Jeudi 16 janvier 2025. Le monde du cinéma pleure la disparition de l’un de ses génies. David Lynch s’en est allé, nous laissant naviguer seuls, entre rêves et réalité, dans un océan de question métaphysiques. Alors si on se retrouve ce jeudi soir ce n’est peut être pas pour rendre hommage au réalisateur esthète mais bien à une certaine idée du Cinéma. Celui, d’un autre âge, populaire, iconique et graphique… celui que chérit Quentin Tarantino. Ce n’est donc pas un hasard si nous nous installons dans les sièges rouges et feutrés du théâtre de l’Alhambra pour ce qui est la première d’une série de concerts exceptionnels d’Uncle Acid & The Deadbeats interprétant son dernier album dans son intégralité. Récit d’une vengeance et de complots meurtriers, « Nell’Ora Blu » porte sur lui les empreintes sanglantes du cinéma italien, le giallo et autres poliziotteschi. Kevin Starrs nous propose ainsi sa propre séance de cinéma en immergeant le public dans un autre espace-temps. (PHOTOS : Sylvain Golvet)
Les fauteuils rouges sang sont vite occupés et les questions fusent sur fond de BO d’Ennio Morricone ou Riz Ortolani. Vont ils jouer l’album dans son intégralité ? Aurons-nous droit à la projection d’un film réalisé pour l’occasion ? Y’aura t’il du popcorn au bar ? Personnellement, je m’interroge sur la capacité du groupe à retranscrire l’entièreté de l’album, en ce compris toutes ses sonorités et ambiances. Les téléphones à cadran, les liseuses et autre mannequin disposés sur scène laissent planer le doute sur l’expérience qui sera vécue.
20 heures, les lumières se baissent pour laisser place aux célèbres messages des drive-in américains. Les vieilles bandes annonces de films grindhouse s’enchaînent de façon chaotique, entrecoupées par des messages archaïques invitant à apprécier burgers, hotdogs et cigarettes au stand. Plus immersif tu meurs. Il ne manque vraiment plus que l’odeur du beurre chaud des popcorns devant les trailers abîmés de Les Frissons de l’Angoisse (Argento), Six Femmes pour l’Assassin (Bava), mais aussi Driller Killer (Ferrara), Terreur dans le Shanghai Express (avec Christopher Lee et Peter Cushing) ou I Drink your Blood (inspiré de Charles Manson)… On s’amuse à reconnaître ces pépites aussi cultes que déraisonnablement kitsch. Les sifflements remplacent les rires lorsque, la demie heure passée, le tout se répète dans un agacement général. Répétition volontaire pour imiter les moyens limités de l’époque ou carence réelle ? L’entracte arrivera à point nommé…
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Place désormais à la musique lorsque le quatuor (accompagné pour l’occasion de deux claviéristes/multi-instrumentalistes) investit la scène. Premier constat : le son est absolument parfait et toutes les subtilités se font entendre, des dialogues téléphoniques samplés aux nappes de synthés vintage en passant par l’incroyable voix de falsetto de Kevin Starrs, reproduisant les choeurs de la seconde partie de « Pomeriggio di Novembre Nel Parco – Occhi che Osservano » qu’on aurait juré être une chorale d’enfants sur disque. Son chant aigu mais jamais irritant trouve sa place dans les échappées prog inspirées par Goblin, lugubres et dissonantes. Mes doutes initiaux se dissipent à l’écoute des parties plus douces et oniriques, surfant sur les veloutés de claviers de « Il Tesoro di Sardegna » ou encore de la chanson titre. L’ambiance jazzy et ouatée atteint son apothéose lorsque le saxophone puissant et langoureux de Rachel Burnett fend l’atmosphère.
Quelques différences subtiles entre disque et live se font entendre notamment sur les parties de guitares sèches de Starrs bien plus appuyées et organiques. Il est vrai que ces ambiances variées et successions de titres courts obligent à l’alternance d’instruments voire à des pauses entre morceaux qui nuisent à la fluidité de l’ensemble. Les messages vocaux enregistrés développent l’intrigue et abondent dans l’atmosphère de cette Italie des années 70 dans laquelle nous sommes plongés. Visuellement, nous avons droit à un mix d’extraits de la filmographie de Franco Nero, Edwige Fenech ou Luc Merenda (ceux qui ont prêté leurs voix) qui, une fois assemblés, tentent de donner l’illusion d’un film inédit. Exercice herculéen mais qui trouve sa limite dans la synchronisation, surtout avec les enregistrements et la musique jouée. Sur scène, maladroitement, Kevins Starrs répond au téléphone et tranche la gorge du mannequin tel un slasher tapi dans l’ombre. Balbutiement d’une première de tournée ou manque de moyens évidents, le résultat mériterait tout de même un tantinet de plus de préparation.
Les applaudissements discrets du début laissent place à l’acclamation en fin de séance. Lorsque l’on tend l’oreille, le public est partagé entre la difficulté d’exprimer ce qu’il vient de vivre et les passionnés qui ont le sentiment d’avoir goûté à une séquence unique à la beauté formelle, jamais plus reproduite. Nell’Ora Blu, nan mais pronto quoi !
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Last modified: 20 janvier 2025