Il n’y a pas deux groupes au monde comme BLACK TUSK. Non seulement ces trois-là mélangent le punk, le hardcore et le sludge comme personne, vous tartinant les oreilles d’une substance à la fois grasse et ultra corrosive et vous rendant fou en pas moins de deux minutes, mais surtout : IL FAUT LES VOIR EN LIVE POUR COMPRENDRE. « Comprendre quoi ? » me direz-vous. Comprendre pourquoi à chaque album, à chaque EP, ils ont ce besoin viscéral de vous matraquer les oreilles et de déballer encore et toujours plus de rage. La quintessence de la rage. Les voir en live donc, c’est comprendre que cette énergie découle en fait d’un désir immense de contaminer leur auditoire de cette envie de faire la fête et de tout casser. Loin d’être les méchants bourrins qu’on imagine, Andrew, Athon et James forment en fait la fine équipe des bons vivants. J’ai rencontré les deux tiers du groupe avant leur concert explosif au Glazart à Paris, lesquels se sont livrés sans filtre sur leurs projets, leur vision du business, mais aussi et surtout leur quotidien de rockeurs hyperactifs.
MAIS AVANT TOUTE CHOSE, LE NOUVEL EP :
Comment ça va, les gars ?
James (batterie & chant) : Hier soir, on a grave fait la teuf, donc on a un peu la gueule de bois…
Athon (basse & chant) : C’était notre première fois à Antwerp, c’était vraiment un concert génial, on a pris notre pied.
Pour commencer, vous pourriez me dire en quelques mots ce qui pousserait les fans de Black Tusk à vouloir votre dernier EP « Tend No Wounds » plus que n’importe quel autre disque ?
J : On a pour habitude d’effectuer des changements à chaque nouveau disque, et sur celui-ci le changement est vraiment flagrant. On a un peu ralenti le tempo, parce que c’est un 6 titres, on ne voulait pas faire un album.
A : Cet EP est très énervé, et même enragé !
Voyons, TOUS vos albums sont hyper énervés !
J : (rires) Aaah, on a quelques morceaux festifs, tu sais… Mais on fait la fête en mode énervé !
J’ai été très agréablement surprise par cette intro au violon sur « The Weak & The Wise », qui est l’un des morceaux qui a le plus attiré mon attention sur cet album. Comment vous est venue l’idée d’intégrer un instrument classique [pour la toute première fois dans l’histoire de Black Tusk] à l’un de vos morceaux ?
A : J’avais cette mélodie qui me trottait dans la tête, et quand j’en ai parlé à James, il m’a dit qu’il pensait à la même chose. On n’en avait même pas parlé, on a juste tous les deux ressenti qu’on devait placer ça là. Un de nos potes à Savannah est violoniste pour l’orchestre symphonique, donc il a joué cette partie au violon, puis on a rajouté des effets pour que ça sonne aussi comme un violoncelle. On voulait quelque chose de sombre et flippant, et je pense qu’il a vraiment tout tué.
Cette intro est juste parfaite.
A : Je suis très content de la tournure que le morceau a pris. Il est venu le jour où on l’enregistrait, il a écouté le morceau une fois, je lui ai décrit ce que j’avais en tête… Il l’a joué deux fois, et c’était parfait.
Pourquoi est-ce que vous n’avez pas profité de cet EP pour jouer plus sur cette espèce de dualité ?
A : On n’est que trois dans le groupe, donc si on en faisait plus, on devrait ramener plus de monde avec nous en tournée…
J : On ne jouera pas ce morceau en live.
À cause des contraintes techniques que ça implique ? Vous ne pouvez pas utiliser un sampler par exemple ?
A : On a un sampler, mais ça sonne trop robotique, pas assez organique. On perdrait toute l’âme du truc. On a déjà fait des choses comme mettre des overdubs sur la guitare ou la batterie, mais on essaie de rester le plus proche possible de notre façon de jouer en live.
J : Quand on compose nos morceaux, on sait exactement dans quel but on les fait. Donc on sait quand tel sera ou ne sera pas pour le live.
On a quelques morceaux festifs, tu sais… Mais on fait la fête en mode énervé !
Dans une récente interview, Andrew disait que vous partagiez la même vision avec votre label Relapse Records. Cependant, qui a le dernier mot lorsqu’il s’agit de sortir des disques ?
J : Ça dépend. Ils peuvent nous dire « vous devriez sortir un truc à ce moment là, parce que c’est le bon moment ». Mais on peut aussi leur dire « on veut sortir ça » ou même « okay, vous ne voulez pas sortir ce disque maintenant, et bien on va le faire ailleurs ».
A : Quand on a signé chez eux, on souhaitait sortir des EP, des compilations, des choses un peu plus rares. On s’est mis d’accord, et au final nous sommes libres de sortir ce qu’on veut, et pas juste des albums complets. Ça nous permet d’entretenir la nouveauté, de sortir plus de pochettes, des packagings, des trucs de collection… Et puis les fans sont contents. Ça nous permet aussi de changer de son, de faire des collabs avec des groupes qu’on apprécie… Tu sais, quand on vit neuf mois par an dans un van, on n’a pas envie de jouer les même morceaux tous les soirs.
J : Là, on va sortir deux nouveaux morceaux avec Converse.
A : On a passé deux jours au Converse Rubber Tracks à Brooklyn [les studios de Converse à New York], puis on sortira cet EP 7″. Ce seront des morceaux et une pochette très recherchés, on va essayer de le rendre assez rare et limité, un truc pour les collectionneurs.
John Baizley est en charge du graphisme pour tous vos LP. Pour ce qui est de cet EP « Tend No Wounds », vous avez choisi de travailler avec Brian Mercer. Comment s’est fait ce choix ?
A : Il a fait pas mal d’affiches pour nous dans le passé. Et on ne travaille qu’avec des amis.
J : Notre split avec Dead Yet a été réalisé par Jamie Hush, notre premier EP par Chris Farey…
A : On leur donne une ligne directrice, car la pochette doit être en rapport avec le thème et l’atmosphère de l’album. Pour les LP, on choisit d’avoir à chaque fois un personnage central.
Au printemps dernier, vous avez tourné aux États-Unis avec Kvelertak et Cancer Bats. Quand j’ai vu vos trois groupes sur la même affiche, je me suis tout de suite fait la réflexion « si avec ça, la Terre n’explose pas ! ». Comment ça s’est passé ?
A : C’était DINGUE. Chaque soir c’était la folie, sauf peut-être un…
J : Celui en Arkansas.
A : Ouais. Ce sont tous des mecs cool et hyper terre-à-terre. On s’est vraiment bien entendus. Ça n’aurait aucun sens de partir sur la route pendant des mois avec des gens qu’on n’apprécie pas.
J : Tout le monde les adore, ils sont géniaux, donc ça a été un soulagement. Et puis ce sont aussi de très bons musiciens !
Et de vrais bêtes de scène !
A : Ouais ! Chaque soir, les trois groupes essayaient de se surpasser les uns les autres… À la fin de la tournée, on était tous enragés sur scène, parce qu’on absorbait toute l’énergie provenant de la foule. C’était parfait.
Des moments marquants ?
J : Je crois qu’une fois, Marvin [le bassiste de Kvelertak] a fait du skate sans pantalon… (rires)
A : Des trucs de fou sont arrivés aux Cancer Bats, leur moteur a crâmé après qu’ils aient chargé leur matos au Canada, le premier jour de la tournée. Ils ont dû louer un autre van, et à la moitié de la tournée, le moteur a claqué. Ils ont laissé leur merch guy, deux sont montés avec nous, les deux autres avec Kvelertak… Il n’y avait plus de place dans aucun des véhicules ! Leur merch guy a dû faire 20 heures de route pour nous rejoindre. Leur van est à nouveau tombé en rade le dernier soir.
J : Les problèmes de van ne nous atteignent plus, on a dû avoir toutes les merdes possibles et imaginables. Du coup, on était là « ah, on dirait que c’est votre tour maintenant ! » (rires)
A : Ouais, des pneus crevés au feu de moteur ! On s’est aussi fait braquer nos affaires, et sur la tournée avec Valient Thorr, la transmission nous a lâché cinq fois…
On aime s’amuser quand on joue notre musique, alors pourquoi ne pas faire un clip qui traduit cet esprit-là ?
Quel est le concept derrière la vidéo de « Truth Untold » ? Je lui trouve un côté irresistiblement Valient Thorrien… Elle est vraiment hilarante.
A : Les clips live sont tellement chiants et rudimentaires… On s’en fout de te voir jouer dans un entrepôt ou bien en train de marcher dans un cimetière ! (rires) Nous, on aime s’amuser quand on joue notre musique, alors pourquoi ne pas faire un clip qui traduit cet esprit-là ? Rien à foutre des clips live, alors qu’on peut aller voir les groupes en concert et vraiment vivre le truc.
J : C’est marrant parce que quand les gens voient ce clip, ils sont là « ah, ils ont enfin fait une vidéo marrante ! ». Mec, notre premier clip était une parodie ! [Triumph Of The Wolves]
A : On est d’ailleurs en pourparlers pour faire la suite de « Truth Untold » avec les personnes qui ont bossé dessus. Ce sont des gars vraiment cool, ils ont fait ça bénévolement car on n’avait pas d’argent. Et il me semble qu’on l’a tourné en seize heures.
Donc ça veut dire que vous êtes de super bons acteurs !
J : Probablement les trois meilleurs que j’ai jamais vu.
A : Les trois plus beaux. Mais bon sang, t’as pas vu le bêtisier ! (rires)
Est-ce qu’à tout hasard, vous auriez été sponsorisés par la marque de bière Pabst Blue Ribbon pour la video ? Parce qu’on en voit presque à chaque image !
A : Non, mais mon coloc organise le Loto rock’n’roll au Jinx à Savannah, et il offre des lots PBR, donc mon appart est plein à craquer de trucs PBR. C’est aussi la bière la moins chère qu’on boit quand on est chez nous.
J : Le bar du coin sert un shot de Wild Turkey et une Pabst pour 7 dollars, c’est le bar où je bosse quand je suis à la maison. En fait, on y bosse tous plus ou moins : Athon fait la maintenance et le bricolage quand les trucs partent en couille, Andrew distribue les flyers, et moi je suis derrière le bar.
A : On nous file des gadgets PBR super bizarres, comme des hamacs et des pagaies de canoë.
J : L’autre jour, j’ai pété mon grille-pain, il brûlait PBR sur les toasts.
Je ne te crois pas…
A : Tu devrais tester les Pabst-Tart, c’est comme un Pop-Tart [un espèce de cracker fourré au sucre que l’on passe au grille-pain], sauf que dessus, t’as le logo Pabst de gravé. (rires)
En fait, on ne tient pas en place. (…) À Savannah, tu dois te creuser la tête pour t’occuper. C’est une des raisons pour lesquelles on a décidé de tourner autant.
Vous parliez à l’instant de vos boulots respectifs. James, tu es donc barman… Athon ?
A : J’essaie de sortir de la construction et des chantiers, je commence à fabriquer des batterie et des amplis de A à Z. Andrew est dans la charpenterie et les terrasses. En fait, on ne tient pas une seconde en place. On prend tous les jobs qu’on nous propose, et pour lesquels on a du temps.
J : Qu’ils soient légaux ou illégaux. Faut bien payer les factures ! (rires) Tu sais, si on tourne constamment, alors Black Tusk paie les factures. Mais quand on reste aux States pendant des mois à composer le prochain album, l’argent commence à manquer.
A : Ou bien on commence à s’ennuyer, et on essaie de trouver un truc à faire avant de s’encroûter.
J : Même si j’avais un million de dollars, j’aurais toujours besoin d’avoir quelque chose à faire.
Je vois pas mal d’artistes qui se lancent dans le business de la musique une fois qu’ils ont un peu d’argent de côté. En montant par exemple leur propre label ou studio d’enregistrement. Vous n’avez jamais eu envie de faire ça ?
A : À Savannah, il n’y a pas de demande pour ce genre de truc, car c’est trop petit. Il y a un studio, et c’est tout. Ils sont plutôt branchés country, rock, ou surf rock à l’ancienne, donc bon…
J : Phillip de Kylesa a monté son propre label, ça s’appelle Retro Futurist, mais pour ça il a du déménager à Columbia. Il est constamment en train d’enregistrer Kylesa ou d’autres albums.
A : Vivre dans une ville aussi petite que Savannah, c’est à double-tranchant. C’est sympa, mais si tu pars en tournée pendant quatre mois, quand tu reviens tout est exactement à la même place. Tu dois te creuser la tête pour t’occuper. C’est une des raisons pour lesquelles on a décidé de tourner autant.
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Last modified: 16 février 2014