Sun and Sail Club, ça vous parle ? Non ? C’est normal. Pour beaucoup, c’est un obscur side projet auquel on ne comprend pas grand chose. Pour d’autres, c’est surtout l’occasion de parler de son line-up digne d’un supergroupe 100% stoner. Mais pour quelques tarés dont je fais partie, Sun and Sail Club a atteint, dès son premier album, un statut culte. Et voilà que nos navigateurs des vagues du désert californien sont de retour avec “Shipwrecked”, l’occasion de revenir sur cette étrange et élégante monstruosité qu’est S&SC et de juger ce nouveau cru.
Laissez moi vous conter une histoire merveilleuse. C’est celle d’un guitariste qui se retrouve à jouer dans un groupe légendaire mais qui, parfois, se dit qu’il aimerait bien pouvoir utiliser les riffs complètement barrés qu’il écrit sur son temps libre bien loin du stoner de Fu Manchu. Il parle de son envie à son ami batteur Scott Reeder et tous deux commencent à travailler sur des compos par mails interposés. Et puis tant qu’à faire autant demander à l’autre Scott Reeder de jouer de la basse. Après tout, c’est l’occasion de valider une des plus vieilles vannes du monde du stoner. “C’est Scott Reeder et Scott Reeder qui entrent dans un bar et y’en a un qui est pieds nus”.
Ainsi, en 2013 sortait le plus ovni des ovnis du paysage stoner rock : “Mannequin” par Sun and Sail Club. Imaginez des interludes de guitare jazz presque manouche, entourant des riffs incongrus avec une prod mettant la guitare rythmique en avant comme jamais et pour couronner le tout … un vocoder en guise de chanteur. Et vous voilà face à un mélange de Kraftwerk, NoMeansNo et Slayer. Cet album n’avait aucun sens, c’était une anomalie, une énigme. Et moi, un peu par amour de l’exotisme, beaucoup par mon attrait pour ces riffs si incisifs et surprenants, je suis tombé raide dingue de cet album. Je pense franchement que peu d’être humains ont autant poncé ce disque d’avant garde, plein de défauts évidents mais au charme si spécifique qu’il me foudroie à chaque écoute.
Contre toute attente et alors que le groupe s’était mis en pause, une reformation est proposée avec les trois musiciens et Tony, chanteur des Adolescents derrière le micro. Oui mais voilà, “The Great White Dope” m’avait un peu déçu. Excellent album de punk hardcore, je n’y avais pas vraiment retrouvé la folie (et même bien au dela du vocoder) du premier opus. Comme si c’était un tout autre groupe.
En cette année 2024, et alors que Bob Balch est déjà actif dans la moitié des groupes de l’univers, jamais je n’aurais imaginé voir un nouvel album de Sun & Sail Club débarquer avec ce même line-up. Quand j’ai pu jeter mes oreilles sur le premier single, puis l’album entier, j’ai enfin eu l’impression que la boucle était bouclée. Une petite intro de guitare jazz manouche “Just Friends” fait le lien tant désiré avec le premier album. Ambiance qu’on retrouvera en fermeture sur “Days of Wine and Roses”. Pourtant, il s’agit bien, ici aussi, d’un album speed, et punk hardcore dans l’âme.
Ainsi “Halcyon“ est l’un des brûlots speed punk au solo complètement barré et salvateur qui peuplent l’album, comme l’est aussi “Bird Strike”. “Torture Garden” ou “The Color of War”” proposent une version plus mid tempo de cet hommage punk hardcore, presque Black Flag époque Rollins. “Tumble” propose un riff quasi prog (et le retour d’un synthé en clin d’oeil), des dissonances qui renouent donc avec le projet originel et c’est, sans surprise, l’un de mes coups de coeur de l’album avec, là encore, un régal de solo, légèrement sous mixé et noyé dans une reverb pour encore plus de saveur. Un sentiment de satisfaction totale m’envahit avec les ultra nerveux et expéditifs “Vector” et “District 19”.
Parlons aussi de “Drag The River”, le titre Melvinesque sludgy, rappelant “Like a Bomb” ou “Simple Exploding Man” de Mondo Generator, jusque dans les lignes vocales. Une lourdeur que l’on aurait pas soupçonnée chez Sun and Sail Club mais qui fonctionne à la perfection. Vous pensez qu’on a fait le tour? Et si je vous disais que le groupe se permet une intro quasi surf rock digne d’un Tarantino sur “Taste Like Blood”. Jusqu’à la fin, l’album est un régal de dissonances, de riffs ravageurs, de leads guitares barrées et d’une touche de jazz. Un délice vous dis-je.
Synthèse parfaite des deux premiers albums, “Shipwrecked“ passera probablement inaperçu pour beaucoup mais c’est déjà, me concernant, une des plus belles surprises de l’année. Et si, dans mon coeur, il ne détrônera jamais “Mannequin”, la faute à ce coup de foudre déraisonné, force est de constater que cet album a su éviter tous les écueils pour nous proposer une claque colossale. Une ode à un punk désinhibé, noisy et cinglé, une œuvre totale d’un groupe qui apparaît enfin comme tel et non plus comme une simple expérience sonore sans queue ni tête.
Il faudra probablement attendre à nouveau des années avant d’entendre à nouveau parler de Sun and Sail Club mais même si cela devait être leur dernière offrande, elle viendrait clore de parfaite manière cette histoire loufoque. Et s’ils reviennent aux affaires, je serai là, à l’affût, prêt à bondir sur leur prochaine sortie, soyez en certains !
Last modified: 4 décembre 2024