J’ai toujours apprécié le stoner rock de LOS DISIDENTES DEL SUCIO MOTEL, autant que leur bonne dose d’humour. Mais pour leur troisième effort Human Collapse (un concept album de surcroit), fini la déconne. J’ai lu par ci par là, « un LDDSM 2.0, plus vraiment stoner« … Seul subsiste le désert. Pas le désert grindhouse dopé au mezcal et à la téquila de leurs débuts, mais bel et bien un désert de cendres et de poussières balayées par le souffle chaud de la déperdition. Plus aucune lumière, pas une once d’espoir, un disque sombre, froid, nihiliste à souhait. Ce disque tue tout dessein, toute perspective. La fin de l’humanité.
12/02 – 7PM – Choice
Dès l’intro, avec cette voix faisant le lien avec le précédent album, le vent évoquant le néant, la guitare qui pleure, le château de carte qui s’écroule, la machine médiatique qui s’emballe… Rien ne sera plus comme avant.
08/24 – Decision
L’urgence de l’action. Un riff ingénieux. Vite agir. Un choix douloureux, le tiraillement de quitter ce que l’on connaît pour des jours que l’on espère meilleurs. Un plongeon dans un maelström de guitares qui nous rassure : LDDSM fait du LDDSM, as loud as you can, please.
08/26 – Departure
Il fait froid. Le synthé devient le véhicule vers un lendemain incertain. La guitare tousse. Ce n’est pas un départ. C’est un déchirement; un exil.
08/27 – Trip
Le tempo s’accélère, on décolle, le chant aérien survole le tableau d’un monde en lambeaux déchiqueté par la folie de l’homme. Le refrain. Comment peut on faire un single rempli d’autant de pessimisme ? C’est d’une tristesse magnifique. Et pourtant je le fredonne, je le siffle. Beaucoup se sont cassés les dents sur des concept albums, car hermétiques et inaccessibles. Là ce n’est pas le cas, première pépite. On pense spontanément à ceux qui ont réussi : The Who avec Tommy et Pink Floyd avec The Wall. Départ, Voyage, Frontière, des dates sur la pochette… LDDSM veulent nous dire quelque chose. Le concept prend forme.
09/03 – Border
La menace, l’ombre. Une sirène. S’élève un mur de guitares menaçant et infranchissable. Que dis-je, une vague ravageant tout sur son passage. L’auditeur vient buter, s’écraser sur ce rempart et perdre toute lueur d’espoir née éventuellement du périple. Les Alsaciens invoquent en seconde partie de titre Carpenter et ses thèmes glauques et oppressants. Puis, du noir et du néant, la guitare renaît, se fraye un chemin vers la lumière au bout d’un minuscule tunnel dans ce mur, cette « frontière ».
09/08 – Community
On flotte dans une mélopée rassurante, le liquide amniotique réconfortant. Sommes-nous au bout du chemin ? Sommes nous de « l’autre côté » du mur ? Le ventre mou de l’album. Je n’adhère pas à la douceur un peu pompier de ce titre. Avec le recul, je pense que c’est fait exprès. Exprès d’être mielleux. Parce que dans leur histoire, c’est une façade. Un réconfort virtuel masquant une triste réalité.
09/19 – Downfall
La chute. Tout craque. L’urgence est à nouveau perceptible. Pas de rédemption, ni pour le héros de ce voyage ni pour l’auditeur.
10/21 – Rebirth
Sur une inspiration pinkfloydienne totalement assumée (et revendiquée ?) vient se greffer un rock à la construction plus grohlienne. D’une ballade d’apparence innocente, on termine sur une polyphonie, un canon du plus bel effet, redonnant toute la sève à un voyageur mal en point.
12/01 – Determination
Une guitare saturée. Des fûts qui claquent. Des lustres que je n’avais pas entendu une telle intro. Un poing dans ta gueule revigorant. Détermination donc. N’importe quel sportif avant une compétition devrait écouter ce titre : je vous assure que les muscles se tendent et le point se lève, rageur. LDDSM sont des bardes de l’apocalypse. Avec ce titre, on les embauche direct pour remplacer le guitariste lance flamme de « Mad Max Fury Road ». Les strasbourgeois soulèvent une armée de chiens fous prêts à en découdre, et réinventent la cornemuse comme arme de guerre tribale et guerrière. Avec ce titre, ils viennent d’inventer le Haka 2.0. Des prophètes de la rage. Ah non, on me fait signe que c’est déjà pris.
12/02 – Arrival
Le titre fait écho au premier, à l’introduction. Un peu téléphoné, mais la boucle se boucle, comme une évidence, un éternel recommencement. Sans but. L’impasse. Coincé dans le néant. La fin de l’humanité…
Que de chemin parcouru depuis Room 159 et Soundtrack For A Motion Picture. Tout est beaucoup plus fluide. La construction des titres est mûrie, les structures s’imposent d’elles mêmes et jalonnent avec une déconcertante facilité le récit de ce concept-album. Même sans les paroles (qui manquent cruellement au livret), on ressent un pessimisme ambiant, l’histoire d’un voyage douloureux. Forcément un exil. Avec le recul, on ose deviner…
Cet album est important, car en rupture avec les précédents. On a l’habitude de dire que c’est « l’album de la maturité ». Pour moi, cette maturité serait parce qu’ils ont su, avec justesse, parler d’autre chose que boire du whisky et invoquer le démon. Ce disque, à mon sens, a une conscience politique. Au delà de la dystopie, de l’évocation d’un imaginaire post-apocalyptique, LDDSM décrit l’exode de ces millions de gens déracinés qui se jettent à la mer pour atteindre une tour de Babel qui n’en est pas une. Un eldorado qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Une Europe (ou Occident) dont les choix de repli mênent à des catastrophes directes (les naufragés) et indirectes (les attentats). Une exode d’un pays en guerre vers un continent qui n’a rien de mieux à offrir. Est ce que la « Determination » est suffisante pour faire changer le monde ?
Bon ok, je fabule peut-être. Je suis allé trop loin. Et puis je vois la couverture intérieure de l’album : un rideau de fer. Celui-là même que l’on construit à nos frontières.
Bravo. J’avais peur. C’est complexe, c’est casse-gueule un concept album. J’ai voyagé. J’ai entendu une histoire. Peut-être celle que j’avais envie d’entendre. Et alors ? Le résultat est là. J’ai pris mon pied à imaginer que cet album est une ré-interprétation des Fils de l’Homme d’Alfonso Cuaron, selon moi l’une des meilleures dystopies de ces dix dernières années. Pour le voyage musical et la prise de risque, cet album est à écouter d’urgence. Une des meilleures productions de 2016, tous genres confondus.
ARTISTE : Los Disidentes Del Sucio Motel
ALBUM : « Human Collapse »
DATE DE SORTIE : 9 septembre 2016
LABEL : Ripple Music
GENRE : Heavy rock / sludge / post-metal
PLUS D’INFOS : Facebook / Bandcamp / Label
Last modified: 23 novembre 2016