Ce report aura été un véritable défi pour moi : celui de mettre en mots mais également en images quatre jours dans un des festivals les plus incroyables au monde. Le ROADBURN est réputé pour la qualité de ses shows, tant d’un point de vue son que lumière et ambiance, mais ce sont surtout les artistes qui ont fait de ce week-end à Tilburg une expérience à la fois éprouvante et merveilleuse, tant pour le corps que pour l’esprit. J’ai rencontré de nombreux problèmes personnels à mon retour en France, commencé un stage sur Paris, couvert le Hellfest, et connu plusieurs syndromes de la page blanche qui ont occasionné un retard énorme dans l’écriture de ce report (près de trois mois !). C’est pourquoi je me devais de synthétiser au mieux mes souvenirs – chose difficile à faire des mois plus tard – et produire des images les plus travaillées possible, tout en présentant quelques excuses à l’équipe du Roadburn qui a généreusement accepté notre participation à cette édition 2017. (ILLUSTRATIONS : Razort)
JOUR 1 : Destruction du corps
Nous arrivons sur les coups de 14h dans la petite ville de Tilburg, qui semble bien calme (du moins dans le quartier où nous nous garons). Bientôt nous découvrons le point central du festival : le 013 Poppodium, qui comporte la Mainstage et une plus petite salle nommée Green Room. Face à ce complexe, une ancienne chapelle reconvertie en salle de concert : Het Patronaat. Enfin, plusieurs bars et restaurants entourent le quartier et deux d’entres eux hébergent les dernières scènes de petite taille, Cul-de-Sac et Extase, devant laquelle nous arrivons en premier. Voilà pour la cartographie. Nous prenons nos repères, faisons un tour de quartier, puis nous dirigeons vers la Green Room pour notre premier concert de la journée.
Premier constat : beaucoup de monde (et visiblement, c’est comme ça depuis quelques années). Nous avons des difficultés pour entrer dans la fosse, alors un de mes amis me dirige vers un balcon. C’est ainsi que nous atterrissons devant ASH BORER, une formation américaine de black metal moderne, qui oscillerait entre Downfall of Gaia et The Great Old Ones dans un univers plus sombre et froid. Un magnifique backdrop est hissé en fond : ciel étoilé mystique, pyramides mésopotamiennes perdues dans un désert peu accueillant, et statue moitié-sphynx, moitié-minotaure. Le son est excellent et nous met en condition pour le reste de la journée.
Après cela, nous entrons dans l’ancienne demeure du Seigneur, Het Patronaat, pour le dernier titre de THOSE POOR BASTERDS. Du peu qu’on a pu voir, ça semblait être un délire très particulier à mi chemin entre Dead Man de Tim Burton et Lone Ranger de Gore Verbinski… Un duo guitare/batterie avec un Indien masqué et un dandy coiffé d’un haut de forme jouant une folk country à la fois macabre, joyeuse et dérangeante. Nous prenons le temps d’admirer quelques uns des vitraux de cette salle hors du commun avant de filer nous abriter à l’ombre de la Green Room, où nous nous apprêtons à voir une formation américaine qui commence à doucement faire parler d’elle… L’assommoir de la journée : UNEARTHLY TRANCE. Un set entamé dans la plus grande brutalité à la façon d’un High On Fire plus death metal encore, mais abordant des thèmes plus métaphysiques. L’éclairage reste rouge et bleu tout du long, créant un effet d’optique assez étourdissant, brûlant partiellement nos rétines et nos neurones. Les morceaux s’enchaînent sans merci, avec un son très bas du front, tantôt lent et sludge, tantôt rapide et heavy. On sent à chaque note le sol se soulever tant les basses sont fortes. Nous en sortons (étourdis) avant la fin, car nous ne voulons pas rater les loups…
La scène des WOLVES IN THE THRONE ROOM est prête lorsque nous arrivons. Cinq drapeaux sont hissés, et bientôt je fais le parallèle avec les cinq membres sur scène, dont un guitariste et une clavier supplémentaire. La basse est toujours absente et probablement samplée. « Vatness And Sorrow » ouvre le bal devant une foule très dense, suivi de « Queen of the Borrowed Light ». C’est à ce moment que je prends conscience du son extrêmement cristallin de la Mainstage. Les fumigènes alliés aux lumières donnent un brouillard fluorescent, envoûtant et mystique. Les animaux des drapeaux prennent vie telles des divinités majestueuses rapportées de leurs lointaines forêts américaines. Un véritable palais se dessine sous mes yeux durant « Prayer of Transformation »… Les loups se pavanent dans l’allée centrale et veillent sur les autres créatures de cet univers (héron, cerf, chouette, et castor) représentées à travers des vitraux. Un trône vacant au bout de cette allée semble réservé à Mère Nature. Elle fait aujourd’hui hurler ces loups à travers leur black metal massif, toujours extrêmement maîtrisé, et dont les mélodies séparent lentement nos esprits de nos corps. « I Will Lay My Bones Among » vient clôturer ce merveilleux chapitre de début de soirée, et nous sortons de ce palais la tête pleine d’étoiles, le cœur apaisé, l’esprit éveillé. Difficile de remettre les pieds sur terre après un tel voyage. Et ce n’est que le début.
Nous revenons pour COVEN, un des groupes les plus attendus du festival, ces derniers n’ayant pas joué depuis de très nombreuses années. Je ne sais que peu de choses sur eux, sinon qu’ils auraient influencé Black Sabbath, rien que ça. Pour moi, ça sonne surtout comme une sorte de Jefferson Airplane en plus machiavélique et étrange… La scène est bien investie, des images sont projetées à la gloire de Lucifer, mais je n’arrive pas à me mettre dans le bain de ce show presque trop… pompeux. Un groupe aussi ancien, avec un son aussi neuf, ça ne colle pas. Je décide de quitter la salle, pour passer devant le flot de vibrations émanant de la Green Room, et là, c’est le drame… Je me prends un véritable marteau piqueur dans la tronche. Que dis-je ? Une pluie de parpaings ! SUMA sonne pour moi aussi lourdement qu’un Conan qui aurait copulé avec Ufomammut (pour les passages contemplatifs) et Neurosis (pour le chant torturé et lointain). Le tout en plus pachydermique, froid, glauque. Le batteur tape comme s’il voulait détruire son matos, la basse écrase l’atmosphère, la guitare grésille et des sons étranges titillent nos cerveaux de façon subtile, balancés par un barbu dissimulé dans la pénombre… Le gros coup de coeur de la journée, bien que trop court, et surtout le gros coup dans la gueule et les tympans.
Après une telle claque, c’est tout déboussolé que je me place dans la file d’attente d’Het Patronaat pour voir un groupe encore une fois hors du commun : les polonais BATUSHKA et leur black metal liturgique fascinant. Nous assistons à une longue et lente intro instrumentale, puis le premier titre Litourgiya est lancé. Le son est excellent, carré, les choeurs ressortent incroyablement bien pour une fois (pas étonnant dans un tel lieu), mais nous sentons au fond de nous un petit picotement… Nous ne sommes pas à notre place. Après tout, nous sommes aux Pays-Bas, au Roadburn, un 20 avril (4/20), et un autre événement va bientôt commencer sur la Mainstage pour finir cette première journée en apothéose. Direction BONGZILLA.
Le temps de nous glisser dans la foule (moins compacte que ce que j’imaginais), nous avons loupé le début de l’album Gateway, que le groupe joue en intégralité ce soir. Mike Makela baragouine quelque chose dans le micro avant d’entamer le second titre, et pas le plus doux : « Stone A Pig ». Mur d’amplis, lumières vertes omniprésentes, du gras dans l’air, des silhouettes noyées dans les fumées, et surtout… du groove ! Le son est excellent, écrasant tout juste ce qu’il faut, et réveille efficacement l’assistance au même titre que les messages anti-marijuana diffusés ironiquement sur les écrans au fond de la scène (parfois hués ou accompagnés d’éclats de rires). La machine sludge américaine nous roule dessus, enchaînant une à une les tueries de leur album, de « 666lb. Bongsession » à « Hashdealer », en passant par les démentielles « Keefmaster » et « Gateway ». Bref, un défouloir et enfumoir sans nom pour bien finir la journée.
JOUR 2 : Destruction des émotions
Après une première journée intense de découverte des lieux, de marteaux piqueurs auditifs et autres fumoirs gigantesques dans la tronche, nous entamons ce deuxième jour qui sera loin d’être reposant ! Nous démarrons au Het Patronaat, qui accueille sous les lumières chaleureuses de ses vitraux un groupe de black metal au nom quant à lui glacial : SCHAMMASCH. Ces derniers jouent un set d’une durée étonnamment longue – leurs deux albums réunis sur un peu moins de deux heures – chose qui est visiblement monnaie courante au Roadburn. J’assiste à l’arrivée d’étranges personnages grimés, enveloppés de draps, et noyés dans une épaisse fumée et une lumière ambiante rouge. Ces derniers entament un rituel aux sonorités me rappelant beaucoup Behemoth ou Darkspace, pour les passages plus lents et mélodieux. Je decide ensuite de faire un tour devant la Mainstage pour voir MAGMA. Pour ma part, c’est un grand non. Je n’arrive définitivement pas à rentrer dans leur univers qui – je le reconnais – est pourtant original et surprenant. Peut-être qu’un jour…
Nous nous asseyons sur le parquet de la chapelle pendant que se préparent les islandais de ZHRINE. Ces derniers s’installent dans le plus sobre appareil (on croirait voir un groupe de jazz) et entament leur set au son d’une contrebasse jouée avec un archer. La guitare ne tarde pas à se rajouter, et lentement « Utopian Warfare » démarre, nous emportant vers des paysages immaculés et gelés. Et soudain, un fracas. Un bloc de marbre s’abattant sur nos crânes. Le death/black de ces génies de Reykjavik est incroyablement maîtrisé, puissant et mélodieux, sans parler de la voix caverneuse de leur chanteur Þorbjörn, qui remplit tel un écho la chapelle menaçant de s’effondrer… Un voyage qui aura cloué le bec à tout le public. Nous sortons de là avec des envies de voyage, de neige, et de paysages désolés. Après cette énorme baffe, je m’arrête un instant devant BIG BUSINESS et réussi à peine à apercevoir la scène, toujours à cause de l’affluence. Le son est excellent, les illustrations en fond toujours aussi belles et fascinantes, mais je n’arrive pas à en profiter pleinement. Même constat lorsque je tente d’aller voir JOY à Extase. Le petit couloir qui mène à la scène et au bar principal est bouché. J’entends au loin un rock assez psychédélique, relativement classique et « joyeux ». Or, je ne suis pas prêt à être heureux ce soir, car arrive l’un des groupes que j’attends le plus aujourd’hui…
Je me place en avance pour AMENRA, et je ne suis visiblement pas seul. On lit dans le regard des gens une certaine impatience. La guitare est la première à lancer l’intro de « Boden », seule, pendant que tout le monde se place. Colin débarque sur scène, boiteux et barbu, et finit par déverser sa rage en même temps que le reste du groupe sur ce titre explosif, auquel succéderont de nombreuses autres merveilles. Tout semble en adéquation : le son, la salle, le public, ces projections obscures que Colin fixe avec dévotion lorsqu’il ne ferme pas tout simplement les yeux pour voyager dans on ne sait quel coin torturé de sa mémoire. Alors que nous nous approchons de la fin du set, deux nouveaux membres entrent sur scène : John Dyer Baizley, guitariste de Baroness, mais aussi – oh surprise ! – un barbu bien reconnaissable qui se joint au chant pour « Nowena » : le grand Scott Kelly. Autre énorme surprise : « À Mon Âme », que j’entends pour la première fois sur scène et qui finit de m’achever. Je sors de l’immense complexe le cœur lacéré, pour une raison que j’ignore encore.
Vidé par cette catharsis, j’erre seul et me dirige instinctivement vers la Green Room pour une seconde baffe qui se résume en quatre lettres : GNOD. Comment vous décrire ça autrement que par « extinction de mes facultés mentales » ? Lumière rouge, stroboscope ultra puissant, son lourd fricotant avec l’indus produit par deux basses et deux guitares. Le tout martelant avec frénésie des messages subliminaux engagés, sur des rythmiques kraut rock ultra répétitives auxquelles s’ajoutent un clavier manipulé par un chanteur complètement possédé… Un mélange puissant, fou et hypnotisant. Je sors de la Green Room comme d’une salle de torture mentale. Qu’est-ce que c’était que cette expérience incroyable ?
Bien. Maintenant que le Roadburn a fait ce qu’il voulait de moi, que mes émotions ont été annihilées par Amenra et mon cerveau par Gnod, je suis en pilote automatique. Machinalement, je me poste dans la file d’attente du Het Patroonat pour LE concert électro du week-end : PERTURBATOR. James Kent débarque sur la minuscule scène de la chapelle et entame un show pour le moins exceptionnel devant une foule des plus compactes et impatientes. La température monte très vite, mais personne ne semble s’en soucier lorsque déboulent les premiers titres de The Uncanny Valley, mais également ceux des anciens albums, et la toute récente « Tactical Precision Disarray », au milieu de lumières blanches qui dessinent une chorégraphie fascinante de lasers à travers la salle. S’en suit un rappel sur le duo « Welcome Back » et « Perturbator’s Theme », avant de quitter sous les acclamations la petite chapelle, devenue demeure du Diable tant les basses semblaient l’invoquer. Et c’est dépossédé de moi-même que je quitte les lieux, pour aller trouver un semblant de repos avant d’entamer la seconde moitié du week-end.
JOUR 3 : Destruction du cerveau
Après une première journée difficile pour le corps, une seconde difficile pour les émotions, voici venir le troisième journée, qui sera difficile pour le cerveau, au sens physiologique du terme. Heureusement que l’on commence dans la douceur du drone étrange et reposant de THE BUG, rejoint par Dylan Carlson de EARTH pour faire vibrer la Mainstage au son chatoyant de sa Telecaster blindée de reverb et autres effets résonnants… Un spot éclaire seul la salle, et cherche tel l’oeil de Sauron à travers de la foule, comme pour trouver une âme à détruire, ou simplement l’élever vers les cieux. S’en suit un des meilleurs groupes de black metal de tous les temps et véritables ovnis de cette scène : les finlandais de ORANSSI PAZUZU. Découverts par hasard au Hellfest 2012, il me tardait de revivre cette expérience musicale qu’on pourrait résumer par une entrée dans un trou noir sous LSD. Un nouveau titre en guise d’introduction nous plonge loin dans notre inconscient, puis l’arrivée de titres massifs issus de leurs derniers méfaits Valonielu et Värähtelijä nous font traverser la galaxie durant un temps incertain, toujours avec cette propreté sonore conférée par le lieu. Rickenbacker, Telecaster, et clavier perchés haut dans la stratosphère nous mènent dans les limbes de cette entité glaciale de black metal croisé avec des éléments jazz et rock prog, emprunté de paganisme nordique, forces mystérieuses spatiales, et on-ne-sait quoi d’autre de totalement surréaliste. J’erre comme un neutron perdu dans l’immensité de l’univers. Une âme perdue au milieu de cette ville, et ce moment unique qu’est le Roadburn Festival.
Parmi les découvertes que je ferai sur ma route : WOLVENNEST, une formation belge au son très lourd, pachydermique et psychédélique, mené par le chant mystique d’une claviériste qui m’apparaît comme une prêtresse démoniaque noyée dans les grises fumées d’une messe noire. Je pars errer errer du côté de la Green Room pour la fessée monolithique de SLOMATICS, de grands amis de Conan qui accueilleront d’ailleurs Jon Davis au chant sur la fin d’un show inondés d’images plus tordues et éclatantes les unes que les autres. Nous nous glissons ensuite dans la Green Room pour assister à un de ces shows « full album » devenus spécialité du festival, avec l’incroyable premier album The Call of the Wretched Sea des allemands AHAB… et ça ramène du monde ! Un peu trop d’ailleurs, car je suis obligé de m’éclipser au beau milieu de concert, à deux doigts du malaise, pour aller reprendre de l’air dans le couloir. Le son doom funéraire du quatuor nous écrase et nous noie de ses tentacules sonores gluantes. La pochette en fond de scène semble s’animer lentement, et la baleine blanche menace de nous tomber dessus. Heureusement pour nous, le capitaine Ahab nous protège, et nous sortons de là indemnes, mais mourants de chaud. Petite pause avant d’aller explorer un des univers sonores les plus complexes et transcendants avec les incroyables ALUK TODOLO. Le trio français joue également un album en intégralité ce soir : leur dernière offrande Voix, composée de titres aux chiffres mystérieux, rappelant des versets d’une Bible réécrite à coups de riffs rock progressif dissonants et hypnotisants, teintés d’un black metal juste… étrange. Je traverse durant une heure des siècles d’Histoire, de la formation de notre planète jusqu’à l’apparition de l’Homme, cet animal qui se dote bientôt d’un esprit, d’un langage écrit et oral… Chose ironique quand on sait que le groupe n’est qu’instrumental ! Visuellement, c’est une expérience envoûtante éclairée à la seule lueur d’une grosse lampe pendue au milieu de la scène, créant des jeux d’ombres dans toute la pièce, et lorsque les fumigènes s’en mêlent, nous sommes emmenés vers un niveau supérieur de conscience… chose réussie, à en juger le nombre de gens hurlant et dansant étrangement vers la fin de ce concert mémorable.
Mon cerveau en ébullition n’est pas prêt à être détruit par ce qui va suivre… Un moment historique dans l’histoire du black metal : le retour du trio norvégien MYSTICUM, les créateurs du black indus, et accessoirement la formation la plus diabolique de toute cette scène, bien loin devant ces guignols de Watain ou de Mayhem. Ici, toute la noirceur du seigneur des Enfers se concentre dans un spectacle hors du commun, devant une assemblée de fidèles ou curieux perdus dans une petite fosse vidée de moitié (il est probable que la plupart du public soit devant CARPENTER BRUT juste à côté). Juchés sur trois colonnes de deux mètres de haut, les trois guitaristes psychopathes déferlent accompagnés d’une boîte à rythme les ayant rendus célèbres, tant celle-ci est mécaniquement froide. Le char d’assaut écrase les misérables mortels que nous sommes avec une armada de stroboscopes, images subliminales pixellisées et satanistes diffusées via une multitudes d’écrans, et de spots aux lumières blanches intenses. Le festival a d’ailleurs prévenu les personnes épileptiques que le show du groupe pouvait occasionner de violentes crises.
« Planet Satan » et « In The Streams Of Inferno » sont mises en avant à travers le son glacial et ultra saturé de cette entité faisant l’éloge des drogues dures, du meurtre, de la guerre, de l’ère industrielle, de Satan… « Black Magic Mushroom » nous fait entrer dans une crise de folie totale, le public pète littéralement un plomb, jetant tout ce qu’il a dans les mains et se jetant sur son voisin, hurlant, se roulant par terre et se déshabillant même… Le chaos. Satan a gagné. L’Humain n’est plus. La bestialité a ressurgi, et avec elle nos pulsions de destruction. Nous sommes morts. Tous. Totalement. Morts. Il était temps. Fin de journée. Fin de tout. Je vais me coucher.
JOUR 4 : La Rémission
Le soleil brille en ce dernier jour de festival. La soirée d’hier aura plongé le monde dans les ténèbres, et les groupes d’aujourd’hui vont nous baigner de leur divine lumière. C’est le calme après la tempête. Et ça fait un bien fou… même si nous commençons la journée par deux groupes qui ont décidé de faire souffrir nos cerveaux avec des sonorités biscornues : TEMPLE OF BBV – collaboration entre les musiciens de GNOD et RADAR MEN FROM THE MOON, autant vous dire qu’il y a du monde et du matos sur scène – nous inflige une trépanation avec leur son expérimental et leur jeu de lumières vertes fluorescentes. AUTHOR & PUNISHER, un fou furieux derrière une multitude de machines activées par leviers, boutons, tuyaux, et pédales d’effets étranges, nous écrase quant à lui avec une chape de plomb sonore grésillante. Mais ma tête endolorie ne supporte pas plus longtemps ces folies indus et noise, bien que très intéressantes et plaisantes.
Heureusement, nos sauveurs arrivent : PALLBEARER. Une des plus grosses attentes du week-end et de cette dernière journée. Les quatre Américains lancent dans la plus grande simplicité leur doom poétique et mélodieux. Nous prenons conscience de la grande maîtrise de leur univers musical lorsque le chant exquis s’ajoute à la lourdeur des instruments dans la plus parfaite harmonie. La scène est immergée dans des fumées colorées roses, violettes, bleues, rouges, vertes qui confèrent à ce show plutôt banal un caractère très apaisant, pour les oreilles comme pour les yeux (surtout après la rude expérience de Mysticum hier).
Après cela, je tente une percée dans la file d’attente pour SUMAC, mais n’étant toujours pas à l’intérieur lorsque la fin du concert approche, je décide d’aller attendre devant la Mainstage un autre groupe d’une douceur exquise : nos lyonnais de LES DISCRETS. Peut-être est-ce dû à une attente de plusieurs années, mais malheureusement pour moi c’est une terrible déception. Beaucoup de nouveaux titres de l’album Prédateurs, et pas les plus pertinents. Bien que j’apprécie le tournant musical entamé par Fursy et sa bande, je trouve que ça ne passe pas si bien que ça en live… Un virage électro pop expérimental un brin soporifique, qui ne m’avait pas déplu sur album il y a quelques mois. La fin de set est composée quant à elle d’anciens titres tels que « L’Échappée », « Les Feuilles de l’Olivier » ou « Chanson d’Automne », mais le chant est tout simplement trop faux (et ça me brise le cœur d’écrire cela, aimant terriblement le groupe depuis leurs débuts). Je pars déprimer dans un coin de Green Room et assiste au début de concert de VALBORG, une étrange formation allemande mélangeant influences doom, death, black, indus, au chant très particulier, lourd et glacial à la fois. Je quitte la salle pour assister au début de concert des très attendus ULVER. Les norvégiens, connus eux aussi pour avoir emprunté divers virages musicaux au cours de leur carrière (black metal, folk, électro, post rock) nous présentent aujourd’hui leur nouvel album The Assassination Of Julius Caesar. L’heure est donc à la découverte, je m’assoie seul dans les gradins, et admire un spectacle de lasers fascinant, dessinant les thèmes abordés sur ces nouveaux morceaux : la Rome Antique, la chute de l’Empire, la mort…
Je déguste une bière Mysticum pour la première fois à Cul-de-Sac, un minuscule bar qui accueille des concerts durant le festival, et où les islandais de MISþYRMING se sont produit hier pour un show spécial annoncé au dernier moment. Encore une spécialité du Roadburn, ce genre de surprise. Je reste le temps de voir STONE IN EGYPT, un groupe de stoner rock très classique et assez répétitif, mais qui ramène un public de fidèles qui remplit rapidement l’établissement. J’atterris un temps devant HYPNOPAZUZU, qui… je… Non, vraiment, je n’y comprends rien, c’est encore plus étrange de Magma, et trop jazzy. Je finis par fuir ces sonorités trop étranges. Ma fin de soirée et de festival se passera finalement sur la douce moquette du balcon d’Het Patronaat, pour la moins douce musique de COME TO GRIEF (visiblement formé par d’anciens membres de Grief) qui fait trembler les poutres en bois de toute la chapelle avec un sludge bas du front. De quoi se mettre en appétit pour le dernier concert de cette édition 2017 du Roadburn : les américains d’INTER ARMA. Puisant ses influences dans tous les styles de metal extrêmes, la formation – qui a gagné en reconnaissance depuis leur dernier album Paradise Gallows – est venue marteler la tête de ce qu’il reste de vaillants festivaliers visiblement tous très fatigués et de moins en moins nombreux (comparé à vendredi). L’éclairage multicolore de la petite chapelle est tout à fait dans l’esprit des thèmes abordés par le groupe, mais je regrette cependant la fainéantise de l’ingé lumière, qui n’a pas envoyé un seul stroboscope ni même bougé un seul spot, ce qui rend au final le tout très statique. Musicalement, rien à redire : Inter Arma écrase tout sur son passage, le chant death est bluffant, les mélodies de guitares rentrent peu à peu dans notre cerveau pour pondre un peu de douceur dans cette tempête de violence, et nous quittons finalement les lieux inspirés, apaisés, et comblés.
En conclusion, je dirai la chose suivante : lorsque vous allez au Roadburn, laissez votre libre arbitre de côté. Nous n’êtes plus qu’une âme errante destinée à souffrir physiquement, mentalement, émotionnellement. Le Roadburn est une entité mystérieuse qui va faire de vous un simple pion quatre jours durant, vous manipuler pour faire des expériences sur vous par le biais de groupes tous plus incroyables les uns que les autres, le tout dans une ambiance particulière et des lieux étonnants fréquentés par un public connaisseur. Les points forts sont évidemment le son, les lumières, cette chapelle et cette communauté qui envahit durant une semaine une ville charmante et très calme. Un seul point faible : l’attente devant les salles qu’on ne pourra cependant pas réellement critiquer, car elle est le signe du succès indéniable de ce festival unique au monde.
Last modified: 27 février 2018