Uncle Acid & The Deadbeats « Nell’Ora Blu »

Written by Chronique

Kevin Starrs nous avait pourtant prévenus. Lors de la sortie du live « Slaughter On First Avenue » l’année dernière, l’Oncle Acide laissait sous entendre que quelques chose de résolument différent se préparait en studio. À quel pan de la pop culture horrifique allait-il  désormais s’attaquer ? Aux ambiances poisseuses des péloches de cannibales ou autres zombies ? Aux récits slatterpunk et fantastiques de Clive Barker ? Sa propre version du mythe de Cthulhu ? Toutes ces suppositions, bien que plausibles, seraient sous-estimer le génie de l’audacieux leader.

Mettant à profit le confinement imposé pour produire une musique instrumentale, ce dernier se met à rédiger un récit, puis un scénario pour cristalliser le matériau brut qu’il avait à sa disposition. Uncle Acid nous propose donc à nouveau une séance de cinéma; Celui des Gialli et autres Poliziotteschi régnant sur les productions italiennes des années 70, où l’action et la violence animées par la vengeance, sont exacerbées et explicites. Les albums concept avec un thème central sont légions dans la discographie du groupe. Si de prime abord « Nell’Ora Blu » pourrait se lire comme la bande originale d’un film italien fictif, la minutie quasi maniaque et la passion pour ces sous-genres dont fait preuve Kevin Starrs, relève donc plus d’un hommage appuyé que du pastiche. A la manière d’un Tarantino, c’est un musicien, tout aussi crédible en réalisateur, qui compose ici une lettre d’amour à la musique et au cinéma de cette époque. A commencer par la pochette de l’album dont les aficionados du genre auront reconnu le tueur ganté au téléphone de « La Peur au Ventre » sorti en 1972.

Situé dans l’Italie des années 1970, « Nell’ Ora Blu » est un récit de vengeance classique dans lequel Giovanni Scarano, un fonctionnaire corrompu pille les caisses et met une ville et sa population à genoux. L’histoire détaille la chute de Scarano. « Ils (les habitants) engagent un voyou pour le faire », raconte Starrs. « Ils veulent en quelque sorte le torturer, pas vraiment lui faire mal physiquement, mais le torturer psychologiquement, à grand renfort d’appels téléphoniques, de harcèlement, de tout ce genre de choses, avant de l’attirer à la campagne et de l’achever. C’était un peu l’idée de gens qui, en dernier recours, pensent pouvoir s’en sortir, mais qui finissent par se faire rattraper ». Les séquences musicales plantant le décor sont donc entrecoupées de dialogues qui eux, développent l’intrigue.

Et qui de mieux que les acteurs emblématiques de cette époque pour enregistrer à travers le combiné ces conversations ? Starrs réussit le pari de réunir sur une même oeuvre Franco « Django » Nero, le français Luc Merenda mais surtout l’icône du Giallo et muse de Mario Bava, l’actrice franco-italienne Edwige Fenech. Leur contribution, l’emploi de l’italien ainsi que la diffusion de leurs messages vocaux façon lo-fi procurent authenticité et respectabilité à l’ouvrage. Bien sûr la barrière de la langue est réelle mais il s’agit essentiellement de s’imprégner d’une ambiance d’un film se déroulant virtuellement devant nous. L’accent est davantage mis sur l’imaginaire et la culture cinéphile que sur les subtilités de l’intrigue. La musique se confond naturellement avec cette dernière et l’auditeur est emporté par le sens de la dramaturgie de UA&TD.

Et là aussi, Starrs, en fin connaisseur, s’inspire des plus grands ténors des BO de l’époque: « Il Sole Sorge Sempre » rappelle le rock prog chargé de synthétiseurs du groupe Italien Goblin, tout comme « Vendetta (Tema) » qu’on jurerait sortie de Suspiria; la visqueuse et lugubre« Resti Umani » aurait pu être écrite par Riz Ortolani ou Fabio Frizzi; les voix cristallines et enfantines qui parsèment l’album évoquent la bande originale de « Chi L’ha Vista Morire ? » du grand Ennio Morricone. D’ailleurs c’est tout l’art du maître qui transpire dans les partitions plus aériennes et jazzy de cet album. Mais qu’on ne s’y méprenne pas, c’est bel et bien UA&TD que l’on retrouve magistralement dans ce « Nell’Ora Blu ». « Giustizia Di Strada – Lavora Fino Alla Morte », « La Vipera » ou « Solo la Morte to Ammanetta » nous ramène en terrain familier et « Pomeriggio di Novembre Nel Parco – Occhi che Osservano » est certainement l’un des plus beau morceau de la discographie d’UA&TD.

Oui, Uncle Acid le sait : vous n’écoutez pas du doom toute la journée. Il fait étalage ici de toute sa riche culture cinématographique pour proposer un inestimable voyage à travers le temps et votre imaginaire de cinéphile. Cet album est à l’image des films dont il s’inspire: L’intrigue importait peu, c’est une esthétique et une atmosphère qui prédominaient. Celles que tout passionné de genre recherche avant tout.

Last modified: 10 juillet 2024