Des fois il faut savoir prendre un peu de recul. S’arrêter dans cette frénésie systématique de consommation de nouveautés chaque vendredi. Peut-être même regarder dans le rétro et se rendre compte que des albums pas forcément immédiats se révèlent avec le temps. Certains disques procurent d’emblée des sensations fortes, d’autres s’insinuent doucement. Très peu d’albums m’ont fait cet effet cette année, mais le deuxième album de Spirit Mother est l’un d’eux. Et comme le dit l’adage, « il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis », j’avais envie de revenir sur cette sortie de septembre qui, à l’heure des tops de fins d’année, méritait bien que l’on s’attarde un peu sur cette sombre pépite.
Il y avait de quoi être perturbé. Déjà cette pochette, à mi-chemin entre la carte topo IGN et le « Unknown Pleasures » de Joy Divsion, ne ressemble en rien aux visuels chamarrés et psychédéliques du catalogue Heavy Psych Sounds. Musicalement, c’est la même : on est très loin des genres mis en avant par le label. Si l’acide et les fumées hallucinogènes font partie de l’ADN du son HPS, ici ce serait plutôt cuir, cendrier froid et whisky. Leur révélation est tout aussi étrange : elle se fait en pleine pandémie lorsque la tête pensante des bamboches désertiques Stoned & Dusted capte une série de concerts live de 5 groupes de son choix en plein désert : parmi les pontes Earthless, Stöner et Nebula se glisse Spirit Mother, au son tendu, impétueux mais à la mélodie rock parfaitement ciselée, bien éloignée des têtes d’affiches précitées.
Que vient donc foutre cet ovni sur nos radars, si ce n’est leur présence sur LE label estampillé stoner ? En même temps, on s’en fout un peu, non ? Car il serait dommage de se priver des plaisirs viscéraux que procure la désolation et le spleen de ce disque meurtri.
Spirit Mother est investi d’une mission honorable : mettre de la noirceur et de l’âme dans un psychédélisme qui se concentre un peu trop sur les volutes de fumées ou les trips cosmiques. « Trails » dévoile un groupe au son hybride autant inspiré d’une americana hypnotique et âpre des villes fantômes du midwest rural que du shoegaze vaporeux du début des années 90. Sur le papier, avec une telle description, on imagine très vite un groupe à la croisée des chemins entre All Them Witches ou Lord Buffalo. Il est vrai que ce violon toujours un peu déprimé et chancelant est un marqueur fort de la musique folk américaine moderne. On a donc droit à un rock psychédélique sombre et lancinant. Mais ce serait complètement occulter l’approche britannique du songwriting de Spirit Mother. En évoquant le shoegaze, il y a un je ne sais quoi de The Jesus & The Mary Chain tant dans les voix que dans son sens de la mélodie : simple mais accrocheuse, au rythme varié, qui fait que chacune des neuf chansons se démarquent l’une de l’autre.
Et le son de Spirit Mother a tout pour plaire : rythmé et provocant sur « Emerald » et « Vessel », lourd et grondant sur « Veins », il sait se faire lent et voluptueux sur l’excellent « Below », menaçant et sinistre sur « Tonic » ou complètement fantomatique et hivernal sur « Given ». À ces ambiguïtés s’ajoute un charisme digne des icônes du Rock : le grain de voix d’Armand Lance est particulièrement envoûtant et son sex appeal se situe au delà de 9000.
Perspicace, le groupe sait également construire une setlist. Il sait comment faire monter progressivement l’engouement pour sa musique et atteint des sommets en clôture de son album : le single de l’album, « Wolves » se tient à l’affût pour vous convaincre définitivement de la beauté crépusculaire et grisante de « Trails ». Vous n’aurez jamais entendu quelque chose de plus absolu dans le rock cette année.
Disposant d’une palette sonore impressionnante et originale, ces neuf « Trails » ne figurent sur aucune carte connue du Rock. Ce qui est sûr c’est que cet album, lui, prend le chemin vers les sommets de 2024. C’est une invitation à sortir le whisky et les clopes, une déclaration d’amour au Rock dans tout ce qu’il a de plus moderne et psychédélique.
Last modified: 15 décembre 2024