Conan, voyage au bout du larsen. Voir un groupe aussi puissant que CONAN dans une ville comme Bordeaux relevait presque de la science-fiction pour moi… Et pourtant, c’est dans la surprise la plus totale que le pavé britannique est tombé dans la mare girondine, plus précisément dans notre cher et tant aimé Void (ex-Heretic Club). Une semaine à peine pour se remettre de cette annonce, et nous étions déjà au jour J.
L’ouverture des portes se fait toujours aussi tardive, mais c’est presque devenu un rituel désormais, ce qui nous permet d’aller boire quelques Goudale dégotées dans l’épicerie d’en face en patientant. Ce soir, c’est ENDLESS FLOODS qui entame les hostilités, branchés sur le matos des Anglais. Colonnes imposantes d’amplis Sunn, Ampeg et Marshall, basse Rickenbacker, et distorsion sale à souhait : une mise en bouche aussi efficace que grasse ! Peu de place est laissée au chant (hurlé dans la masse épaisse que forme leur musique), les parties lentes et mélodieuses, d’une belle simplicité, succèdent très bien aux lourds passages doom/sludge du trio bordelais (je reconnais de loin un des tôliers du Void derrière les fûts). Beaucoup de vibrations dans l’air, et nous ne sommes qu’au fond de la salle. Il règne déjà une humidité et une chaleur étouffantes, mais à peine commençons nous à nous y habituer que le set se finit, après ce qui m’a semblé être une courte demi heure. L’averse a temporairement pris fin, alors nous préparons doucement nos tympans pour la suite du déluge…
Inconscience ? Masochisme ? Impatience ? Peut-être y a-t-il un peu de tout ça à la fois dans le fait de se placer tout devant pour profiter (enfin) d’un show longue durée de CONAN, dans une salle confinée et qui commence déjà à s’enfumer. Le lineup a un peu changé depuis la dernière fois que je les ai vu (Hellfest 2014) : une bassiste – celle de Samothrace – est présente pour un remplacement sur la mini tournée estivale. Le matériel, lui, est le même : j’aperçois les têtes d’ampli Green s’illuminant faiblement dans l’éclairage rouge ambiant. Jon Davis entre, tout chevelu et barbu, sans casquette ni pull à capuche (ça se comprend vu l’affolement du thermomètre). Deux grosses caisses sur la batterie… c’est rare de voir ça au Void. J’ai l’intime conviction que ça va faire mal…
Et c’est ainsi que le trio anglais nous assène sans prévenir « Throne Of Fire », issu de leur dernier opus Revengeance. La suite de la setlist est un savant mélange de titres des deux précédents albums, entrecoupés de morceaux du tout dernier, et l’effet est très réussi ! La guitare domine beaucoup sur la basse, si bien qu’on ne discerne pas toujours les notes de l’ensemble, mais cette oeuvre barbare et sonore prend peu à peu forme dans nos têtes, comme si elle macérait doucement et naissait à l’aide des fumées et de la sueur qui envahissent complètement la fosse dès le second titre… Sonorement parlant, c’est un chaos informe dans lequel il faut lutter pour rester entier. Il est conseillé de connaître un minimum les morceaux pour pouvoir s’adapter au rythme lent et décousu de leurs compositions de génie (ce qui n’est pas le cas pour quelques collègues un peu ivres venus ce soir). Nous baignons dans ces dernières comme dans un lac de fumées qui se collent à notre peau, et avec lesquelles on pourrait presque se laver, ou se faire baptiser par un prêtre de la Sainte Chapelle du Doom.
La fosse est bien réveillée, et nombreux sont ceux qui semblent connaître les morceaux. « Gravity Chasm », « Hawk As Weapon », « Battle In the Swamp », le très attendu « Foehammer » qui déchaîne tout le monde, et quelques autres perles de Revengeance animent durant plus d’une heure le set, tel le monolithe « Earthenguard » qui nous mène à 20 000 lieues sous les riffs. D’énormes larsens servent de « transitions » entre chaque nouveau chapitre, ruinant un peu plus ce qu’il nous reste d’audition… excepté avant le dernier titre. Un silence pesant, quelques mots de remerciement partagés d’une voix timide par Jon, et « Total Conquest » déboule pour achever en beauté cette soirée. On en ressort avec la tête qui tourne, comme si la musique rocailleuse de Conan venait de pilonner notre oreille interne à la façon d’un concert de drone. Nous nous extirpons vers l’air frais de l’extérieur, complètement sonnés, fuyant cette brume chaude comme si nous quittions… un champ de bataille dans un marais.
Last modified: 22 août 2016