler-Zavala de The Mars Volta nous a découverts via Instagram et a vraiment apprécié ce qu’on faisait, donc ils nous a booké deux shows au States. Quand on est arrivés là-bas, ça s’est tellement bien passé qu’on s’est retrouvé à tourner deux mois. C’était génial. On n’avait pas encore de label à l’époque, donc ça a fait effet boule de neige. Là-bas, tout le monde parlait de Kadavar, j’ai donc jeté un coup d’oeil pour voir qui c’était, et c’est là que j’ai vu qu’ils étaient Allemands comme nous ! On les a contactés quand on a eu nos soucis de visas au States, puis Lupus nous a ensuite recontacté pour nous inviter sur leur tournée. Donc on est là, et ça se passe nickel. Chaque soirée est unique, et les gens sont extrêmement réceptifs à ce qu’on fait.

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Fynn Grabke (guitare & chant)

J’ai essayé de récolter des infos sur vous, notamment sur votre façon de composer et d’enregistrer, mais je n’ai rien trouvé de récent. J’aimerais vraiment en savoir plus sur le procédé d’enregistrement de « Imaginary Horse », étant donné que vous avez composé et enregistré tous les morceaux dans votre garage de Gütersloh en Allemagne. Comment l’idée vous-est elle venue, et surtout : comment avez-vous fait pour obtenir ce son si unique ? 

FG : Comme tu l’as dis toi-même, tu n’as rien trouvé de récent sur nous, car Philipp et moi-même avons sorti deux albums avant celui-ci, avec un bassiste. C’était une époque bizarre, on ne voulait en faire qu’à notre tête, alors quand Tim a quitté le groupe, le processus créatif s’est lancé tout seul. On a coupé tout contact avec notre label et la presse, parce qu’on ne voulait aucune pression. On voulait juste faire ce qu’on aime, que ce soit monter des choppers, faire du skate ou composer. On s’est interdits d’écouter de la musique pendant deux ans pour éviter d’être influencés. Ce genre de chose arrive à trop de groupes, surtout en Europe. Genre, tout d’un coup tous les groupes se mettent à sonner comme des trucs déjà existants, comme par exemple, une version allemande de The Strokes. Personne n’a besoin de ça ! On voulait créer quelque chose de nouveau. On construit nos instruments dans le garage où on monte les bécanes, parce qu’on n’avait pas envie de devoir tout le temps osciller entre deux pièces. On aime le son qui en ressort, c’est très spacieux… Si tu tapes dans tes mains, il y a une super reverb. On a donc essayé de retrouver ce son sur l’album, car c’était le feeling du moment. On a mis de côté nos connaissances liées au matos et au studio, car on co-produit beaucoup de groupes au studio de mon père (le père de Fynn est Claus Grabke, skateur allemand de renommée internationale et propriétaire du Claus Grabke Studios en Allemagne). En tant qu’artiste, quand tu sais que tout est techniquement possible, ça tue ta créativité. On s’est donc débarrassé de nos cymbales, j’ai viré mes pédales, pour obtenir le son le plus brut possible. Pas de musique, pas d’influences ni de deadline, juste prendre les choses comme elles viennent. On a passé deux ans et demi comme ça, puis on a reçu une deadline de Riding Easy Records (anciennement Easy Rider Records), on avait quelque chose comme cinquante morceaux de finis. On a enregistré tous les morceaux en live, avec seulement deux micros à trois mètres de nous. On a juste fait quelques overdubs, notamment pour le chant. Le plus est l’ennemi du mieux, en quelque sorte.

« On s’est débarrassé de nos cymbales, j’ai viré mes pédales, pour obtenir le son le plus brut possible. Pas de musique, pas d’influences ni de deadline, juste prendre les choses comme elles viennent. »

C’est une bonne devise. Du coup, qui s’est occupé de mixer et masteriser l’album ? Vous ? 

FG : Mon père et nous. On préfère gérer nous-même tout ce qui touche à notre musique, tu vois ? On ne fait confiance à personne dans ce business, il y a trop de gens bizarres (rires). On avait cette saveur unique, et on ne voulait surtout pas que quelqu’un y mette sa touche perso. On essaie d’éviter ça… Donc on fait tout nous-même : les photos, les vidéos, et bien sûr, les enregistrements. Si tu jètes un oeil à nos réseaux sociaux, c’est nous.

Oui, ça se voit. Le son de cet album est assez exceptionnel, je veux dire, quand tu mets un bon casque et que tu lances la lecture, t’as aussitôt l’impression d’être dans la même pièce que The Picturebooks. Merci de nous avoir éclairé là-dessus ! 

FG : Je peux te dire que c’était un long processus !

D’un autre côté, ce nouvel album est très différent des deux précédents, l’écriture est beaucoup plus fine, les morceaux plus émouvants. Comment cette évolution dans votre musique s’est-elle faite ? Est-ce lié à quelque chose de plus personnel ? 

Philipp Mirtschink (batterie) : Je pense qu’on avait ça en nous, même lorsque Tim faisait encore partie du groupe. On jouait et on jammait tout le temps, même quand il n’était pas là, donc… On avait déjà plus ou moins ce son, mais sans le côté brut. Puis on est allé aux États-Unis plusieurs fois, on a traversé le désert en van… Tu te rappelles de ce morceau, Fynn ?

FG : Ouais, je m’en souviens, j’avais acheté un ukulélé d’occasion et on a composé ce morceau dans la bagnole, parce que c’était le bon moment… Plein de gens disent que ça se ressent sur le disque, eh bien c’est parce qu’on a tout composé là-bas. En ce qui concerne les influences blues, je pense que tu peux un peu sentir ça sur le deuxième album, même si à cette époque on se disait qu’on avait pas le droit de faire ça… J’avais seize ans lorsqu’on a sorti le premier album, je me disais « je suis trop jeune pour donner des leçons de vie aux gens ». Au final, on a réussi à injecter ce côté bluesy, mais sans le message propre aux bluesmen. Si tu écoutes l’album, c’est une influence, mais nous ne sommes pas un groupe de blues.

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Philipp Mirtschink (batterie)

Ça reste quand même très dur de cataloguer votre musique. On peut dire que c’est du garage rock, pour l’esprit et le son, c’est aussi très bluesy sans être du blues à proprement parler, parfois acoustique, et il y a beaucoup de soul également… 

FG : Tu sais, c’est ce qu’on voulait. Comme je te disais tout à l’heure, on ne voulait pas être la version allemande de quelqu’un. Si tu penses à Kraftwerk, je ne pense pas qu’à l’époque, les gens auraient pu dire « bien sûr, c’est de la musique électro, quoi t’es pas au courant ? » (rires). Personne n’avait une foutue idée de ce que c’était ! Je ne dis pas qu’on propose quelque chose d’aussi novateur que Kraftwerk à leur époque. Dans le métal, il y a certaines choses à faire pour sonner métal, dans le blues et les autres genres aussi… On s’est libérés de tout ça, pour obtenir le produit le plus pur possible.

« Si je te dis les Beach Boys et l’album « Pet Sounds »… Mon dieu, c’est fou l’influence que cet album a eu sur nous. »

En parlant de ça, quels sont les groupes rock ou métal dont vous vous sentez proches ?

FG : Si je te dis de quel groupe on se sent proches, personne ne nous croira ! Si je te dis les Beach Boys et l’album « Pet Sounds »… Mon dieu, c’est fou l’influence que cet album a eu sur nous. À la fin, on entend un train, et le clip de « Your Kisses Burn Like Fire » commence avec un train. Et dans « E.L.I.S.A.B.E.T.H », je chante « Elisabeth, where’s your long hair gone?« , tandis que dans leur morceau « Oh Caroline Oh », il chante « where did your long hair gone?« .

Mais c’est du plagiat !

FG : (rires) En fait, je l’ai fait exprès ! On est tous les deux de grands fans des Beach Boys. Mais encore une fois, dès que j’entends « vous sonnez comme untel », c’est mort. Il y a plein de morceaux qui n’ont pas fini sur l’album, parce qu’ils me font penser à quelque chose qui existe déjà, que ce soit un morceau ou un groupe. Beaucoup de gens diraient « mais bon sang, de quoi tu parles ? ». C’est juste qu’on est hyper sélectifs. Je veux dire, il le faut !

The_Picturebooks_Desertfest_interviewC’est comme ça qu’un groupe se démarque.

FG : Et tu sais, les duos blues, il y en a des tonnes à l’heure actuelle. Donc on a fait en sorte que personne ne puisse nous comparer aux Black Keys ou aux White Stripes, par exemple. Ce serait la pire chose qui pourrait arriver.

Ouais, surtout que le feeling de l’album n’a absolument rien à voir avec ce que font ces groupes, il se passe quelque chose de très spécial dans votre musique… Ce qui m’amène à vous demander quels sont les thématiques prédominantes sur « Imaginary Horse », et d’où cela vient ?

FG : Tout est lié à ce qu’on faisait au moment de l’enregistrement. Cet album sent les choppers, l’huile de moteur… Plein de groupes font genre (il prend une voix hyper virile) « ouais, c’est rude, c’est gras, y’a des bécanes ». On n’est pas comme ça. C’est ce qu’on fait, le skate et les bécanes, tu peux pas trouver plus authentique. On n’exagère rien, pas comme Blink 182 ou Avril Lavigne qui mettent du skate dans leurs clips pour avoir l’air cool. On skate vraiment, il n’y a aucun cascadeur qui fait les trucs à notre place sur les photos… (rires) On construit et on conduit ces putains de choppers ! C’est pas de la rigolade, c’est ce que nous sommes. Et par dessus tout, que ça marche ou pas, qu’on gagne de l’argent ou pas, Philipp et moi sommes meilleurs potes. Quand on n’est pas en tournée, on se lève le matin et on s’appelle, Philipp mange chez nous quasiment tous les jours… Si j’ai un conseil à donner à ceux qui veulent monter un groupe : faites le avec vos meilleurs amis. On a essayé d’imaginer, et si notre manager était un mec sorti de nulle part qu’on n’aimait pas, et si on ne s’appréciait pas tous les deux et qu’on s’évitait en backstage ? Ça ne pourrait pas marcher. The Picturebooks, c’est ce qu’on fait et fuck le reste, tu vois ?

« On skate vraiment, il n’y a aucun cascadeur qui fait les trucs à notre place sur les photos. On construit et on conduit ces putains de choppers ! C’est pas de la rigolade, c’est ce que nous sommes. « 

Ça aurait pu être le mot de la fin, si je n’avais pas une dernière question… 

FG : (rires) Oh, mais j’avais pas l’intention de terminer l’interview !

Ma dernière question était en rapport avec la scène heavy, puisque vous êtes à l’affiche du Desertfest aujourd’hui. Est-ce vous écoutez ce style de musique, et connaissez certains des groupes qui jouent ce week-end ? Quel est votre opinion sur cette scène ? 

FG : On connait Fu Manchu, Kadavar bien sûr…

PM :  J’ai beaucoup entendu parler de Electric Wizard, même si je n’ai pas eu l’occasion d’écouter tous leurs albums.

FG : Il y a tellement de groupes à l’heure actuelle, que ça en devient fou. Mais ça me plaît parce que c’est de la bonne musique, faite par des personnes cool, avec des designs cool… Et puis tu sais, on est signés chez Riding Easy Records à l’international, et Noisolution pour la zone Allemagne, deux labels gèrent tous ces groupes géniaux. On aime ça. Par contre, notre prochain album ne sera pas stoner juste parce qu’on traîne avec tous ces gars. Le truc positif, c’est que tous ces gens se sont remis à aller voir des concerts en salle, pas juste en festival. Je pense que tu perds un maximum de feeling en festival, c’est pour ça qu’on adore jouer en salle ! (s’en suit une conversation où ils m’expliquent qu’ils n’arrivent plus à assister à des concerts car le son est beaucoup trop fort; je crois que ces mecs sont en fait beaucoup plus vieux qu’ils le prétendent)

Envie d’ajouter quelque chose pour clôturer cette interview ? 

PM : Je crois qu’il a tout dit !

FG: J’étais sur ma lancée, mais maintenant je suis off… (rires) On aime la France, on vient souvent ici. Il nous tarde de jouer chez vous en novembre !

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Last modified: 30 janvier 2018