Lowrider et Elephant Tree triomphent avec leur split « The Long Forever ».

Written by Chronique

Elephant Tree. Lowrider. Une telle rencontre sur disque relève de l’astrophysique. Du domaine du macro, de l’infiniment grand. À l’échelle humaine, un tel phénomène se produit aussi souvent qu’une super lune bleue (on parle de cette collab depuis 2021) mais en terme d’intensité on atteint l’équivalent d’une supernova. Pour paraphraser Crowbar, imaginez donc l’effet de deux planètes stoner qui s’entrechoquent.

Pourtant cette collaboration aurait pu ne jamais voir le jour. Début 2023, Jack Townley est plongé dans un coma pendant plusieurs semaines à la suite d’un accident qui aurait pu lui coûter la vie. « The Long Forever » est le surnom que le chanteur guitariste d’Elephant Tree a donné à cette léthargie interminable, entre altération de la conscience et insensibilité totale. On imagine aisément l’expérience traumatisante. À la fois cathartique et source d’inspiration, le récit de celle-ci devient finalement le centre de gravité de cette complicité. Même si les deux groupes évoluent au sein d’une scène stoner « étendue », Elephant Tree et Lowrider n’ont pas la même approche artistique. Pourtant ils feront de ce trauma un réel trait d’union qui donnera bien du sens à ce split qui, pour une fois, ne se résume pas à l’assemblage mercantile de deux EP pour vendre du disque.

Commençons pour une fois par la face B, celle occupée par Elephant Tree. Les londoniens explorent toujours un peu plus loin leur « doomgaze » entre doom psychédélique et shoegaze irradiant. Pourtant l’ensemble parait lointain, étouffé et anesthésié. On serait presque tenté de vérifier les réglages de l’installation stéréo tant la production sonne lo-fi. Des quasi dix minutes de doom sourd de « Fucked in the Head », coincé dans les limbes, émerge une atmosphère sépulcrale et nauséeuse à laquelle Elephant Tree nous a peu habitués, encore moins depuis le solaire « Habits ». La cadence s’accélère quelque peu sur le titre suivant, « 4 for 2 », quoique toujours aussi indistinct. Mais le groupe sort de sa torpeur et l’ambiance se veut presque bienveillante au regard de la pièce précédente. C’est finalement sur le dernier titre « Long Forever » que l’on retrouve le groupe que nous avions connu : derrière ce doomgaze d’une assourdissante beauté se décline une douce mélancolie conduisant à une montagne russe émotionnelle en guise de paroxysme.

C’est là que le contexte créatif s’avère utile. Imaginez-vous coincés entre rêve et réalité, sans réelle notion du temps qui passe, conscient mais emprisonné dans un corps inerte. Vous pouvez percevoir (vaguement) mais pas interagir avec ceux qui vous entourent. La séquence reproduite sur cette face par Elephant Tree n’est que le passage progressif d’un état végétatif vers un état de conscience minimale, avant de retrouver peu à peu ses fonctions et sens. Egaré dans une brume sonique qui se dissiperait peu à peu, on retrouverait (enfin) la possibilité de ressentir.

Et que feriez-vous si vous étiez victime d’un telle absence ? Quand le corps ne répond plus, on s’échappe par l’esprit. C’est le voyage immobile et c’est l’astronef Lowrider qui exécute vos désirs stellaires lorsque les étoiles vous appellent. Rien de plus efficace qu’une ruade stoner en guise de décollage pour s’arracher à la gravité terrestre. En 2 minutes 55 nettes et sans bavure, Lowrider signe le single PAR-FAIT avec « And The Horse You Ride In On ». Nan mais allez-y, remettez repeat et trouvez-moi un défaut à ce titre. On est en 2024, vingt ans après, et les mecs re-re-plient le game.

La suite ne sera que folles cavalcades sur les anneaux de Saturne, de longues odyssées épiques au-delà de Io et Ganymède, ou de plongées en rase-mottes au-dessus de cratères de lave (« Caldera »). C’est s’extasier de la beauté de la nébuleuse Trifide en filant tout droit vers le noyau galactique, là où commence ce qui s’arrête (« Into The Grey »). Et c’est une fois débarrassé d’enveloppe charnelle, ne faisant plus qu’un avec l’infini, qu’on atteint la sensation de plénitude, moment de grâce où le corps entre en fusion avec la mélodie (« Into The Rift »).

Comme deux lignes temporelles convergentes, Elephant Tree et Lowrider se réunissent pour présenter cet album collaboratif, véritable nouvelle oeuvre en quatre ans pour chacune des deux entités. C’est en gravitant autour d’un événement qui aurait pu être tragique, que les deux groupes ont saisi l’opportunité de redéfinir qui ils sont et d’assoir leur (future) direction créatrice.  Pour leurs adorateurs qui ont hâte de connaître la suite, c’est une nouvelle pièce maîtresse de l’Univers étendu du Stoner. L’histoire retiendra surtout que c’est dans la catharsis et l’évasion et la créativité qu’ils scelleront leur amitié. Pour la postérité.

ARTISTE : Elephant Tree / Lowrider
ALBUM : The Long Forever
DATE DE SORTIE : 25 octobre 2024
LABEL : Blues Funeral Recordings
GENRE : Stoner rock (le vrai)
MORE : Bandcamp

Last modified: 25 octobre 2024